Dans un post de blog fleuve mis en ligne le 16 mars, la gameuse MarLard démontre par A + B le sexisme inhérent au milieu geek. Attention, ça pique les yeux.
Sommes-nous vraiment en 2013 ? A lire l’article de la gameuse et féministe MarLard, on en doute. Publiée sur le blog « Genre! » le 16 mars, le texte, intitulé Sexisme chez les geeks : Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier, met au jour le sexisme ambiant de la communauté geek, des gamers (joueurs de jeux vidéo) aux lecteurs de comics. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la démonstration est convaincante. Tout y passe : les pubs sexistes à grand renfort de seins et de poitrine sans tête, les conseils des vendeurs qui l’orientent systématiquement vers les jeux vidéo « pour filles » (elle cite notamment les Sims), les physiques bombesques des héroïnes de comics, la récurrence des violences envers les personnages féminins, les « babes » (filles en petite tenue) chargées d’animer les salons du jeu vidéo, les tops des meilleurs décolletés.
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La gameuse s’en prend aussi à la presse et aux blogs spécialisés, faisant notamment référence à un psycho-test de Consoles+, dont l’un des profils psychologiques -celui de « la battante », représenté par un cœur rose (ça ne s’invente pas)- commence forcément par une référence à l’héroïne de Sex and the City, Carrie Bradshaw, et assène : « tu t’es manifestement trompée de magazine » (on notera l’accord au féminin). Autre exemple saisissant : celui de l »affaire Cross Assault », tournoi opposant en février dernier des spécialistes des jeux de baston Tekken et Street Fighter assorti d’un tchat qui permettait aux spectateurs d’interagir. Comme l’explique MarLard, la seule femme de l’équipe Tekken en a sérieusement pris pour son grade, subissant insultes sexistes et harcèlement de la part des spectateurs mais aussi du coach qui a pris un malin plaisir à l’humilier, tant et si bien qu’elle a fini par déclarer forfait.
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MarLard mentionne également la théorie de la « Fake Geek Girl » -la fille faussement geek- en citant plusieurs blogs tournant la geek en ridicule, dont Écoute moi bien espèce de pétasse ! (au titre évocateur), et en s’appuyant sur un message de Tony Harris, dessinateur de comics, dans lequel il s’insurge tout bonnement contre les lectrices de comics :
« J’en ai ai tellement marre de toutes ces Nanas-en-Cosplay. J’en connais quelques unes qui sont en fait assez cool – et, ÇA ALORS, aiment et lisent des comics. Elles sont l’exception à la règle. (…) Tu as ce besoin d’attention maladif, que les gens te disent que tu es jolie, ou Sexy (…) TU NE CONNAIS RIEN AUX COMICS, AU DELÀ DE TA RECHERCHE GOOGLE IMAGE POUR TROUVER DES RÉFÉRENCES POUR LE PERSONNAGE LE PLUS MAINSTREAM AVEC LE COSTUME LE PLUS RÉVÉLATEUR POSSIBLE. »
Lara Croft et « la virilité »
MarLard revient aussi, bien entendu, sur l’article qu’elle avait écrit à la suite de la critique par Joystick du dernier volet de Lara Croft dans laquelle l’auteur s’enthousiasmait d’une tentative de viol sur l’héroïne. Son texte, et surtout les critiques acerbes reçues à sa parution sur le blog « Genre! », sont à l’origine de son article-dossier sur le sexisme, comme elle nous l’explique:
« C’est un sujet qui s’impose à partir du moment où on est une femme qui évolue dans n’importe quel milieu geek… on y est forcément confrontée, nous explique-t-elle. C’est sans doute ce qui m’a poussée vers le féminisme : la conscience diffuse que ces brimades répétées que j’essuyais dans les milieux de mes passions à cause de mon sexe étaient liées entre elles, dues à un système que j’ai voulu analyser. D’où la masse d’exemples que j’ai pu inclure dans ce dossier, qui aurait pu être trois fois plus long : à partir du moment ou on commence à s’intéresser au sujet, il ne se passe pas un jour sans illustration éclatante du problème. »
Une compilation titanesque sur laquelle elle a travaillé six mois durant, et que salue Marion Coville, gameuse et doctorante spécialiste des questions de genre dans le milieu geek. Contactée par mail, elle raconte:
« Lorsque vous racontez une expérience vécue, plutôt que de vous écouter, on vous répond souvent que vous n’êtes qu’un cas isolé, ou que vous avez mal interprété la situation… Il y a beaucoup d’arguments mis en place pour amoindrir votre expérience. Le fait de les regrouper et d’en tirer des analyses plus générales permet justement d’éviter cet écueil. »
Son article sur Lara Croft, également publié sur le blog « Genre! », avait été soutenu par Usul, critique et comique du jeu vidéo, dans une chronique vidéo intitulée La virilité.
