Le journal britannique « The Independent » a décidé de ne plus traiter dans ses colonnes des livres présentant un marketing genré.
La mesure, très forte, démontre s’il en était besoin que la question des stéréotypes véhiculés par les livres pour enfants déborde largement le cadre de l’Hexagone. Dans une tribune mise en ligne le 16 mars, Katy Guest, la chef de la rubrique livres de The Independent on Sunday, l’édition dominicale du journal britannique The Independent, explique que sa rédaction ne parlera désormais plus des livres dont le marketing est genré, autrement dit des livres sexistes :
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« Ce journal et ce site ne parleront plus des livres qui sont explicitement destinés aux filles ou aux garçons. La section livre de The Independent fera de même. (…) Tout livre pour filles au sujet de princesses ennuyeuses qui atterrira sur mon bureau ira directement à la poubelle à côté de tout Super grand livre de petit morveux destiné aux garçons. Si vous êtes un éditeur qui pense que votre livre s’adresse à tous les enfants, nous serons très heureux de vous rencontrer. Le prochain Harry Potter ou Katniss Everdeen [héroïne de Hunger Games – ndlr] ne sortira pas avec une couverture rose. Nous vous remercions donc de ne pas nous envoyer ce genre de livres. »
Stop aux couvertures roses
Le boycott est né en réaction à une interview donnée par Michael O’Mara, PDG des éditions Buster Books, à The Independent. Il y expliquait refuser d’adhérer à la campagne Let Books Be Books qui incitait les éditeurs à mettre un terme au marketing genré : « C’est avéré qu’un grand pourcentage de gens achètent pour leurs enfants en fonction de leur sexe. Nous savons que quand ils achètent sur Amazon, ils tapent souvent « livres pour garçons » et « livres pour filles ». Tous les garçons n’aiment pas une même chose et toutes les filles n’aiment pas une même autre chose mais le fait est que beaucoup de garçons aiment les mêmes choses et beaucoup de filles pareil« .
Ses propos ont fait bondir Katy Guest (à juste titre) : « N’a-t-il jamais entendu parler du best-seller de Suzanne Collins, Hunger Games, qui a pour personnage principal une femme, a une couverture dépourvu de rose et est autant aimé par les garçons que par les filles ? Pour ceux qui ne le sauraient pas, l’héroïne, Katniss Everdeen, est plutôt habile avec un arc et une flèche et ne passe pas beaucoup de temps à se préoccuper de son apparence ». Pour elle, en développant des produits genrés, les éditeurs et les entreprises de jouets pour enfants ne cherchent qu’à « pousser les parents à acheter deux fois plus« . Elle rappelle aussi :
« Il y a aussi ceux qui soutiennent que les enfants sont dirigés vers un chemin masculin ou un chemin féminin dès leur conception, et qu’aucune quantité de lecture ne pourra rien y changer. En fait, il n’y a aucune preuve que les garçons et les filles sont nés avec différents intérêts et plein de preuves qu’ils acquièrent leurs goûts en sociabilisant. »
Et de prendre pour exemple le roman Mathilda de Roal Dalh, « désormais publié avec une couverture rose« . « Un libraire a rapporté avoir vu une mère arracher un exemplaire de ce roman des mains de son garçon en lui disant ‘ça c’est pour les filles’ comme elle le reposait sur l’étagère ». Katy Guest raconte également que la publication de livres marketés pour les garçons et de livres marketés pour les filles pousse certains éditeurs à exiger des auteurs des livres véritablement écrits en fonction du sexe auxquels ils se destinent. « En cataloguant les enfants, nous les laissons tomber. Les livres, plus que toute autre chose, devraient être destinés à tout enfant qu’ils intéresseraient ».
De la censure ?
La décision de Katy Guest n’a pas fait l’unanimité. Dans un article publié deux jours plus tard, la rédactrice répond aux critiques reçues. Elle se défend de faire dans la censure en rappelant que son métier de critique consiste justement à choisir de quels livres parler ou non. « J’ai déjà expliqué pourquoi je ne peux recommander un livre qui exclut la moitié des lecteurs dès le départ, et consacrer une critique à un livre juste pour expliquer en quoi il est mauvais me semble contre-productif. Vous ne préfériez pas savoir quels livres valent le coup ? » interroge-t-elle.
Concernant la fameuse « couverture rose » à laquelle elle s’en prend dans sa première tribune, la journaliste précise qu’elle ne mettra pas de côté tout livre comportant du rose ni tout ouvrage dont le titre serait composé du mot « princesse ». « Cependant, tout éditeur publiant un livre de cuisine rose avec des photos de filles sur la couverture, et un livre bleue sur le football avec des garçons sur la couverture, envoie inévitablement un message. Pas vraiment ‘explicite’, mais assez tout de même ». Et si les médias français suivaient l’exemple ?
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