Comme la mode ou le design, le jeu vidéo devient sujet d’études dans des revues lifestyle et des ouvrages érudits qui analysent sa philosophie et son histoire.
Certains hasards ont des airs de signe des temps. Depuis le mois de juin, le livre d’un jeune universitaire, Mathieu Triclot, fait parler de lui. Son titre annonce la couleur : Philosophie des jeux vidéo. Peu après sa parution, Yellow Media, le principal éditeur de magazines spécialisés (Joypad, Joystick, Jeux Vidéo Magazine (JVM)…), était placé en redressement judiciaire. L’époque est paradoxale : la presse spécialisée est au plus mal mais il ne s’était jamais imprimé en France autant de textes passionnants sur le sujet.
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« En tant qu’objet culturel, le jeu vidéo a été très schizophrène, ces dix dernières années, estime William Audureau qui, après avoir écrit dans bien des magazines, vient de publier une formidable Histoire de Mario (éditions Pix’n Love) et de coordonner l’adaptation française de l’ouvrage 1 001 jeux vidéo à paraître en septembre chez Flammarion. D’un côté, c’est l’un des médias qui génèrent le plus d’attachement, de passion et donc d’envie de lire et d’écrire. De l’autre, la communauté des joueurs, par nature très technophile, a été l’une des premières à migrer sur le net et ce faisant à participer à l’extinction progressive d’un de ses vecteurs culturels historiques, la presse spécialisée. L’édition permet aujourd’hui de remettre la culture jeu vidéo sur ses deux jambes : la viabilité économique et la passion. »
Approche nostalgique vs approche universitaire
Bien qu’encore très artisanale, la société Pix’n Love mène la danse après avoir lancé en 2007 la revue du même nom (dont le numéro d’été célèbre le jeu de flipper Macadam Bumper) sur le retrogaming (qui consiste à jouer et à collectionner des jeux vidéo anciens). A son actif : des sommes érudites (La Saga des jeux vidéo de Daniel Ichbiah, Des pixels à Hollywood d’Alexis Blanchet), des biographies (Gunpei Yokoi, Michel Ancel) ou des ludothèques raisonnées. Sans oublier une étonnante revue tout simplement baptisée Les Cahiers du jeu vidéo qui mobilise journalistes, universitaires, amateurs éclairés et professionnels et dont chaque livraison se penche sur un thème différent.
« L’édition se partage pour l’instant entre une approche historique, amateur et nostalgique et une tentation plus universitaire, analytique et pluridisciplinaire, plus marginale, reprend William Audureau. Mais les passerelles sont nombreuses. Je crois que la littérature sur le jeu vidéo est encore trop jeune et peu étoffée pour offrir de vrais débats d’école. Il n’y a même pas de rayon dédié à la Fnac. Pour l’instant, l’édition comble un manque, en offrant au jeu vidéo une mémoire écrite, quelque chose à partager, à raconter. »
A côté de guides pratiques pour apprentis game designers façon Concevoir un jeu vidéo (Marc Albinet, éditions FYP), la star du rayon pourrait être L’Histoire de Nintendo dont le troisième tome vient de paraître chez Omaké Books, maison d’édition de son auteur, Florent Gorges, qui y relate avec un luxe de détails ahurissant l’histoire de la console NES.
Conseiller le gamer
Pendant ce temps, les kiosques font grise mine. Malgré l’érosion de ses ventes, seul Jeux Vidéo Magazine semble encore résister. « Notre rôle principal est de conseiller le consommateur en quête d’un divertissement qui lui conviendra, note Gianni Molinaro, chef de rubrique à JVM. Un jeu coûte entre 45 et 70 euros. Ce n’est pas rien. L’avis des spécialistes, ça compte. Il est bien entendu aussi question de connaître ceux qui font l’industrie, de suivre des titres durant leur développement, d’apprendre le jargon technique. »
Et pour résister au web ? « La presse écrite bénéficie encore d’exclusivités de la part des éditeurs. Les premières infos et images d’un jeu apparaissent souvent dans un magazine papier. Ensuite, les sites et blogs doivent faire paraître news et tests au plus vite. La presse papier peut prendre son temps, faire preuve de recul, développer une information. » La tendance est aux dossiers, avec trente pages sur les jeux de course dans le JVM estival.
Proposer autre chose que le contenu disponible en ligne
Deux publications renouvellent cependant le genre en rompant avec le guide d’achat. « J’ai créé Amusement en observant qu’il y avait une très grande variété de magazines de qualité sur la mode, le design, l’art contemporain, se souvient Abdel Bounane, son directeur de la rédaction. Ces magazines produisent des contenus créatifs (en photo, illustration, graphisme), mais aucun magazine dédié aux loisirs numériques n’a jamais eu le même type d’ambition. L’information brute est disponible sur internet. Donc il faut proposer autre chose. Nous produisons des séries photo ou de longues interviews. »
Prochaine étape du follement élégant Amusement : l’ouverture à d’autres domaines.
« On va s’intéresser de plus en plus aux thèmes liés à la culture interactive, et plus uniquement au jeu, avec plus de création numérique. Evoluer d’une passion vers des sujets plus larges, c’est le propre de tout magazine lifestyle. »
Né en 2009, IG flirte plutôt avec la revue, multipliant les angles au fil de ses 268 pages. « Dès le début, l’idée était de proposer une alternative aux previews et tests des sites et magazines existants, précise Bounthavy Suvilay, sa rédactrice en chef. Nous mettons l’accent sur différents aspects car le média mérite mieux qu’une simple note à la fin d’une critique subjective faite par un journaliste blasé et seulement pressé de recevoir le nouveau titre gratuit de l’éditeur… » Ça marche : le magazine publié par Ankama (à qui l’on doit les jeux Dofus et Wakfu) a atteint l’équilibre financier. Ce qui a de quoi réjouir pour un bimestriel capable de faire voisiner des ensembles sur l’art contemporain et sur les chats dans le jeu vidéo.
« Ce qui me satisfait ? Le fait que, lorsque je leur demande un dossier sur les interfaces utilisateurs ou la barre de vie, un article sur les jeux utilisant le noir et blanc ou des interviews de petits développeurs iPhone, les pigistes ne me regardent plus bizarrement », ajoute Bounthavy Suvilay.
En plus de son numéro 15 (en kiosque le 22 juillet), IG propose un hors-série en forme de collection d’anecdotes. Qui aura sa place, entre Philosophie des jeux vidéo et L’Histoire de Mario, dans le sac de plage du gamer lettré.
Erwan Higuinen
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