http://youtu.be/W9S3Zp0qlAs
Six mois plus tard, Usul déplore toujours le machisme du milieu geek. La faute selon lui aux médias, dans lesquels « on voit les Femen et Caroline Fourest, prendre des positions qui donnent l’image que les médias veulent bien renvoyer des féministes », nous explique-t-il par téléphone:
« On a très peu de gens qui expliquent ce qu’est le patriarcat, la domination masculine… vu qu’il y a un manque de connaissances et d’éducation, on n’avance pas »
Autre problème : le manque d’héroïnes féminines dans les jeux vidéo. « Même quand il y en a, il y a un problème de représentation. Il y a des figures qui reviennent énormément, comme la scène de la demoiselle en détresse, qui est historiquement ancrée dans le jeu vidéo« , explique-t-il. Du coup, pour lui, une scène de sauvetage de princesse est aussi « un clin d’œil à l’histoire du jeu vidéo. » Il résume :
« Il y a d’un côté l’aspect économique, qui fait que plus c’est vulgaire, plus on s’adresse aux bas instincts de l’homme, plus ça va fonctionner. Et de l’autre côté, il y a une tradition du jeu vidéo qui en fait de l’autoréférence, du clin d’œil. (…) Mais l’accumulation de ces figures crée un paysage qui nourrit l’imaginaire, et qui fait que les préjugés se reproduisent naturellement. »
La féministe Anita Sarkeesian, qui analyse le machisme dans la culture populaire sur son blog Feminist Frequency, a publié début mars une vidéo dans laquelle elle explore la figure de la demoiselle en détresse, « un scénario dans lequel une jeune femme est placée dans une situation périlleuse de laquelle elle ne peut s’extirper par elle-même et doit donc être sauvée par un personnage masculin« , déjà exploité dans l’Antiquité avec le mythe de Persée.
« Les babes, je trouve ça insoutenable »
Mais l’article de MarLard est loin d’être salué par l’ensemble du milieu geek. Comme pour son premier texte sur Lara Croft, la gameuse reçoit de violentes critiques émanant d’hommes, mais aussi de femmes. Pour Marion Coville, la cause de ces critiques est à chercher dans la nature même de la communauté des amateurs de jeux vidéo, « dont les loisirs ont été stigmatisés par les médias » :
« J’ai l’impression qu’une solidarité s’est créée pour défendre ce loisir face aux attaques dont il a pu être l’objet. Le problème, c’est que même lorsque la critique vient de l’intérieur et que cette critique est construite et référencée, les réactions sont les mêmes, et l’émetteur de la critique me semble vite considéré comme un ‘traître à la cause’. »
Pour autant, Marion Coville reste optimiste quant à l’avenir des femmes dans cette communauté. « De plus en plus de voix se font entendre sur le sujet, des blogs s’ouvrent, les articles se multiplient, des colloques sont créés uniquement sur ce thème, de plus en plus d’étudiants choisissent de se pencher sur la question. Il me semble que le sujet est aujourd’hui considéré comme un sujet de débat légitime par de plus en plus de monde, même s’il aura toujours ses détracteurs« , explique celle qui a participé en 2012 à un colloque organisé par l’université Lyon-I sur le genre et les jeux vidéo.
En attendant, Usul a décidé de boycotter les salons de jeux vidéo « parce que les babes, [il] trouve ça insoutenable ». « On est dans un milieu de beauf« , lâche-t-il, en rappelant que lors des salons organisés par les éditeurs pour les journalistes, « il est fréquent qu’il y ait de l’effeuillage, ce genre de choses…« . Et pourtant, selon une étude de 2011 du Syndicat national du jeu vidéo, les femmes représentent 52% des joueurs réguliers. Il serait peut-être temps de les intégrer.
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