Magazine français consacré aux lesbiennes, Well Well Well vient de sortir son deuxième numéro en librairies, avec Soko en une et un “petit précis de grammaire égalitaire” s’appliquant sur chacune des pages. Nous avons interrogé sa rédactrice-en-chef, Marie Kirschen. Elle revient sur la naissance de ce projet, sa singularité et la représentation des lesbiennes dans notre société. Pourquoi […]
Magazine français consacré aux lesbiennes, Well Well Well vient de sortir son deuxième numéro en librairies, avec Soko en une et un « petit précis de grammaire égalitaire » s’appliquant sur chacune des pages. Nous avons interrogé sa rédactrice-en-chef, Marie Kirschen. Elle revient sur la naissance de ce projet, sa singularité et la représentation des lesbiennes dans notre société.
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Pourquoi avez-vous lancé Well Well Well ?
Le projet est né fin 2013 alors que tous les titres lesbiens venaient de disparaître. J’étais responsable de Têtue.com, la déclinaison lesbienne de Têtu. Mais le magazine a été racheté en 2012 et le repreneur a choisi d’arrêter le site fille. La Dixième Muse a dû stopper sa publication à peu près au même moment et Lesbia Magazine a aussi disparu en 2012.
C’était pourtant la période de tous les débats sur le mariage pour tous, la PMA… Donc il y avait un vrai manque du côté de la presse lesbienne, car d’un côté les titres homos comme Têtu demeurent plutôt masculins, et de l’autre la presse féminine ne parle pas aux lesbiennes. Il était important de leur donner une voix, et c’est tout le projet derrière Well Well Well.
Comment le titre a-t-il été accueilli en librairies?
Le premier numéro est sorti en septembre 2014. Il avait été tiré à 3000 exemplaires, et tout s’est vendu en un peu plus d’un mois. Ce qui montre clairement qu’il y a une demande !
Le même enthousiasme a prévalu lors de notre campagne de crowdfunding, pour le financement du titre. Nous l’avons lancé en décembre 2013, et nous avons récolté 10 000 euros en moins de quinze jours, dépassant même notre objectif pour finalement atteindre 17 000 euros de fonds.
Aujourd’hui, nous venons de sortir le numéro deux à 5000 exemplaires dans un petit réseau de distribution. Nous avons beaucoup de retours positifs, également de la part des garçons gays, des femmes hétéro…
Pensez-vous donc que, comme le montre le redressement judiciaire de Têtu, le goulet d’étranglement de la presse LGBT se situe dans son financement?
Le financement est très difficile, oui. Dans la presse, il y a deux sources principales de revenus : les lecteurs et la publicité. Ce qui est compliqué pour la presse LGBT car le lectorat est moins nombreux, et surtout les revenus publicitaires sont rares. Beaucoup de marques ne veulent pas apparaître dans des médias homosexuels et c’est encore plus diffiicile du côté féminin, parce qu’il y a beaucoup de clichés négatifs sur les lesbiennes, qui ne sont pas vues comme des clientes potentielles. S’il y a des fonds pour la publicité, ils seront de préférence placés dans la presse féminine hétérosexuelle. C’est dommage, car il y a beaucoup de gens motivés par projets éditoriaux autour de ces thématiques mais nous manquons de financement.
Vous avez mentionné le déficit de représentation des lesbiennes dans la presse… Quels sont les autres défis qu’elles rencontrent dans notre société ?
Je pense qu’il y a d’abord un gros enjeu de visibilité des femmes homos et bisexuelles. Lorsqu’on parle du « mariage gay » aujourd’hui, on pense immédiatement aux garçons et non aux filles. Dans les débats qui ont précédé le vote de la loi, peu de couples lesbiens ont eu l’occasion de témoigner dans les médias. Et même au sein des débats du milieu LGBT, ce sont les hommes qui prennent davantage la parole. C’est problématique car il est important pour une jeune lesbienne de voir qu’elle n’est pas toute seule, et qu’il n’y a aucune raison d’avoir honte d’aimer les filles.
Outre le problème de l’invisibilité, les associations lesbiennes ont beaucoup milité ces dernières années pour que François Hollande tienne sa promesse de campagne sur l’ouverture de la PMA aux couples de femmes. Mais il est aujourd’hui évident que cette mesure n’est pas prête d’être adoptée…
Well Well Well est-il militant ?
Nous sommes toutes des journalistes professionnelles, pas des militantes associatives. Ceci dit, notre démarche peut être considérée comme militante puisque nous travaillons bénévolement. Notre motivation n’est pas financière. Ce que nous voulons, c’est qu’un média comme celui-ci existe. C’est de donner à lire des articles qui, souvent, ne pourraient pas être publiés ailleurs dans la presse grand public.
Quels sont plus précisément ces sujets, qui font votre spécificité ?
Nous visons à mettre en lumière des femmes lesbiennes et bisexuelles. Elles peuvent être des personnalités connues (comme la chanteuse Soko en couverture du dernier numéro, ndlr) ou un peu moins, et nous voulons les faire découvrir. L’histoire du mouvement lesbien et féministe est en fait très riche, mais elle est quelque peu oubliée car peu de médias s’y intéressent vraiment. Ainsi dans le numéro 1 du Well Well Well, nous avons enquêté sur le fait d’être lesbienne dans les années 1950-1960, après la Seconde guerre mondiale mais avant les mouvements d’émancipation. Les femmes concernées étaient naturellement âgées lorsque nous avions recueilli leurs témoignages et cette œuvre apparaît d’autant plus essentielle pour se souvenir, ne pas oublier.
Avec cette même perspective historique, vous avez réalisé un « petit précis de grammaire égalitaire » dont les règles s’appliquent à l’ensemble du numéro. En quoi consistent-elles, et quel est leur objectif?
Il s’agit de remettre en cause le fait que « le masculin l’emporte sur le féminin » comme on nous l’a rabâché à l’école. Car derrière cette règle qu’on ne questionne plus tellement on y est habitué, il y a une idéologie sexiste. Elle est résumé en 1767 de la manière suivante par le grammairien Beauzée: « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». Nous avons donc décidé de revenir à la règle de la proximité (l’accord se fait avec le terme le plus proche), qui existait avant que la règle de la supériorité du masculin ne s’impose au XVIIe siècle – et donc il n’y a pas si longtemps! Nous utilisons aussi la forme féminine des noms de métier quand il s’agit de celui d’une femme. Cela peut paraître compliqué à première vue, mais en fait ces règles sont plutôt plus simples!
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