Trois inédits et un épisode clé d’une grande série : c’est un pan à la fois rare et précieux de l’histoire vidéoludique nippone qui s’offre à nous avec les deux enquêtes Famicom Detective Club et les jeux de rôle SaGa Frontier et Shin Megami Tensei III, tous remasterisés avec soin.
“Remastered”, “Director’s Cut”, “HD”, “Ultimate Edition”… Si elles ont toujours existé, les rééditions de titres du passé (plus ou moins remis au goût du jour et augmentés) ont pris ces dernières années une place inédite dans les sorties vidéoludiques. Diverses raisons peuvent l’expliquer, de la prise de conscience que les jeux vidéo ne se périment pas forcément avec le temps et peuvent encore intéresser (et, donc, se vendre) 10, 20 ou 30 ans après leur création, à la nécessité pour l’industrie de remplir ses plannings de sorties entre deux blockbusters dont la production s’étale souvent sur plusieurs années. Mais une chose est sûre : cette tendance est une bénédiction pour les amateur·rice·s de jeux d’hier.
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Japon, années 1980
Ainsi, qui pouvait sérieusement s’attendre à voir débarquer sur les Switch occidentales les deux Famicom Detective Club, jeux d’aventure et d’enquête parus initialement en 1988 et 1989 sur la première vraie console de Nintendo, la Famicom ? Car s’ils avaient, depuis, été portés sur la Super Famicom et la GameBoy Advance, aucun de ces pionniers du visual novel n’avait été à ce jour édité en dehors du Japon. Et s’il faudra encore se contenter de textes en anglais, ce n’est pas du tout une adaptation au rabais qui nous arrive aujourd’hui.
Avec leurs dessins intégralement refaits et leur musique superbe, le premier épisode The Missing Heir et sa préquelle The Girl Who Stands Behind offrent une plongée envoûtante dans le Japon des années 1980. D’abord, dans une région rurale sur laquelle règne une riche et vieille famille; ensuite dans un lycée que l’on dit hanté pour une histoire que son auteur Yoshio Sakamoto, plus connu pour son travail sur la saga Metroid, présentait comme un hommage au cinéma de Dario Argento.
Le travail particulièrement soigné effectué sur ces deux remakes est à la fois l’une de leurs grandes qualités et ce qui rend l’expérience un peu étrange. Car dans un genre – le visual novel – où l’équilibre entre les séquences dans lesquelles il faut effectuer des choix et celles où l’on se contente de suivre l’intrigue de manière “passive” est une affaire subtile qui a gagné en nuances et en possibilités avec les années. En la matière, Famicom Detective Club manque quelque peu de finesse si on le compare à des jeux plus récents comme, par exemple, le très recommandable Root Film, lui aussi paru ce printemps (sur Switch et PS4/PS5). Par exemple, c’est souvent en relançant plusieurs fois les mêmes dialogues que l’on réussit à progresser dans le jeu. Une approche assez laborieuse et dont l’élégance très relative tranche avec celle, pour le coup difficilement contestable, de sa direction artistique. Mais si l’on parvient à passer outre ce côté un peu bancal, le diptyque est un vrai régal.
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Chercher, expérimenter
Paru il y a un peu plus d’un mois, SaGa Frontier Remastered est un autre exemple de sortie inespérée. Car s’il avait bien eu droit à un lancement sur le territoire américain, ce jeu de rôle japonais n’était jusqu’alors jamais arrivé en Europe par les canaux officiels. Septième volet de la série SaGa que son éditeur Square présentait à l’origine en Occident comme dérivée de Final Fantasy (ce qu’elle n’est pas réellement), il n’était pas tout à fait de son temps. Alors qu’en 1997 – année de sa sortie –, Final Fantasy VII faisait entrer le JRPG dans une modernité spectaculaire avec ses scènes cinématiques et sa 3D, SaGa Frontier, lui, poursuivait plutôt les expérimentations narratives en deux dimensions de la génération 16 bits, comme Chrono Trigger ou Dragon Quest IV.
C’est une aventure que l’on commence 7 fois, dans la peau d’autant de personnages différents, et même 8 pour cette belle version remasterisée qui gagne aussi quelques options de “confort” (sauvegarde à volonté, possibilité d’accélérer l’action, etc.) C’est aussi un jeu qui donne assez peu d’indices sur ce que l’on est censé·e y faire, sur les lieux où l’on devrait se rendre et, même, sur certaines de ses mécaniques assez complexes, notamment la personnalisation des compétences de nos personnages. On est ainsi invité·e à chercher, à expérimenter, dans le cadre d’un récit foisonnant qui touche moins par ses grandes lignes assez convenues que par son sens du détail. Devenu plus beau et accessible que jamais, SaGa Frontier ne se donne pas mais se mérite. Un jeu à part, hier comme aujourd’hui.
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Paranoïa urbaine
Contrairement aux deux autres jeux, Shin Megami Tensei III avait, lui, déjà connu les honneurs d’une sortie européenne en 2005, sur PlayStation 2. Mais s’il nous revient aujourd’hui en haute définition et avec divers ajouts, c’est dans un tout autre contexte. D’abord, parce que la série dont il fait partie a gagné en notoriété grâce au succès de la saga spin-off Persona. Mais aussi, parce que ce remastering a pour vocation de préparer le terrain à l’épisode V de la saga. Sa sortie mondiale, sur Switch, est espérée d’ici la fin de l’année. Cette aventure n’est donc pas qu’un flash-back : c’est aussi un tremplin.
Ici, contrairement à ce que l’on pouvait dire de Famicom Detective Club, ce qui, dans le jeu, paraît daté serait plutôt une qualité. Le côté dépouillé, géométrique et répétitif des décors de son Tokyo alternatif – qui trouve sans doute en partie son origine dans les capacités techniques limitées de la PS2 – vient opportunément nourrir le sentiment de se retrouver plongé dans un cauchemar. C’est un monde irréel, abstrait et pourtant dérivé du nôtre, un monde de paranoïa urbaine dont l’hôpital ou la galerie commerciale (pour ne citer que certains des premiers lieux visités) possèdent d’emblée quelque chose d’inquiétant.
Sur cette base profondément troublante, se déploie un jeu aussi riche que stimulant, qu’il n’est pas interdit de voir comme l’envers, le double obscur d’une autre grande série de jeu de rôle japonaise : Pokémon. Avec la ville plutôt que la campagne, les démons plus ou moins difformes (que l’on peut prendre avec soi et faire évoluer) à la place des petits monstres kawaii, et le passage à l’âge adulte (avec tout ce que cela implique de deuils et de violence) au lieu des découvertes de l’enfance.
Quoi qu’il en soit, Shin Megami Tensei III, SaGa Frontier et Famicom Detective Club, méritent largement d’être (re)découverts aujourd’hui, en ce nouvel âge d’or du jeu vidéo qui ne l’est pas que pour ses nouveautés excitantes. Mais, aussi, pour sa manière de regarder son histoire en face et de la rapatrier au présent pour voir si, par hasard, elle n’aurait pas des choses à nous dire. Car c’est généralement le cas.
Famicom Detective Club : The Missing Heir & The Girl Who Stands Behind (Nintendo), sur Switch, environ 60€
SaGa Frontier Remastered (Square Enix), sur Switch, PS4, PS5, Windows, iOS et Android, environ 25€
Shin Megami Tensei III Nocturne HD Remaster (Atlus), sur Switch, PS4, PS5 et Windows, environ 50€
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