Le musée Art Ludique expose à Paris plus de 800 œuvres, dessins, peintures, sculptures ou installations, des artistes du jeu vidéo. Et révèle la richesse d’inspiration des grosses productions françaises, comme des studios indés.
« En tant que gamer, on ne regarde pas souvent ça quand on est pris dans l’action », sembler regretter Jean-Jacques Launier. « Ça », c’est par exemple la lumière qui baigne Shangri-La lorsque, dans Far Cry 4, on pénètre dans la mythique cité himalayenne. C’est aussi le design futuriste du Paris pour Remember Me, les bâtiments de la (presque) Londres victorienne de Dishonored, les rues sombres de Heavy Rain… C’est, plus généralement, le monde derrière le jeu, parfois aussi (sinon plus) évocateur et soigné que l’expérience ludique en tant que telle. Tous ces dessins, ces architectures et ces personnages, tout cet « art dans le jeu vidéo » n’a rien d’accessoire mais fait partie intégrante de l’expérience du joueur.
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L’Art dans le jeu vidéo, c’est le nom de la belle l’exposition de fin d’année du musée parisien Art Ludique qui, après avoir célébré Marvel, Pixar, Ghibli ou Aardman, met en avant son « inspiration française » en n’excluant ni les grosses productions – les jeux Ubisoft, en particulier, sont très présents dans ses salles – ni les œuvres de studios indépendants comme OSome (White Night), Amplitude (Endless Legend) ou Swing Swing Submarine dont le prochain titre, Seasons After Fall, s’annonce enchanteur.
« Le jeu vidéo, c’est l’art total qui fait appel à la peinture, au dessin, à la sculpture, à la musique, au scénario, au gameplay », assène Jean-Jacques Launier, fondateur du musée Art Ludique et commissaire de l’exposition dont les trésors (artworks, esquisses, installations…) ont été choisis parmi plus de 60 000 documents récoltés par son équipe.
« Il y a eu tellement de lieux communs sur le jeu vidéo, sur la violence ou l’addiction, que je trouvais important d’équilibrer la balance et de proposer à un public plus large, voire un public plus jeune, de découvrir que derrière ce qu’il aime, il y a des artistes incroyables. Ça a toujours été le propos de notre musée. »
Et l’interaction ?
Il y a quelques années, on aurait sans doute un peu tiqué. S’agirait-il de légitimer le jeu vidéo en « oubliant » ce qu’il possède de vraiment singulier (l’interaction, pour aller vite) ? De dire que ce qui est noble en lui, c’est ce qui vient des autres arts ? Jean-Jacques Launier s’en défend vivement (« On est un musée spécialisé dans l’art figuratif narratif.. C’est notre ADN à nous et, dans le jeu vidéo, on est allés puiser ça. Mais, bien sûr, le gameplay est fondamental. ») et souligne que des vidéos d’entretiens avec des créateurs (Michel Ancel, David Cage, Aleksi Briclot…) disséminés à travers le parcours s’étendent aussi sur les aspects purement ludiques.
Mais, surtout, l’exposition arrive après un certain nombre d’autres, à Paris (au Grand Palais, aux Arts et Métiers, à La Villette) ou ailleurs (Rennes, Nantes…) qui ont déjà beaucoup fait pour la reconnaissance de l’art du jeu vidéo. Dans un mouvement de balancier finalement bienvenu, L’Art dans le jeu vidéo vient ainsi rappeler que le médium vidéoludique est aussi un incroyable producteur d’images et d’univers. Et un art plastique. Rappeler qu’un jeu vidéo, ça se joue, mais pas seulement, ou que « jouer » n’est pas (que) ce qu’on croit. Un jeu vidéo, ça se regarde, aussi, ça nous parle, ça nous transporte, et de bien des façons différentes.
Divisée en sept temps, de « L’Atelier d’artistes » (« Je compare souvent les studios de jeu vidéo aux ateliers de la Renaissance italienne, dit Launier, avec plein d’artistes qui venaient se réunir autour d’une grande œuvre. ») à « Magie, poésie, contes et féerie » en passant par « L’invitation au voyage » ou « Réécrire l’histoire », l’exposition frappe par la variété d’inspirations qu’elle abrite.
Dimension humaine
Ce pourrait être une relecture de l’histoire de l’art, avec ses primitifs, ses romantiques, ses naïfs, ses artistes pop et même quelques abstraits. On passe de Beyond Two Souls à From Dust, de Syberia à Dofus ou The Technomancer. Parfois, on se dit que les dessins sont mieux que le jeu (coucou, Red Steel). Et puis on verse une petite larme devant une vidéo (musicale) de Child of Light. Il y a de la haute technologie (mention spéciale à la visite du Paris révolutionnaire d’Assassin’s Creed Unity sur un écran géant incurvé) mais ce qui frappe le plus, ce sont peut-être les carnets de croquis sur lesquels on distingue, entre autres, des ébauches de Lapins Crétins.
La création vidéoludique est aussi (pour ne pas dire d’abord) lo-tech, c’est-à-dire humaine. Un œil, une main qui tient un crayon, avant la nôtre sur la manette. C’est à la fois émouvant et réconfortant. En tant que gamer ou pas, pris dans l’action ou non, on a tout à gagner à regarder ça.
L’Art dans le jeu vidéo, Musée Art Ludique, Paris, du 25 septembre au 6 mars.
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