La bombe WikiLeaks a explosé à la toute fin d’une année où la neutralité et la liberté du net semblaient remises en cause. Mouvant et sans limite, le monde numérique, et donc notre monde réel, reste encore et toujours à inventer.
Apple, Google, Facebook. L’année numérique semble s’être résumée à ces trois noms. Trois géants sujets de tous les débats, porteurs d’autant d’enthousiasmes que de craintes. Trois stars rejointes en fin d’année par une quatrième, WikiLeaks.
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Apple a donné le tempo avec ses annonces et ses nouveautés. Annoncé, attendu, puis enfin en vente, l’iPad a certainement été l’appareil le plus discuté de l’année, au point d’en faire oublier l’iPhone 4, sorti en juin. Fin septembre, l’iPad s’était écoulé à 7,5 millions d’exemplaires, et le cabinet Gartner estime à 19,5 millions le nombre total de tablettes vendues à la fin de l’année dans le monde.
Bien que les usages des tablettes soient encore à définir, certains voient en l’iPad le sauveur de l’édition et surtout de la presse, qui cherche encore son modèle (réussite pour la formule payante du Wall Street Journal, échec pour celle du Times). Parmi eux, Rupert Murdoch et Richard Branson sont allés jusqu’à créer des journaux exclusivement pour l’iPad.
En 2010, Apple a aussi lutté contre Google sur le terrain des smartphones. Si Google a mal commencé avec le flop de son Nexus One, les téléphones utilisant son système d’exploitation Android connaissent un énorme succès (300 000 sont activés par jour). Le cabinet iSuppli en prévoit 75 millions dans le monde en 2012 contre 62 millions d’iPhone. Mais le véritable enjeu est le lucratif marché des applications.
Actuellement, l’App Store propose environ 250 000 applications pour iPhone, téléchargées plus de 5 milliards de fois, alors que l’Android Market en propose plus de 100 000, téléchargées près de 1,5 milliard de fois.
La confidentialité au coeur des débats
Google, le géant américain dont on craint le pouvoir, n’a cessé de faire parler de lui. Accusé d’atteinte à la vie privée, son service Street View a été flouté en Allemagne et critiqué par la Cnil européenne.
Très controversée également, sa politique en matière de numérisation. Face aux réserves du gouvernement et des éditeurs français, Google a restreint son projet de numérisation des livres des bibliothèques américaines aux livres initialement publiés aux Etats-Unis mais a ouvert début décembre aux Etats-Unis sa librairie numérique eBookstore.
Google a également dû affronter les autorités chinoises pour obtenir sa licence en Chine, a aussi été critiqué pour sa fonctionnalité Google Instant, qui affiche les résultats au fil de la saisie, et a subi une déconvenue avec son réseau social Buzz, qui posait de sérieux problèmes de confidentialité.
Dans le domaine de la confidentialité, sujet qui inquiète 75 % des Français (étude Microsoft, mai 2010), c’est Facebook (plus de 500 millions d’utilisateurs) qui aura monopolisé l’attention. Réduisant de plus en plus le périmètre des informations privées de ses membres et utilisant leurs données personnelles, le site a été montré du doigt.
Sa nouvelle fonctionnalité Places, réponse aux sites de géolocalisation très populaires aux Etats-Unis (Foursquare), a ajouté aux craintes en raison de règles de confidentialité complexes. Mais Facebook est aussi un bouc émissaire pratique, brandi un peu facilement pour se dégager des responsabilités individuelles : Facebook responsable des ados ivres morts dans les apéros Facebook, Facebook responsable de licenciements, Facebook responsable des suicides qui y sont annoncés… Mais aussi Facebook star de cinéma, avec The Social Network qui raconte ses origines.
