L’Angleterre a fêté en grandes pompes le mariage de William et Kate, dans un impressionnant simulacre d’orgasme national… Mais à Liverpool, toujours touché par un chômage exorbitant, on a regardé les fastueuses célébrations de très loin.
Ne pas croire les images lénifiantes d’une Angleterre en stand-by, attendant avec adoration le mariage du Prince William de Saxe-Cobourg & Gotha (ou “Windsor” comme il convient d’appeler sa famille depuis la première guerre mondiale) et de Kate Middleton.
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Une “fille du peuple” ment la fable en cours de construction, qui oublie souvent de préciser qu’à défaut d’être de sang bleu, elle est quand même l’héritière d’une confortable fortune. Ne pas croire à cette chimère de nation réunie derrière des souverains inoffensifs et bons, que personne ne remet en question. Dans les journaux les plus sérieux, comme The Independent ou sur le site du Guardian, quelques effontés relancent même le débat de la République, en arguant du fait que ce pouvoir transmissible n’existe dans aucune autre profession – imaginerait-on des mathématiciens reconduits de père en fils, au dela de toute compétence ?
Faire oublier que le pays est au bord de la crise de nerfs
Le mariage princier semble surtout une bonne occasion de balayer sous les tapis rouges les miettes de colères de plus en plus fréquentes, soudaines et violentes. Car ces derniers mois, après des années d’accalmie, de résignation, la jeunesse anglaise est régulièrement sortie de ses gonds, à la stupeur des observateurs : on avait un peu trop vite entériné l’apolitilisme, voire l’apathie d’une génération.
Même les syndicats étudiants, anesthésiés par la défaite des années Thatcher, semblaient avoir jeté l’éponge. Mais il aura suffi d’une annonce du gouvernement Cameron – l’augmentation inabordable pour beaucoup des frais universitaires – pour que l’Angleterre se soulève en novembre 2010, avec une violence déséspérée. Mais il est hors de question que les caméras du monde entier, venus au mariage princier comme on se rend à Disneyland, ne soient rattrapés par cette réalité et des images d’affrontements.
Six personnes ont ainsi été arrêtés quelques jours avant la cérémonie lors de raids musclés et des dizaines d’activistes ont reçu de Scotland Yard une interdiction de circuler vers Londres, mesure habituellement réservée aux pire hooligans du football. Et pour éviter que les nouvelles de possibles incidents ne circulent trop vite, tous les alentours de l’Abbaye de Westminster ont été privés d’accès à Twitter – le supplice de la censure chinoise à votre porte.
Loin de cette unité de façade, le pays semble pourtant au bord de la crise de nerfs. La moindre anicroche peut virer au soulèvement : ainsi le 21 avril dernier, quand une descente de police dans un squat démarra une des émeutes les plus violentes à secouer la ville de Bristol depuis trente ans. Prémonitoire ? En 1981, Bristol fût une des premières villes à s’enflammer, durement, contre la violence sociale de Thatcher. Londres et Liverpool connaîtront alors des scènes de guérillas inouies, le quartier de Liverpool 8 flambant pendant plusieurs nuits.
A en croire la télévision et des micros-trottoirs érigés en outil fiable et cartésien de l’opinion anglaise, le mariage princier serait pourtant une bénédiction : comme scriptés par Buckhingham, les mêmes mots reviennent inlassablement : “ça va galvaniser la pays”, “c’est pour pour l’économie” ou “nous avons besoin de ça pour réunifier le pays”, répétés en mantra sur toutes les chaînes.
Autre son de cloche à Liverpool, ville toujours en gueule de bois après le carnage social de plusieurs décennies. La “fête” en ce vendredi férié pour l’occasion se limite ici à quelques enclaves, ceinturées de fanions mous, où l’on applaudit sans conviction ni chaleur, parce qu’il faut bien participer à “l’histoire” dont se gargarisent depuis des mois les commentateurs.
