Après avoir longtemps négligé ses productions passées au profit d’une course incessante à la nouveauté, l’industrie du jeu vidéo a découvert les bienfaits des rééditions et remasterisations. Une forme de paresse, jugent certains. Et si on avait au contraire tout intérêt à (re)découvrir ces jeux aujourd’hui ? En voilà quatre, sortis entre le milieu des années 2000 et le début des années 2010, qui méritent plus que jamais le détour.
Phoenix Wright : Ace Attorney Trilogy
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Objection ! Objection à cette idée ancienne mais tenace que les jeux vidéo d’hier vaudraient moins que ceux d’aujourd’hui et que rééditer un titre du passé (plutôt qu’en sortir un nouveau, comme si l’un empêchait nécessairement l’autre) serait en soi paresseux. “Objection”, c’est aussi l’un des gimmicks de Phoenix Wright, le personnage – un jeune avocat de la défense aux cheveux hérissés – comme la série de jeux d’enquête et de procès à laquelle il prête son nom, tubes internationaux du milieu des années 2000 sur la Nintendo DS. Et dont on pourrait aussi bien assurer, au vu de la réédition de ses trois premiers épisodes convertis sur les principales machines à jouer actuelles, qu’ils font aussi partie des toutes meilleures œuvres de 2019.
Rectifions : plutôt que des trois premiers épisodes, on devrait parler des trois premières saisons de la saga Ace Attorney (qui compte aussi des spin-offs autour de l’avocat de l’accusation Miles Edgeworth et un cross-over avec le Professeur Layton), par analogie avec les séries télé que les aventures à la fois fantaisistes et rigoureuses de Phoenix, ses complices (dont la jeune Maya) et ses adversaires évoque puissamment. Non content de s’installer au croisement du visual novel japonais (généralement peu interactif) et du point and click occidental (où l’écran est une zone mystérieuse à étudier pour en percer les secrets), Phoenix Wright s’inspire en effet largement de la grammaire des séries – les cliffhangers, en particulier, y tiennent une place essentielle. Mais, plus profondément, il se vit aussi comme elles. Tout ici, est affaire de familiarité sur la durée, d’équilibre entre répétitions et subtiles variations, jusqu’au moment où on casse tout pour tout recommencer (exactement comme avant, d’ailleurs, parfois).
Dans les années 2000, Phoenix Wright fut un jeu précurseur qui, vu d’aujourd’hui, ouvrait la voie à des titres “épisodiques” comme The Walking Dead de feu Telltale Games, voire au français Life is Strange. Avec le recul, il a aussi beaucoup fait pour la popularité en Occident, certes toujours modeste malgré quelques frémissements, des visual novels nippons. Son retour en beauté aujourd’hui, particulièrement sur la Switch où son lifting HD n’entraîne pas la perte de cette portabilité qui sied à merveille à son style manga / série télé, n’est que justice. Pour services rendus à ces diverses causes, mais surtout parce que son humour, son sens du tempo et sa manière de miser sur l’intelligence du joueur frappent toujours aujourd’hui. Qu’on se le dise : alors même que sa toute première version (sur GameBoy Advance, en 2001) fêtera dans pas si longtemps ses vingt ans, cette superbe trilogie se révèle plus moderne que bien des jeux théoriquement d’aujourd’hui.
Sniper Elite V2
Au-delà des retrouvailles émues, les rééditions et remasterisations sont bien évidemment d’abord un moyen de faire découvrir découvrir des titres que certains, parce qu’ils étaient trop jeunes ou qu’ils regardaient ailleurs, avaient raté lors de leur première sortie. En ce qui nous concerne, la deuxième option s’applique pour Sniper Elite V2 qui, avec six ans de retard, est notre révélation du mois. Sniper Elite V2 est ce qu’on pourrait appeler un jeu de tir sérieux. Pensez Call of Duty. Imaginez un jeu qui ferait le contraire sur à peu près tous les plans. Voilà, vous y êtes.
Jouer à Sniper Elite V2, c’est d’abord accepter de prendre son temps. Et ses précautions. Dans cette aventure qui nous met dans la peau (ou peut-être plutôt dans la tête) d’un officier américain envoyé à Berlin alors que la Seconde Guerre Mondiale touche à sa fin, on ne progresse que pas à pas et en s’appliquant. Il faut bien regarder autour de soi – sauf que, parfois, on ne voit justement pas si bien que ça. Il faut minutieusement planifier ses actions – sauf qu’à l’occasion, les événements nous obligent aussi à improviser. Pas de feu d’artifice, de grand spectacle, mais une forme d’austérité et de distance – on ne joue pas pour rien un sniper – qui dit aussi, sans doute, quelque chose de la guerre (qui est une tragédie, un engagement, un espoir et un travail à la fois). C’est un jeu où, soudain, on peut avoir peur de son ombre et qui met formidablement en scène le calme avant la tempête. Un jeu digne et qui, sur un territoire qui pourrait sembler sur-exploité (le shooter 1939-1945), témoigne de vrais partis pris là où tant d’autres semblent d’abord vouloir imiter le voisin. Une version remasterisée de sa préquelle, Sniper Elite III, est également attendue sur la Switch d’ici la fin de l’année. On se promet de ne pas la manquer.