De nouvelles méthodes de consommation du Net
Mais à côté de ces géants qui monopolisent l’actualité et mènent à des débats souvent réducteurs, qui se soucie de l’avenir du web, pourtant menacé à bien des égards ? Chris Anderson, rédacteur en chef de Wired, s’interrogeait ainsi dans un fracassant article du numéro de septembre du magazine sur la mort du web. Au centre des préoccupations, le succès des applications sur mobiles.
Elles donnent un accès direct, facile, à des contenus choisis et en apparence sûrs, mais contrairement au web, elles dessinent un réseau morcelé, moins interopérable, moins ouvert, plus facilement contrôlable par les grands groupes ou les autorités. On assiste ainsi à une sorte de segmentation du web par le terminal (iPhone et Android principalement), qui pourrait à terme faire disparaître l’internet libre et neutre actuel.
Il en va de même des réseaux sociaux qui, en ramenant le web à eux, isolent peu à peu l’internaute dans un système quasiment auto-suffisant. La neutralité du net est déjà probablement en sursis.
Mise à mal par les opérateurs qui empêchent l’utilisation de certains sites sur les mobiles (Skype notamment) ou ralentissent les débits au-delà d’un certain volume de données échangées, elle pourrait aussi être remise en cause sur les réseaux fixes sous prétexte d’une croissance de trafic trop importante.
On aboutirait alors à un internet à plusieurs vitesses, où les sites et les internautes pouvant payer pour un meilleur accès seraient favorisés. En Grande-Bretagne, le ministre des Télécommunications s’est prononcé mi-novembre pour cet internet inégalitaire, au grand mécontentement des acteurs du net, d’eBay à Yahoo!.
Nathalie Kosciusko- Morizet, ancienne secrétaire d’Etat à la Prospective et au Développement de l’économie numérique, a remis un rapport controversé sur le sujet tandis que la Commission européenne a lancé une consultation publique fin juin.
WikiLeaks, le pavé dans la mare
Si le net doit rester libre et ouvert, c’est aussi pour que des sites comme WikiLeaks puissent fonctionner sans entrave. Pour avoir publié un nombre impressionnant de documents confidentiels, le site et son fondateur Julian Assange ont subi des attaques de gouvernements et d’organisations mis en cause.
En France, Eric Besson (ministre chargé de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique) a tenté de faire interdire son hébergement. Diffusant des informations sans censure, sans barrières et instantanément, WikiLeaks illustre la façon dont internet bouleverse le monde et redéfinit l’espace public.
Stigmatisé par les diplomates ou les grandes entreprises, défendu par les internautes, il symbolise la fracture entre les utilisateurs, rodés aux usages du web, et ceux qui tentent de mettre des obstacles à cet internet qui leur échappe et qu’ils ne comprennent pas toujours.
A l’image des négociateurs internationaux menant secrètement les tractations de l’Acta, Accord commercial anti-contrefaçon, qui disposera d’un volet “internet” destiné à traquer les infractions au droit d’auteur sur le web, avec la coopération des fournisseurs d’accès.
En France, pays où seuls deux foyers français sur trois disposent d’une connexion à internet (soit le niveau de la Corée du Sud en 2001, souligne l’association Renaissance numérique), le gouvernement n’a cessé de s’en prendre à internet. Ici on veut supprimer les appels à manifester publiés sur Facebook, là taxer les annonceurs en ligne…
Une mesure de la loi Loppsi 2 fait de l’usurpation d’identité sur internet un délit, une autre ouvre la porte au blocage des sites par les fournisseurs d’accès sur décision d’une autorité administrative. Enfin, après plus de deux ans de rebondissements et malgré les flous qui subsistent, notamment sur les logiciels de surveillance, l’Hadopi s’est attelée à mettre en oeuvre la réponse graduée, en envoyant ses premiers mails d’avertissement.
Mais comme toujours, la technologie va plus vite que la législation et les internautes, plébiscitant Deezer, Spotify ou les sites de stockage, semblent être déjà passés à autre chose.
Anne-Claire Norot
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