Une réunion de crise se tenait vendredi dernier à TF1 pour tenter d’élaborer une solution à la chute des audiences du 20 heures. La faute à l’actualité internationale, à l’info permanente, à Plus belle la vie : TF1 a un tas d’explications à l’érosion de son 20 heures… Et sa présentatrice ?
« Cette semaine, nous vous avons présenté des images exceptionnelles du pape dans l’intimité. Des images qui étaient filmées par le Vatican et non par l’équipe de TF1 et de Maurice Olivari. »
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La voix de Laurence Ferrari se fait plus basse. « Toutes nos excuses pour cette information erronée. » On enchaîne sur Pâques « puisque vous êtes nombreux à avoir fait vos provisions d’oeufs »… Quelques jours plus tôt, le soir du 19 avril.
« Le pape a ouvert pour la première fois les coulisses du Vatican à une équipe de TF1, annonce Laurence Ferrari, des images exceptionnelles dans l’intimité du souverain pontife. » Le site benoit-et-moi.fr révèle que les images ont été tournées par les caméras du Vatican en 2007 et distribuées à des chaînes européennes.
La rédaction n’avait pas besoin de ça pour avoir le moral dans les chaussettes.
« On a l’impression d’aller dans le mur, raconte un journaliste. Tous les matins, on regarde les chiffres en se demandant quand ça va s’arrêter. »
L’érosion de l’audience du JT se poursuit. Pendant la première semaine d’avril, la part d’audience du 20 heures de TF1 est passée en dessous de 23 %. Du jamais vu. L’écart avec celui de France 2, de dix points en part d’audience au premier trimestre 2010, passe souvent en dessous de cinq. Et la grand-messe de TF1 se fait même régulièrement battre par M6 sur la cible des ménagères. Qui plus est, Harry Roselmack, remplaçant du week-end, a refusé de continuer, décision inédite de la part d’un joker.
» Si on était une caserne ou un hôpital, il y aurait eu des morts« , avait déjà dit à ses équipes Michel Floquet, ancien rédacteur en chef du 20 heures, célèbre pour son mauvais caractère. Aujourd’hui correspondant à Washington, d’où il va, blague-t-il à des proches, « regarder monter l’audience ». Il a été remplacé au JT par Anne de Coudenhove, longtemps rédactrice en chef du 13 heures, le dernier monument de TF1.
Difficile de faire comme si de rien n’était…
« Dans une rédaction, il faut savoir faire bouger les lignes », assure Catherine Nayl, la patronne de l’info de la chaîne dont le fauteuil ne doit pas être très confortable actuellement. Elle se défend de vouloir injecter des morceaux de Pernaut dans le journal de Ferrari : « Vouloir faire du 13 heures au 20 heures, ce serait un non-sens ! » Dans la rédaction, on y voit une façon pour la direction de montrer aux annonceurs et en interne qu’elle réagit. Plus question de faire comme si de rien n’était.
« Le journal de 20 heures doit trouver sans doute un style, une architecture, un rythme plus dynamiques et un contenu différent. Nous y travaillons d’arrache-pied », a déclaré Nonce Paolini, pdg du groupe TF1, lors de l’assemblée générale des actionnaires. Grosso modo, on en reprend tous les aspects… sauf la présentation.
« Paolini s’accroche comme un dingue à Laurence Ferrari. La direction ne veut pas admettre que Ferrari ne plaît pas », dit un journaliste.
Curieusement, la présentatrice la plus regardée de France ne semble pas exister dans l’imaginaire collectif. Elle n’a ni sa marionnette aux Guignols sur Canal+, ni sa voix chez Nicolas Canteloup, l’imitateur d’Europe 1, ou Laurent Gerra, celui de RTL. Elle n’apparaît pas dans le classement des personnalités préférées des téléspectateurs réalisé par les magazines de télévision, où l’on voit pourtant David Pujadas, Laurent Delahousse ou même Yves Calvi malgré des audiences plus faibles.
Elle a résisté aux assauts. Etienne Mougeotte s’est vanté d’avoir recommandé de la « mémériser ». A la rentrée 2009, Axel Duroux débarque de RTL à TF1 en numéro deux. Duroux souhaite lancer un grand chantier de rénovation de l’info en vue de la présidentielle de 2012 et chercher des forces à l’extérieur. Paolini ne voit pas les choses ainsi. Duroux quitte TF1 après six semaines, frustré de ne pas avoir les coudées franches. Paolini reste seul maître à bord et Ferrari reste au 20 heures.
« Un an et demi plus tard, il ne s’est rien passé, c’est incroyable pour une chaîne qui joue gros », lâche le patron de l’info d’une chaîne concurrente, où l’on s’interroge même sur la patience de Martin Bouygues qui « laisse Paolini couler le navire ».
