Ce vrombissement mystérieux rend folles les rares personnes à l’entendre. Aucune explication scientifique n’en est venue à bout. Alors pour combler le vide, des théories complotistes prennent le relai.
“Un bruit sourd, constant et entêtant qui semble résonner dans toute la maison… Comme un moteur de camion qui tourne à l’arrêt, ou une pelleteuse sur un chantier. Un son de basse fréquence empêche Isabelle de dormir depuis 2009. Ce bruit semble vibrer dans toute la maison, dans les murs et dans mon oreiller”, écrit-elle dans la partie « témoignages » du site le-bruit.com. Depuis sa maison en Indre-et-Loire, elle cherche toute sorte d’explications rationnelles à ce vrombissement de moteur qui s’éternise. Elle sonde son frigo bancal, pense à changer le système de climatisation de sa maison, et consulte un ORL qui lui confirme qu’elle n’a pas d’acouphènes. Ça ne peut pas être les travaux de meulage des rails par la SNCF : ils ont cessé quelques jours plus tôt. Pourtant, le tapage gagne en ampleur. Isabelle est désespérée et souffre de vertiges, de crises d’angoisse. “ J’ai été malade et je me suis toujours demandé si mes problèmes de santé n’étaient pas liés d’une manière ou d’une autre au bruit”.
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Benoît, Toulousain, vit une expérience similaire, partagée sur le-bruit.com. Depuis 2016, il décrit “un bourdonnement quasi imperceptible en journée et qui, le soir venu, devient plus fort”. Une véritable gêne au quotidien, qui le réveille la nuit. “Au début, j’essayais de ne pas y prêter attention, de l’ignorer, pensant que c’était lié au trafic… Mais petit à petit il est entré dans mon quotidien, jusqu’à en devenir obsédant et à m’empoisonner l’existence.” Benoît déplore surtout l’absence de cause à un problème qui trouble tant de gens. “J’aimerais vraiment avoir une explication rationnelle à ce phénomène, cela permettrait de ‘mieux l’accepter’”.
La solitude des auditeurs du “hum”
Ce fameux bruit dont se plaignent Isabelle et Benoît, c’est le “hum”, un son très grave à l’origine mystérieuse, que seuls 2 à 11% de la population entendraient. Ses premiers échos remontent à plus de quarante ans, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Le “hum”, qui doit son nom onomatopéique à sa sonorité gutturale, a été surnommé “le bruit qui rend fou” car il a un impact lourd sur ceux qui l’entendent : insomnie, nausées, anxiété. Un habitant de Bristol s’est même suicidé en 1996, ne supportant plus le vrombissement continu. David Gliere l’entend lui aussi. A l’origine du site le-bruit.com sur lequel on trouve des dizaines de témoignages désemparés, ce Chambérien d’une trentaine d’années a lancé une pétition “Pour une étude sur le Taos Hum en France”. Comptant pour le moment 38 signatures, la pétition est encore loin des 10 000 signatures visées.
C’est peu, et ce faible nombre de personnes concernées a des répercussions plus ou moins importantes. Se sentant délaissés, les internautes cherchent des solutions… et des coupables.
Une imagination qui s’enflamme
Un groupe Facebook a été créé pour fédérer les personnes affectées en France. Parmi les publications, des messages de soutien, des tentatives de quantification du fameux “hum”, et beaucoup de liens vers des vidéos conspirationnistes. “L’armement secret du Nouvel ordre mondial”, “L’augmentation du taux vibratoire de Gaïa”, et autres mises en causes arbitraires de chefs d’Etat qui “toucheraient des dividendes pour ne rien dire”, étouffant un supposé problème de santé publique.
Plusieurs hypothèses scientifiques ont pourtant été émises depuis les années 70. La plus solide date de 2004 : David Deming, de l’université de l’Oklahoma, écrit que “certaines personnes ont la capacité d’interpréter des transmissions radio à certaines longueurs d’ondes et de les transformer en sons”. Des acousticiens ont une autre théorie, sur les bruits industriels. Ils seraient transportés par le vent, rendant leurs basses fréquences audibles même très loin des usines. En 2015, des chercheurs du CNRS ont avancé l’idée que des vagues sismiques étaient répercutées et amplifiées par les vagues de la mer, causant ce grondement sur le continent.
Aucune de ces explications n’est totalement incontestable ou convaincante. Pour certains des auditeurs du “hum”, en tout cas, ça ne suffit pas. La vérité, selon eux, est ailleurs.
La nature a horreur du vide
Pour Rudy Reichstadt, fondateur du site Conspiracy Watch, le complotisme autour du “hum” est très marginal. “C’est une théorie assez confidentielle. Elle prend appui sur des récits complotistes antérieurs comme l’idée d’un contrôle mental ou d’armes secrètes visant à nous rendre malades ou à nous manipuler, et les remet au goût du jour.” Selon lui, il ne s’agit pas de remettre en cause la souffrance des gens qui entendent le “hum”. Dans un premier temps, les gens entendent ou sentent vraiment des choses. “La théorie du complot intervient dans un deuxième temps, souvent par manque d’explication nette et définitive. La nature a horreur du vide. On ne comprend pas ces symptômes, on ne sait pas ce qui se passe. À défaut d’explication concluante, il est tentant d’adhérer à un récit explicatif alternatif qui présente l’apparence de la rationalité.”
Et internet dans tout ça ? A chaque publication de journal mentionnant le “hum” dans les années 70 et les décennies suivantes, les rédactions recevaient des centaines de courriers de lecteurs disant reconnaître les symptômes décrits. À l’époque, pas de théorie du complot publiée dans les colonnes du New Scientist, du Guardian ou de The Independent. S’il y en avait, elles restaient de l’ordre du privé. Rudy Reichstadt explique : “Internet a changé la donne. Il permet la juxtaposition cumulative de tous les arguments d’une théorie du complot qui restent ensuite accessibles en ligne indéfiniment. Autrefois, quand des rumeurs de ce genre apparaissaient, leur durée était limitée. Désormais, elles continuent leur parcours, rebondissent, se consolident… Cela galvanise les gens qui y souscrivent, qui vont à leur tour pouvoir facilement enrichir la théorie du complot de nouveaux motifs d’y croire et de nouveaux arguments”.
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