Assassin’s Creed III
Disponible depuis la fin du mois de mars sur les autres consoles, la version remasterisée d’Assassin’s Creed III, le volet 2012 de la saga historique d’Ubisoft consacré à la Révolution américaine, vient tout juste de débarquer sur le Switch, accompagnée de son spin-of Liberation qui, entre autres choses, avait pour mérite de donner pour la première fois dans un Assassin’s Creed la vedette à un personnage féminin. L’avis général est que cet Assassin’s Creed III Switch n’est pas à la hauteur des très belles versions PS4 et Xbox One, ce qui, vu les capacités techniques respectives des machines, n’a rien d’étonnant, mais pas non plus des portages sur la Switch d’autres jeux de la même époque comme Skyrim, ce qui est difficilement compréhensibles. Mais ces réserves entachent pas vraiment l’expérience : même si la fenêtre qui donne sur cette Amérique de la fin du XVIIIe siècle est plus petite et peut-être un peu moins propre, le monde que l’on y observe ne s’en révèle pas moins beau (et la liberté dans son exploration qu’apporte la console portable fait plus que compenser ces défauts).
Se lancer aujourd’hui dans Assassin’s Creed III, c’est se redécouvrir de ce qu’était Assassin’s Creed avant sa réinvention en quasi-jeu de rôle du diptyque Origins (2017) – Odyssey (2018) : un jeu beaucoup plus lent à démarrer, comme contraint par sa propre mythologie (les Assassins, les Templiers…) et, plus globalement, fonctionnant comme si ses créateurs n’osaient pas encore immerger totalement le joueur dans leurs univers et le laisser vraiment se les approprier. Au point que, renouant avec l’histoire riche en rebondissements du métis anglo-amérindien Connor, on regretterait presque de ne pas la revivre cette fois avec le système de jeu des deux derniers Assassin’s Creed. Ce n’est pas vraiment une réserve : plutôt une nouvelle preuve de la grande réussite d’Odyssey et Origins et de la trace profonde qu’ils ont laissé en nous. Ne pas en déduire pour autant qu’on ne pourrait jouer à Assassin’s Creed III que faute de mieux ou en “historien” de la série avide de comprendre comment elle en est arrivé là car, en raison de cette descendance même, il nous arrive aujourd’hui comme libéré des débats sur l’évolution et l’avenir de la série qui accompagnaient inévitablement sa sortie. Nous ne sommes plus en 2012. Nous sommes en 1780. C’est au moins aussi bien.
Saints Row : The Third
Au commencement était Grand Theft Auto et plus précisément le triptyque GTA III – Vice City – San Andreas, phénomène du jeu vidéo des années 2000 dont la concurrence s’est empressé de copier les recettes (espace urbain soigneusement recréé, liberté de mouvement, esprit polar et action explosive). Parmi ses nombreux rivaux sous influence, Saints Row est l’un des rares à avoir su se distinguer, un clone qui, avec le temps, s’est laissé pousser une personnalité. Alors qu’avec son épisode IV, GTA gagnait en sérieux (par son récit, sa mise en scène…), le studio américain Volition s’est empressé d’occuper l’espace abandonné par la saga de Rockstar Games. A Saints Row, donc, la fantaisie, les outrances, voire le grand n’importe quoi. A lui les déguisements grotesques, les blagues en-dessous de la ceinture, les extra-terrestres. A lui l’anarchie pop pour le meilleur et pour le pire qui en viennent à se confondre.
C’est à partir de Saints Row : The Third (2011) que la série a vraiment assumé cette orientation finalement plus burlesque (dans un esprit joyeusement trash de série Z débridée) que dangereusement transgressive. Le retrouver aujourd’hui sur la Switch, au-delà de l’étrange décalage temporel dû à sa bande son d’époque – Oh, Clarion Call de Delphic… –, fait plutôt chaud au cœur. D’autant qu’en tant que collection d’activités (plutôt que de réalité alternative dans laquelle s’immerger façon Red Dead Redemption), il se prête à merveille à une pratique par séquences plus ou moins brèves sur une console portable. Si Saints Row : The Third est aujourd’hui ce que l’on peut trouver de plus proche, en termes d’expérience du jeu, d’un GTA sur la Switch, il a aussi valeur de rappel au désordre. Car si le jeu vidéo ne permet pas, au moins de temps en temps, de faire un peu n’importe quoi, au fond, à quoi bon ?
Phoenix Wright : Ace Attorney Trilogy (Capcom), sur Switch, PS4, XBox One et PC, environ 30€
Sniper Elite V2 Remastered (Rebellion / Sold Out), sur Switch, PS4, Xbox One et PC, environ 35€
Assassin’s Creed III Remastered (Ubisoft), sur Switch, PS4 et Xbox One, environ 40€
Saints Row : The Third – The Full Package (Volition / Deep Silver), sur Switch, environ 40€
{"type":"Banniere-Basse"}