Le déclin du JT de TF1 s’inscrit dans celui de l’ensemble de la chaîne. Lors d’un déjeuner de direction, Laurence Ferrari a défendu l’idée que la baisse était structurelle. C’est en partie vrai. Ceux qui s’intéressent à l’information peuvent en grignoter toute la journée sur le web ou sur les chaînes d’info, ils n’ont pas besoin d’attendre le journal des grandes chaînes. Il y a quinze ans, un grand événement était à peine défloré avant le 20 heures ; il fallait la mort de Mitterrand pour que les chaînes cassent leurs grilles.
Aujourd’hui, l’élasticité de l’audience de BFM, I-Télé et LCI en fonction de l’actualité témoigne de ces nouveaux modes de consommation d’info. « Quand arrive 19 h 58, il y a des tas de choses qu’on connaît déjà », reconnaît Catherine Nayl. Conséquence : la mission du JT du soir n’est plus d’apprendre les infos du jour aux téléspectateurs. Alors, à quoi sert le 20 heures aujourd’hui ? Sur France 2, on regarde le 20 heures parce que c’est le 20 heures. En témoignent la voix off solennelle qui annonce « le journal de 20 heures », les bongs sonores qui rythment l’annonce des titres, le petit logo « 20 heures » qui tournicote en bas à droite de l’écran.
« On est revenu aux fondamentaux », selon les mots de Thierry Thuillier. Ancien rédacteur en chef du 20 heures parti diriger I-Télé, il est revenu à la rentrée prendre la direction de l’info de France Télévisions.
M6 a fait le pari inverse : on regarde parce que ce n’est pas le 20 heures. Lancé il y a un an et demi, son journal commence à 19 h 46 et finit à 20 h 07.
« Cinq titres. Une tendance (par exemple le retour du noeud papillon – ndlr). Une star pour finir. »
Pour Vincent Régnier, directeur adjoint de l’info de la chaîne, la ligne est très claire. Elle vise les femmes et les jeunes. « D’un rapport démographique de l’Insee, on sortira ‘les femmes n’ont jamais fait autant d’enfants’ plutôt qu’un sujet sur les maisons de retraite. » Rien d’institutionnel. « Si ça amène de l’émotion, ça a sa place dans le journal. » L’effritement du JT de la première chaîne ? « Sur TF1, ça tâtonne un peu », concède Vincent Régnier. Dans son bureau à France Télévisions, Thierry Thuillier commente, un oeil sur son 20 heures, un oeil sur celui de TF1.
« Le marché de l’information est un marché ouvert. On a peu d’exclusivités. Ce qui fait la différence, c’est la narration. Je ne comprends pas ce qu’ils font. »
La faute à l’actualité ?
A TF1, on a le sentiment d’avoir été pénalisé par la très riche actualité internationale des derniers mois. Catherine Nayl se demande si certains téléspectateurs n’ont pas décroché en ayant « l’impression qu’on est dans un cycle qui ne s’arrête pas ». C’est aussi l’argument que Laurence Ferrari a donné à TV mag :
« Je suis revenue au début des révolutions dans le monde arabe. Cette actualité très dense est survenue à une période où les Français ont semblé avoir envie de choses plus légères. Ils se sont, un peu plus que d’habitude, tournés vers des programmes alternatifs comme Plus belle la vie ou Scènes de ménage. »
Pourtant, le journal de France 2 n’a pas connu la même érosion. Entre le premier trimestre 2010 et celui de 2011, TF1 a perdu 600 000 téléspectateurs (de 7,7 à 7,1 millions) quand l’audience du JT de France 2 est restée stable (à 5,1), en proposant un journal en direct de la Tunisie après la chute de Ben Ali, seize minutes d’une autre édition consacrées à la Côte d’Ivoire…
Longtemps, le téléspectateur a zappé sur TF1 lors de grands événements internationaux.« Mais maintenant, cela profite à France 2, résume Thierry Thuillier. Ce qui nous handicape, c’est la neige. » Les intempéries, ça se regarde sur TF1.
Tout n’est pas rose à France Télévisions. Dans les couloirs, un compte-rendu de réunion déplore le langage de caserne employé dans les conférences de rédaction. « France 2 a une bonne dynamique en ce moment », lâche pourtant, envieux, un journaliste de TF1. Le moral n’est décidément pas le même. Quant aux prétendues « images exclusives » de l’intimité du pape, l’assistant de Laurence Ferrari a été appelé à plus de vigilance dans l’écriture de ses lancements. « Pas touche à Ferrari », résume un journaliste.
Guillemette Faure
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