Les marques pour hommes rechignent à proposer des très grandes tailles et continuent de ne proposer que de jeunes apollons bodybuildés en guise de modèles. Pourquoi une telle invisibilisation ?
“Je ne prends pas ce que je veux mais ce dans quoi je rentre”, résume David Venkatapen, taille 3XL. Modèle plus size depuis sept ans, il explique le cercle vicieux du shopping grande taille : “Je ne vais quasiment plus en boutique physique, tellement c’est rare de trouver plus que du XL. Les vendeurs me répondent souvent qu’ils ne mettent pas de grandes tailles en rayon parce qu’elles prennent trop de place et que personne ne les achète, donc je me rabats sur internet. A part Gémo et Capel en France, si je veux sortir du basique, je dois me tourner vers de la fast fashion étrangère comme Asos ou BoohooMan.”
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Pourtant, le marché s’agrandit de génération en génération. En 2014, une étude réalisée par la MGEN et l’institut de sondage Opinion Way révèle que 30 % des Français.es sont en surpoids, et 16 % obèses. Si les moins touché.e.s sont les jeunes (19-24 ans : 9 %) et les CSP+ (9 %), les plus concerné.e.s sont les inactif.ve.s (20 %) et les 50-64 ans (21 %). En 2003, l’Union française des industries de l’habillement avait déjà observé que le surpoids touchait plus d’hommes (un tiers) que de femmes (un quart). La demande croît, et concerne surtout la gent masculine, mais l’offre ne suit pas.
“Notre société intériorise encore beaucoup de grossophobie”
Ces statistiques sont utilisées par les marques les plus influentes pour “assimiler surpoids à pauvreté, et minceur à richesse, distinction sociale”, affirme Farid Chenoune, historien de la mode. “Ce milieu s’adresse à beaucoup de gens pour mieux fabriquer une élite. Les personnes en surpoids en sont exclues, perçues comme des sous-consommateurs. C’est du mépris de classe corrélé à du mépris de size.”
“Les marques veulent bien habiller ce marché, mais pas trop le montrer”
Cofondatrice de la marque de vêtements masculins Loom et diplômée d’un master en études de genre, Julia Faure confirme cet enjeu d’image : “Si les grandes tailles sont difficiles à trouver dans les boutiques de la plupart des marques, c’est aussi parce que celles-ci ne veulent pas de gros sur place. Même en ligne, les articles sont présentés sur des mannequins standards, ou des plus size dans une catégorie à part.”
“Notre société intériorise encore beaucoup de grossophobie : est-ce que les clients achèteraient quand même une marque qui visibilise le fait qu’elle habille aussi des personnes grosses ? Les marques veulent bien habiller ce marché, mais pas trop le montrer.”
Et celles qui s’y essayent n’y parviennent pas toujours pour des questions techniques : “Les mensurations d’un vêtement sont généralement calculées automatiquement à partir d’une taille standard sur un mannequin cabine, développe Julia Faure. Mais trop tirer sur ces gradations produirait juste des grandes tailles qui n’iraient à personne. Ça demande donc du développement produit qui coûte cher, et les compétences en patronage et modélisme nécessaires sont de plus en plus souvent externalisées auprès des usines.”
Peu d’hommes ont rejoint le mouvement body positive
Une fois l’onéreux coût d’entrée sur le marché plus size acquitté, les marques entendent le rentabiliser en proposant surtout des pièces basiques qui pourront être reconduites de saison en saison. Une façon d’optimiser les stocks… Mais ce recours à des vêtements simples est aussi lié à des questions de genre.
“Quand on est gros, on s’excuse presque d’être là, on cherche souvent à se fondre dans la masse, et donc on s’habille basique dans l’offre restreinte proposée. Le mythe de la virilité voudrait que l’on soit grand, mince, musclé, et interdit que l’on soit complexé de ne pas correspondre à ce stéréotype car ce serait un signe de faiblesse, perçu comme féminin”, déplore David.
“Si vous ajoutez à ce type de morphologie une pièce flamboyante, beaucoup vous jugeront too much”
Et David d’ajouter : “Dans l’imaginaire collectif, l’homme gros est soit le bon pote marrant complètement asexué, soit féminisé vu qu’il a des formes au niveau de la poitrine, des hanches, et des fesses. Alors si vous ajoutez à ce type de morphologie une pièce flamboyante, beaucoup vous jugeront too much.”
Cette masculinité toxique qui entrave beaucoup d’hommes et les empêche de s’exprimer sur leur poids et leurs complexes explique sans doute pourquoi si peu d’entre eux rejoignent le mouvement body positive. “Mais c’est une telle lame de fond côté femme que le marché masculin va sans doute s’aligner par anticipation”, pressent Julia Faure. Le Slip français qui propose désormais des sous-vêtements jusqu’au 4XL et leur nouveau mannequin grande taille comptent bien peser dans la balance.
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