Comme « Le Monde » lors du premier tour des élections départementales, de plus en plus de rédactions se mettent à utiliser des algorithmes pour trouver, sélectionner, voire rédiger des contenus journalistiques. Une montée en puissance qui bouleverse la profession, comme l’ont souligné de nombreux intervenants lors de la conférence des Nouvelles Pratiques du journalisme de 2014.
Des robots qui font du journalisme, ce n’est plus un fantasme. Ils existent déjà, et les rédactions s’en équipent de plus en plus. Dernier exemple en date : pendant le premier tour des élections départementales du 22 mars 2015, LeMonde.fr a écrit un certain nombre de textes en « collaboration avec Data2Content, une marque de la société Syllabs« . Sur son site Internet, l’entreprise explique qu’elle peut proposer des « robots rédacteurs qui transforment vos données en textes« .
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N’allez pas jusqu’à imaginer C-3PO tapant frénétiquement sur le clavier de son ordinateur. Le “robot-journaliste” est avant tout un algorithme, conçu pour apporter du contenu à des lecteurs sur le web.
L’existence de ces algorithmes avait été abordée à plusieurs reprise, le 8 décembre dernier, lors de la conférence annuelle organisée par l’école de journalisme de Sciences Po intitulée “Nouvelles Pratiques du journalisme” (NPDJ). Les intervenants étaient venus nombreux, de France et des Etats-Unis, pour discuter de l’avenir de journalisme. Nous avions fait le déplacement, et présenté l’état des lieux du débat :
« Est-ce que je vais être remplacé par un robot ?”
“Regardez cet article, il ressemble à n’importe quel papier écrit selon les standards du journalisme anglo-saxon”, décrit Amy Webb, habituée des NPDJ et consultante en stratégie numérique. Sur le grand écran de l’amphithéâtre s’affiche un papier du Los Angeles Times, publié quelques minutes après un tremblement de terre en mars 2014. “Cet article a pourtant été écrit par un robot”, assène Amy Webb.
Le mot est lâché. Le robot, à défaut d’être l’avenir de l’homme, serait-il un substitut du journaliste ? Le ton de l’article est forcément très neutre, mais l’information est claire et précise. “Je sais ce que vous vous dites, ajoute la consultante devant un parterre de journalistes aussi admiratifs que troublés. Est-ce que je vais être remplacé par un robot ? Evidemment, la réponse est non.”
Le robot du Los Angeles Times n’existe en effet que grâce aux talents du journaliste Ken Schwencke, qui a codé l’algorithme. Le jour du tremblement de terre, à 5 heures du matin, il s’est réveillé en sursaut après avoir senti le sol remuer. Il s’est ensuite levé, comme le relate slate.com, s’est dirigé vers son ordinateur et n’a eu qu’à relire l’article que son robot venait de rédiger sur le tremblement de terre. Il n’avait plus qu’à appuyer sur “publier”.
“Les journalistes peuvent se focaliser sur d’autres papiers”
Cette association “journaliste-robot” n’a aujourd’hui plus rien n’anecdotique. Nicholas Diakopoulos, assistant professeur à l’université du Maryland et Kelly McBride de l’école de journalisme Poynter Institute sont venus décrypter ce nouvel outil. “Prenez le Homicide Report”, nous expliquent-ils en aparté.
Le LA Times, décidément à la pointe de cette technologie, a lancé cette rubrique spécialisée dans le traitement de tous les crimes en Californie. Pour chaque homicide dans la région, un article de 5 paragraphes est automatiquement généré par le robot.
“Auparavant, les journalistes ne traitaient forcément pas tous ces faits divers. Ils prenaient uniquement le plus saillant, celui qui allait le plus faire le buzz, souligne Nicholas Diakopoulos. Maintenant, il y a un article pour chaque crime, et les journalistes peuvent se focaliser sur d’autres papiers, dans lesquels ils apportent plus de contexte et d’analyse.”
Plus de développeurs, mais combien de journalistes ?
Si le “robot journaliste” n’engendrera pas la disparition de toute une profession, il continue tout de même à alimenter les craintes. Et pour une bonne raison : le métier a été heurté de plein fouet par la transition numérique, et est encore en train d’essayer de s’y adapter. “Je ne pense pas que les journalistes sont en train d’être remplacés par les robots. Je pense qu’ils perdent leurs jobs parce que l’économie qui soutient le journalisme est en train de mourir”, lâche Kelly McBride.
Selon elle, les rédactions vont se doter de plus en plus de développeurs qui seront amenés, précisément, à coder des algorithmes pour apporter du soutien aux journalistes. Le site Reader, projet du pure-player slate.fr, en est un exemple révélateur. Melissa Bounoua est venue exposer ce nouveau média de traitement de contenus qui fonctionne sur une “sélection 50 % algorithmique, 50 % humaine”.
Elle a présenté ce projet comme une start-up, qui tient sur les épaules de six personnes : “Trois développeurs, deux journalistes et une stagiaire”. Une équipe ainsi composée à moitié d’employés non journalistes, dédiée à la production de contenus journalistiques.
Mais le problème de l’embauche de nouveaux développeurs reste un défi problématique pour les rédactions plus installées, confrontées à des plans sociaux ou des difficultés financières, notamment celles de la presse écrite dont une partie des effectifs a encore du mal à s’adapter au numérique, et qui ralentit cette transition. “Aux Etats-Unis, on a plus de chance que chez vous, conclut cyniquement Kelly McBride, on peut virer les gens plus facilement.” Ambiance.
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