“Je n’ai plus l’âge de croire aux princesses”
Dans le centre ville, un écran géant diffuse les cérémonie dès 9h du matin, pour des grand-mères venues avec le thermos et des petites filles déguisées en princesses. Venue en badaud, Fiona commente : “Je suis désenchantée par cette famille depuis ce qu’elle a fait à Diana. Mais William, c’est différent, on a des trucs en commun, il n’est pas vieux jeu. Comme moi, il picole et fume des joints.” Fiona a largement plus de 60 ans, mais un sourire d’ado espiègle. “Ecoute mec, ici c’est Liverpool, c’est pas l’Angleterre.”
Moustache duveteuse de trois heures, gouaille en rafales, le jeune Stevo possède la malice mais aussi la fureur de tant de jeunes de Liverpool.
“Je ne me sens déjà pas du tout représenté par un gouvernement basé à Londres, dont certains leaders ne parlent de Liverpool que pour se mouqer de nous, nous stigmatiser, nous caricaturer. Comme ce gros naze de Boris Johnson (le maire de Londres, célèbre pour ses gaffes). Alors franchement, le mariage d’un noble d’origine allemande, je m’en fiche royalement. A la maison, on n’a même pas de quoi financer le mariage de ma sœur.”
“Je n’ai plus l’âge de croire aux princesses” rajoute, goguenarde, Elaine, une mère du quartier de Birkenhead quand on lui demande si elle suivra les célébrations. Partout en Angleterre, on a pourtant fêté joyeusement, à longueur de street-parties, le mariage princier. Décorées de drapeau britanniques, de drapeaux des jeunes mariés et de tables où chacun a contribué avec sa recette préférée, des milliers de rues anglaises ont ainsi été bloquées à la circulation, pour célébrer entre riverains cette monarchie que tout le monde moque mais que personne ne songe réellement à renverser.
Les habitants de Liverpool ne se sont pas pas bousculé pour envoyer des requêtes officielles (et obligatoires) de street party : seulement quatre demandes. La seule agglomération de Sefton, à une poignée de kilomètres de l’autre côté de la rivière Mersey, en a déposé plus de trente ! “Les gens d’ici ont des soucis autrement plus graves qu’un mariage royal”, s’agace Patrick, un fan hardcore du club d’Everton, catholique et fâché avec la famille royale pour cette même raison : les catholiques sont toujours bannis du trône. Mais il y a plus récalcitrant encore à cette ambiance de fête obligatoire : les habitants de la ville de Hull, sur le côte Est anglaise, n’ont déposé aucune demande officielle de street party.
Des sacs à vomi aux couleurs des Windsors
La ville, un peu à part et utopiste, ne fêtera pas ce mariage qui a offert à l’Angleterre un exceptionnel week-end férié de quatre jours et un commerce indécent de babioles, dont d’hilarants détournements – comme ces sacs à vomi aux couleurs des Windsors, pour ceux qu’indisposeraient ce battage médiatique.
On retrouve chez lui le rappeur Bang On!, jeune star du hip-hop de Liverpool, pour évoquer ce décalage indécent entre l’hystérie qui secoue Londres en ce jour de mariage et l’indifférence qui règne sur les bords du Mersey. On le découvre prostré devant la télé, regardant les noces depuis le matin.
Il a beau s’étonner du silence absolu de la musique anglaise sur le cas de la monarchie depuis les Sex Pistols, il ne sera pas celui qui jettera le premier cocktail molotov. Avec son débit Uzi de commentateur du quartier sinisré de Toxteth, il raconte à quel point il se sent effectivement écarté et lointain de ces pompes, de ces élites sociales et de la blancheur absolue des invités du mariage. Et en même temps, il reconnaît une “tendresse” pour la famille royale.
“Ils se font sans arrêt défoncer ici à Liverpool, les gens pensent qu’ils ne sont les putains de souverains que des gens du sud, des gens d’argent. Mais moi, je ne jette pas la pierre, je les trouve assez cool. D’ailleurs, un sosie de la reine joue de la guitare dans ma dernière vidéo. C’est quand même la putain de Reine, ne l’oublions pas.”
Le gansta-rap n’est plus ce qu’il était, votre majesté.
JD Beauvallet
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