La célèbre avocate Caroline Mécary est convoquée en commission disciplinaire pour un mail mettant en cause l’un des deux candidats au bâtonnat de Paris adressé à tous ses confrères pendant la campagne.
Ça se dispute au pays des robes noires. L’élection du bâtonnier de Paris – grand chef des avocats de la capitale – est soumise à un vaste débat. L’objet de toute cette agitation: un mail, envoyé à l’entre-deux tours, par Caroline Mécary, avocate médiatique de la cause homosexuelle et soutien officiel de la candidate Christiane Féral-Schuhl. Elle y accuse l’adversaire de cette dernière, Pierre-Olivier Sur, de mensonges et de conflits d’intérêts. Poursuivie par l’actuel bâtonnier Jean Castelain en commission disciplinaire, Me Mécary doit comparaitre mardi prochain.
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Décembre 2010. Deux candidats s’affrontent au deuxième tour de l’élection du bâtonnat. En jeu, le poste de bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, qui regroupe la moitié des effectifs du pays.
Pierre-Olivier Sur, 47 ans, sorti en tête du premier tour, est une « star » du barreau. Grand pénaliste, il s’est fait remarquer dans des affaires médiatisées telles que le sang contaminé ou les HLM de Paris et a mené la fronde sur la présence des avocats en garde à vue. Il est aussi connu de beaucoup de jeunes avocats pour avoir été leur professeur de déontologie à l’école du barreau.
Face à lui, Christiane Féral-Schuhl, 53 ans, est spécialisée en droit de la propriété intellectuelle. Moins connue que son concurrent, elle l’emportera finalement avec 336 voix d’avance sur un total de 10 262 suffrages exprimés.
D’aucuns voient dans la victoire de celle qui était présentée comme une outsideuse, le signe de la féminisation de la profession:
« La carte féminine a forcément joué, analyse une jeune avocate. D’autant plus que Brigitte Longuet, sortie troisième du scrutin a appelé à voter pour elle. »
Oui mais voilà. Le 1er décembre, soit la veille du deuxième tour, les 22 000 avocats du barreau de Paris reçoivent un mail signé Caroline Mécary. L’avocate, qui soutient officiellement Féral-Schuhl, dézingue son concurrent. Intitulé « Comment cela s’appelle-t-il ? », et également publié sur son blog, le mail accuse Pierre-Olivier Sur de manquer d’éthique et soupçonne sa colistière, Catherine Paley-Vincent, de conflits d’intérêts.
« Comment cela s’appelle-t-il lorsque Pierre-Olivier Sur choisit comme thème de son intervention à l’Ecole de Formation des Barreaux à la rentrée 2009 « L’éloge du mensonge » tandis qu’il ambitionne aujourd’hui d’être le garant de la déontologie ? »
Elle conclut sa missive en l’accusant d’être un « pompier pyromane ». Caroline Mécary avait déjà publié deux précédents posts sur son blog, qui attaquaient frontalement Pierre-Olivier Sur, affirmant notamment que « des dizaines de confrères [avaient découvert] que c’est à leur insu qu’ils figurent sur la liste de soutien » de ses concurrents.
« Avec 336 voix de différence, ce mail a forcément joué », assure un avocat. D’autant plus que l’usage veut que seuls les candidats puissent envoyer des mails à l’entre-deux tours. »
Le bâtonnier, Jean Castelain, a très vite convoqué Caroline Mécary en commission disciplinaire. Elle doit se tenir mardi prochain. Pierre-Olivier Sur, le candidat malheureux, qui intervient en tant que témoin, a quant à lui commandé un rapport sur cette affaire à l’un de ses confrères, Etienne Drouard.
Surprise, le rapport établit que le mail aurait été envoyé depuis une plateforme professionnelle d’envoi. La même que celle qu’utilisait Féral-Schuhl pour ses mails de campagne. Plateforme éditée par une société qui appartiendrait au mari de la candidate, Laurent Schuhl.
« L’infrastructure utilisée par Madame Christiane Féral-Schuhl durant sa campagne, résultant d’un logiciel et de serveurs d’envoi de courriels qui sont respectivement édités et détenus par la société Mysoft, détenue et gérée par Monsieur Laurent Schuhl, a été utilisée pour l’envoi du mail litigieux du 1er décembre 2010 au nom de Madame Caroline Mecary. »
Christiane Féral-Schuhl, qui avait dans un premier temps formellement nié être la commanditaire de ce mail, n’a pas souhaité faire de commentaire tant que la procédure est en cours. Même son de cloche du côté de Caroline Mécary. « Nous réservons la primeur de nos déclarations aux juges », a assuré son avocat Yann Streiff.
Vice de procédure, attaque déloyale ou vengeance du vaincu, cette affaire a surtout révélé l’intensité de la campagne qui n’a pas été exempte de coups-bas.
« Ce n’était pas une très jolie campagne. Les candidats ont passé leur temps à se tirer dans les pattes plutôt que de nous expliquer leur programme », raconte une jeune avocate qui votait pour la 1ère fois.
Quand, il y a quelques années, l’élection du grand patron des avocats se faisait par des copinages ou à grand renfort de cocktails, aujourd’hui, la campagne est beaucoup plus violente et chaque candidat développe une vraie machine à gagner. Avec un véritable arsenal numérique pour séduire les votants : compte Facebook, Twitter, blog perso, aucun support multimédia n’a été laissé au hasard.
« Pierre-Olivier Sur nous a tous demandé en amis sur Facebook. témoigne un jeune avocat, à l’époque élève à l’école du barreau. Il fréquentait aussi assidument les after-works. »
Juridiquement, le délai de recours (8 jours) est dépassé, et l’élection ne peut pas être annulée.
« Plus que son poste, c’est sa moralité en tant que future bâtonnière qui est en jeu, explique un avocat. D’autant plus que le dernier mail envoyé attaquait la moralité de Pierre-Olivier Sur. »
Ironie du sort, Christiane Féral-Schuhl, qui sera investie le premier janvier 2012, est spécialisée en droit… des nouvelles technologies.
Cerise Sudry Le-Dû
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