Longtemps sous-estimée et entourée d’une réputation sulfureuse, cette eau-de-vie d’agave venue du Mexique va conquérir vos papilles, et votre cœur.
Assis à une table haute dans un bar branché de México, un groupe de jeunes célèbre la fin de la semaine autour de petits verres de mezcal – le seul spiritueux à la carte. Ils les sirotent avec parcimonie, en prenant quelques gorgées de bière de temps en temps pour se déshydrater, et en mordant dans des tranches d’orange saupoudrées de piment, comme la coutume le veut. Un petit bol de chapulines (des criquets frits avec du piment et du jus de citron) accompagne le tout, en guise d’apéritif. Et si un profane intègre leur cercle pour s’initier pour la première fois au breuvage, ils le servent en le gratifiant d’un dicton populaire imparable : “Para todo mal mezcal, y para todo bien tambien !” (“Quand ça va mal, mezcal, et quand ça va bien aussi !”). Scène authentique et ordinaire de l’art de vivre mexicain, qui pourrait bien faire des émules en France.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est d’ailleurs déjà en partie le cas. Le mezcal, cette eau-de-vie d’agave de plus en plus prisée en Europe, complète depuis quelques temps les étagères de certains bars à cocktails parisiens, comme La Candelaria (IIIe arrondissement), le Café Chilango (XIe) ou encore La Mezcaleria (IIIe). Mais comment cette boisson alcoolisée fumée, aux arômes complexes, est-elle fabriquée ? Comment la savourer ? Et que penser de l’aura sulfureuse qui l’entoure – on dit que le mezcal rend fou ? Un livre qui vient de paraître nous éclaire et dissipe bon nombre d’idées reçues à ce sujet : Mezcal, l’esprit du Mexique, de David Migueres, Domingo Garcia et Alexandre Vingtier. Décryptage en quelques points, qui devraient vous convaincre d’aller tester ce trésor ancestral du monde des spiritueux.
Qu’est-ce que le mezcal ?
Le mezcal est un spiritueux dont la teneur oscille entre 36° et 55°, et dont le nom signifie, dans la langue des Aztèques, « agave cuit ». Il est en effet fabriqué à partir de cette plante endémique du Mexique, qui n’est pas un cactus, mais une plante dite succulente. Il est principalement produit dans l’Etat d’Oaxaca (85% de la production totale), de manière traditionnelle, comme il y a 400 ans. Les maetros mezcaleros récoltent d’abord les cœurs des agaves arrivées à maturité, puis ils sont cuits à l’étouffée dans un trou à même le sol. Les fibres d’agave sont ensuite broyées, pour enfin passer à la fermentation, dans des tonneaux en bois, avec de l’eau de source. Le moût issu de cette fermentation est ensuite distillé dans différentes sortes d’alambics traditionnels.
Quelle est la différence avec la tequila ?
La tequila et le mezcal sont frères, à quelques nuances près qu’il vaut le coup de connaître. La tequila est produite à partir d’une espèce d’agave domestiquée, alors que le mezcal est produit à partir de 12 espèces d’agaves. De plus, alors qu’ils composent 100% des sucres dans le mezcal, ils n’en composent que 51% dans la tequila. Enfin, le mode de production est aussi différent : méthodes industrielles pour la tequila, et familiales pour le mezcal, toujours fabriqué dans des micro-distilleries nommées palenque, ce qui explique le nombre incalculable de variétés de mezcal.
Pourquoi a-t-il mauvaise réputation ?
Le mezcal peine à se défaire de sa mauvaise réputation. Parlez de lui à une personne lambda, elle pourrait vous répondre : “Ah oui, l’alcool qui rend fou”. Ce stéréotype est la lointaine conséquence d’une image forgée par les médias américains lors de l’invasion d’une partie des Etats-Unis par Francisco ‘Pancho’ Villa, en 1916. A partir de cette date, il était de bon ton de représenter les Mexicains comme des hors-la-loi alcooliques, dépendants au mezcal comme les Chinois l’étaient à l’opium.
De plus, on pense souvent qu’il est apparenté à la mescaline, une drogue hallucinogène. Or ils n’ont rien en commun à part une légère consonance. “Cette confusion, notamment cultivée par les écrivains de la Beat Generation, est due à une simple différence orthographique : aux Etats-Unis, le mot mezcal a longtemps été écrit à l’anglaise avec un s. La mescaline, tirée d’un petit cactus, n’est jamais entrée dans la composition du mezcal”, explique le livre.
Enfin, cette image sulfureuse a été renforcée dans la culture populaire par le film Las Vegas Parano, dans lequel Johnny Depp et Benicio del Toro enchaînent des orgies arrosées de mezcal, persuadés de ses effets hallucinogènes. En 1998, le groupe Cypress Hill lui donnait au moins une street credibility avec son titre Tequila sunrise, qui vantait son goût amer.
Y-a-t-il vraiment un ver au fond des bouteilles de mezcal ?
Quelle idée de mettre une larve au fond d’une bouteille… C’est pourtant celle qu’a eu Jacobo Lozano Paez, le producteur du Gusano Rojo, dans les années 40-50. Il a été le premier à introduire une chenille particulière, qui se nourrit du cœur de l’agave, dans ses bouteilles. L’intérêt était purement commercial, et il a fonctionné : d’autres producteurs l’ont imité, misant sur la dimension folklorique pour attirer un public étranger. Désormais, cette pratique est décriée, et réservée aux mezcals bas de gamme. Le ver est en revanche moulu et mélangé avec sel et épices pour se transformer en sal de gusano, qui agrémente maintenant les tranches d’orange qui servent à s’hydrater la bouche pendant la dégustation.
Comment le déguster ?
Il faut apprendre à déguster le mezcal dans les règles de l’art : c’est-à-dire lentement. En effet, la tradition veut qu’on ne boive pas un shot de mezcal, on l’embrasse. C’est ainsi qu’il vous transportera vers des terres subtropicales plus qu’accueillantes. Le spiritueux mexicain peut aussi servir de base à des nombreux cocktails, énumérés à la fin du livre Mezcal, l’esprit du Mexique. Laissez-vous tenter !
Mezcal, l’esprit du Mexique, de de David Migueres, Domingo Garcia et Alexandre Vingtier, éd. Hachette, 288 p., 19,95 €
{"type":"Banniere-Basse"}