Un grossiste en volailles a porté plainte pour discrimination raciale contre la société qui gère le marché : elle lui aurait refusé un nouvel emplacement à cause de ses origines marocaines.
C’est la Légion d’honneur boutonnée au veston que Marc Spielrein, tout-puissant patron de la Semmaris, la société d’économie mixte qui gère le marché international de Rungis, s’est présenté devant le tribunal de Créteil. Le vendredi 18 mars, il y répondait de l’accusation de discrimination portée contre l’entreprise. Une première pour le plus gros marché de produits frais au monde.
M. Rahmouni, gérant de la société Félix Fort, grossiste en volailles à Rungis, a porté plainte après que la Semmaris lui a signifié en 2008 qu’il n’aurait pas sa place dans le nouveau pavillon de la volaille qui doit ouvrir ce 15 avril.
« J’ai une bonne place, c’est ça qui dérange »
Pour M. Rahmouni, ça ne fait aucun doute, c’est parce qu’il est d’origine marocaine et qu’il dirige une entreprise sur ce pavillon qu’on veut l’exclure. A la barre, cet homme de 67 ans au physique de fort des Halles raconte, la gorge serrée, les difficultés qu’il rencontre depuis qu’il a racheté la société Félix Fort en 2002.
« Il y a un groupe qui veut rester tout seul. J’ai une bonne place au pavillon et c’est ça qui dérange. Or, cette société je l’ai acquise pour la léguer à mes enfants. »
Son avocat, Me Cessieux, poursuit : « Petit à petit, les fournisseurs historiques n’ont plus voulu travailler avec lui, on ne lui sert plus la main le matin, et l’inscription ‘sale arabe’ a été inscrite sur les toilettes du pavillon. »
La mise en cause est grave pour la Semmaris, qui gère près de 1300 entreprises et 12 000 emplois.
« La discrimination, c’est à la mode, ça intéresse les médias, se défend Me Raskin, l’avocat de la Semmaris, mais le dossier est vide, il n’y a rien ! »
Rien n’est moins sûr. Dans sa lettre d’éviction, la Semmaris indique, pour seul et unique motif, des infractions à l’article 19 du règlement intérieur du marché. Il oblige les commissionnaires (ces dirigeants d’entreprises qui jouissent d’une commission à Rungis) à ne vendre de la marchandise qu’à des clients munis de cartes d’acheteurs. Une règle qui vise à lutter contre la fraude fiscale et à empêcher une pratique, semble-t-il, répandue. Or, parmi les entreprises redressées pour cette infraction, seule celle de M. Rahmouni est frappée d’exclusion. Pour Me Cessieux, il s’agit bien là d' »une discrimination déguisée en acte administratif ». Me Raskin s’indigne :
« Ce n’est pas parce que la Semmaris s’est plantée dans ses motivations que la Semmaris est raciste et xénophobe ! »
Son PDG, M. Spielrein, explique à la barre, d’une voix calme, que « Rungis est un monde extrêmement divers, à l’image de la France et de l’Europe (…) la diversité se voit à la simple visite du marché. »
« Oui il y a plein de nationalités à Rungis, réplique le défenseur de la société Félix Fort, mais il y a une hiérarchie ! Le statut de commissionnaire, c’est l’aristocratie de Rungis. Une personne d’origine maghrébine est arrivée en haut de l’échelle, c’est ça qui a dérangé. La volaille et le gibier, c’est le terroir, on veut des Français! »
Une entreprise mise en quarantaine
Lors de l’enquête préliminaire, la Semmaris avait tiré une autre cartouche qui réapparaît au procès : la situation de l’entreprise Félix Fort qui a connu un redressement judiciaire. Un argument solide, mais qui ne figure pas dans la lettre d’éviction. Comme une défense montée sur le tard.
Pour sa part, au tribunal, la procureure assure qu’il existe « un pré carré de la volaille » et que l’entreprise Félix Fort a été « mise en quarantaine ». La magistrate réclame que le juge reconnaisse la culpabilité de la Semmaris, assortie d’une mesure d’ajournement de la peine pour laisser la possibilité aux deux parties de trouver un accord. Délibéré le 20 mai.
Simon Piel