Après cinquante-six ans d’existence, le journal d’extrême droite lance une souscription, et se donne trois mois pour survivre.
L’ombre de la faucheuse plane sur la “une” du journal Minute, cette semaine du 10 janvier. Un sinistre encart grignote la couverture consacrée à l’immigration clandestine (comme c’est original), et appelle les lecteurs de l’hebdo d’extrême droite à l’aide : “Aidez nous ! A cause d’un prestataire qui devrait être à notre service comme à celui de tous les titres de la presse française – Trois mois pour aider ‘Minute’”. Dans ses pages, un long texte expose la situation périlleuse du magazine. Victime collatérale, comme beaucoup d’autres titres de presse écrite, de la crise de la société de distribution Presstalis, il risque de disparaître des kiosques et des marchands de journaux. En cause, la décision de Presstalis (rendue publique le 6 décembre) de retenir 25% du chiffre d’affaires issu des ventes de la presse quotidienne et magazine, vraisemblablement pour renflouer sa trésorerie.
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“Nous avons fait les comptes : ça ne passe plus”
Ce manque à gagner pourrait être fatal à l’hebdo, qui survit tant bien que mal avec trois salariés sans locaux, et une quasi-totalité de pigistes. Sa ‘une’ raciste sur Christiane Taubira en 2013 – pour laquelle il a été condamné à 10 000 euros d’amende – lui avait octroyé une éphémère visibilité. Mais depuis, c’est encéphalogramme plat. “Nous avons fait et refait les comptes : avec 25 % du produit de nos ventes en kiosque et chez les marchands de journaux en moins, ça ne passe plus, résume la tribune. Notre imprimeur, bienveillant, ne peut pas baisser plus encore ses tarifs sauf à perdre de l’argent. Nos frais sont réduits au strict minimum.”
Minute se donne donc “trois mois” pour trouver une solution qui lui évite de fermer boutique. Ce pourrait être un repli sur la vente par abonnement seulement ; ou un changement de distributeur, à condition de remplir suffisamment ses caisses (d’où un appel insistant aux abonnements). Mais même dans ces hypothèses, l’avenir du titre est incertain : “Je n’ai pas l’impression qu’à court terme il puisse mourir. Mais à moyen terme, un titre qui se retire des kiosques alors qu’il vit en partie grâce à ses ‘unes’ est condamné”, soupire Bruno Larebière, qui en fut rédacteur en chef pendant dix ans (jusqu’en 2011), et qui y collabore désormais en tant que pigiste.
“A moyen terme, un titre qui se retire des kiosques alors qu’il vit en partie grâce à ses ‘unes’ est condamné” – Bruno Larebière
La dure concurrence du “politiquement incorrect”
Au-delà de la crise générale de la presse écrite, la lente agonie de Minute est aussi un signe du temps. Fondé en 1962 par des partisans de l’Algérie française, ce titre proche de l’extrême droite, indépendant vis-à-vis des partis politiques mais qui a toujours soutenu en dernière instance le Front national, a tiré jusqu’à 250 000 exemplaires par semaine jusqu’en 1981 – son âge d’or. Selon le Dictionnaire de l’extrême droite (éd. Larousse, 2007), son déclin commence au milieu des années 1980, alors que la parole d’extrême droite se désinhibe et trouve d’autres canaux d’expression.
Racheté en 1993 par un ancien dirigeant d’Ordre nouveau, Gérald Penciolelli, qui rêvait d’en faire un “Canard enchaîné de droite”, et dirigé depuis 2002 par Jean-Marie Molitor, Minute n’occupe plus une position aussi singulière qu’auparavant dans le paysage médiatique. Dans le concert du “politiquement incorrect” dont se revendiquent désormais de nombreux titres à droite (Valeurs Actuelles, Causeur, L’Incorrect, Limite…), sa voix est devenue relativement inaudible. “Il est évident que Valeurs Actuelles occupe le même créneau, davantage que L’Incorrect ou Causeur, qui sont des mensuels”, analyse Bruno Larebière. La surenchère des ‘unes’ hostiles à l’islam de certains magazines de la droite classique sous François Hollande a aussi participé à sa marginalisation. Et ce n’est pas la couverture de Minute avec une vue plongeante sur le décolleté de Marion Maréchal-Le Pen, en décembre 2014, qui a changé la donne.
le Front préfère les blondes @FN_officiel @Marion_M_Le_Pen pic.twitter.com/1hnDROeCd5
— MINUTE (@MinuteHebdo) December 2, 2014
Vampirisé par Valeurs Actuelles ?
Concurrencé sur le terrain de la provocation, Minute voit aussi la place politique qu’il occupait réduite à la portion congrue. Alors qu’il fut longtemps le seul titre à se situer au croisement entre la droite classique et l’extrême droite (en accordant notamment des interviews à des membres de l’UMP), la nouvelle formule de Valeurs Actuelles s’est imposée comme le nouveau creuset de “la droite hors les murs” en 2016.
En 2007, le journal revendiquait un tirage de 40 000 exemplaires par semaine. Aujourd’hui il ne communique plus sur sa diffusion, mais une source interne nous confiait en 2013 que les abonnements représenteraient entre 60 et 70% de ses ventes. Cette nouvelle séquence pourrait donc être son baroud d’honneur, même s’il a survécu à de nombreuses crises dans le passé, souvent concomitantes à celles que traversait le FN. “Minute a traversé des crises internes dues à des prises de position politiques, mais là, c’est un événement extérieur unilatéral, un oukase du prestataire, qui est en mesure de faire cesser d’exister les journaux qui n’ont pas les reins solides. C’est dément et il n’y a aucun recours”, conclut Bruno Larebière.
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