Qui est John Andrew Perrello ? Quelle place occupe t-il dans l’histoire du street art ? En existe-t-il seulement une ? C’est à ces questions que répond The Chronicles, première monographie sur le mythique graffeur JonOne, à l’initiative du galeriste marseillais David Pluskwa. À travers plus de 300 pages de textes et de clichés en couleur, le livre […]
Qui est John Andrew Perrello ? Quelle place occupe t-il dans l’histoire du street art ? En existe-t-il seulement une ? C’est à ces questions que répond The Chronicles, première monographie sur le mythique graffeur JonOne, à l’initiative du galeriste marseillais David Pluskwa. À travers plus de 300 pages de textes et de clichés en couleur, le livre retrace la carrière de l’artiste, depuis ses premiers graffs dans le Harlem des années 1970 jusqu’à sa réputation de figure incontournable dans le monde du street art d’aujourd’hui.
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John Andrew Perello, alias JoneOne, né en 1963 à Harlem, est un grapheur et artiste peintre new-yorkais d’origine dominicaine. Davantage passionné par l’école de la rue que par l’école tout court, il démarre le graffiti à 17 ans en taguant son nom, « Jon », suivi de « 156 » (sa rue) sur les murs et les trains de son quartier puis de ceux de Manhattan. La ligne A en prend pour son grade. En 1984, Jon devient JonOne et crée le collectif de graffeurs « 156 All Stars », qui rassemble les aficionados de graffiti sur wagon. Un an plus tard, il fait la connaissance de Bando (graffeur et producteur parisien), qui l’invite à venir graffer à Paris avec lui, Boxer et le BBC Crew. Il découvre le terrain de La Chapelle, spot idyllique pour son art, et s’attaque à ses premiers métros parisiens.
Très vite il mélange bombe et acrylique, avant de débuter la peinture sur toile dans un atelier à l’Hôpital éphémère, avec A-One et Shark notamment. En 1990, il est exposé à la Gallery Gledistch 45 de Berlin et participe en 1991 à l’expo Paris Graffiti, rue Chapon. Dès lors, c’est la consécration et ses toiles sont exposées à Monaco, Genève, Bruxelles, Hong-Kong, Tokyo. Depuis la fin des années 1980, JonOne vit à Paris et a installé son atelier dans l’Est de la capitale, au même endroit que les ateliers d’autres graffeurs comme Monsieur Chat.
À l’occasion de la sortie du livre, Théo Pillault, journaliste indépendant chez Vice et collaborateur occasionnel pour les Inrocks, répond à nos questions. Chargé de l’édition et de la fabrication de nombreux livres d’art, à commencer par ceux de John Andrew Perello, il nous parle de l’univers de JonOne, qu’il connaît bien. Il nous explique pourquoi l’histoire du graffiti est peu connue et pourquoi cette discipline peine à s’imposer dans l’histoire de l’art.
On trouve peu de documentation (livres, reportages, films) et peu de spécialistes sur le graffiti. Pourquoi n’y a-t-il pas une histoire du graff comme il y a une histoire de l’impressionnisme ou du dadaïsme ?
Ce qu’il faut bien comprendre avant tout, c’est que le graffiti est une culture qui repose sur des gens égocentriques voire égomaniaques, qui prennent tous les risques pour écrire leur nom ou leur blaze. La culture du graff est une culture qui a du mal à se raconter. La question généalogique ou, dit autrement, celle du patrimoine culturel, est discutée. De plus, il y a une vraie distorsion entre l’âge de cette culture et son histoire. En vérité, le graffiti existe depuis l’âge de pierre mais son historiographie est très récente. La narration commence seulement au milieu du XXe siècle.
Pourquoi cette historiographie est-elle si récente ? Comment l’expliquer ?
Une autre raison pour laquelle l’histoire du graffiti reste assez méconnue s’explique par le fait que c’est avant tout une culture orale, narrative, dans laquelle les légendes, les anecdotes et les histoires occupent une place très importante. Comme toutes les cultures marginales qui reposent sur l’oralité, les sources sont souvent minces. Côté street art, c’est seulement maintenant qu’il commence à y avoir des livres, une histoire, des catalogues, des reportages comme Défense d’afficher, un web-doc sur le street art mondial, fait par huit réalisateurs. À ce manque d’histoire écrite, il ne faut pas oublier que le graff est la plupart du temps éphémère. Cette incandescence est elle aussi largement coupable du manque de notoriété positive du graffiti.
D’autres raisons ?
Oui, d’autres trucs expliquent encore la mauvaise réputation du graffiti, qui continue aujourd’hui d’agacer beaucoup de gens. Primo, parce qu’il reste, dans les mentalités, presque toujours assimilé à du vandalisme. Pour de nombreuses villes en France et en Europe (Berlin est un peu l’exception, quoique), il est considéré comme un acte illégal voire criminel et donc répréhensible, allant de fortes amendes (entre 150 et 3 000) à des travaux d’intérêt général ! En France, on a frôlé la catastrophe avec Monsieur Chat cet automne, lorsque la RATP lui a réclamé 1 800 euros d’amende pour des dessins de chat à la station Châtelet (Monsieur Chat a été acquitté par la suite, ndlr). Ce n’est que récemment que le tag a commencé à être toléré et à faire l’objet d’expositions dans des galeries ou même dans des musées. Je pense entre autres à l’expo de tags au Grand Palais, il y a quelques années.
Conséquence ou dommage collatéral de ce nouveau succès : le graffiti est accaparé par les hipsters et par la pub. On a tous vu passer les bouteilles de Perrier estampillées street art. Dans les deux cas, c’est une petite mort pour le graff. S’il devient mainstream ou marchand, le graffiti perd de son essence et de sa valeur, c’est incontestable.
Peut-on dire que les graffeurs eux-mêmes ont une part de responsabilité dans le manque de visibilité de la culture graff dans l’histoire de l’art et même dans la grande histoire ?
Sans aucun doute, oui. Les gardiens du temple graffiti ont failli à leur mission de transmission et beaucoup ont abdiqué. Jay One, Bando ou Ash en tout cas n’ont pas assez raconté. Dans le rap et le hip-hop, c’est pareil. Beaucoup ont échoué dans la transmission des valeurs comme Dee Nasty, par exemple. Il est l’un des pères du hip-hop musical avec Grandmaster Flash, un pilier de la Zulu Nation en France au milieu des années 1980. Même s’il a contribué à la notoriété de NTM, d’Assassin, du Ministère A.M.E.R, il n’a pas su léguer son héritage et d’ailleurs, aujourd’hui, on n’en entend très peu parler.
Pour en revenir au graff, la conséquence de ce manque de transmission de la part des pères, c’est une sorte de dénaturation ou de détournement des valeurs fondatrices du street art comme la liberté totale, la non-compromission avec le pouvoir ou les puissances de l’argent. Aujourd’hui, il y a une palette de mouvements d’art urbain qui copinent avec les instances de pouvoir (maisons de quartier, mairies, musées ou même les gouvernements) et qui ont intégré la valeur argent à leur art. Sans scrupules. Dans ces cas-là, j’ai du mal avec le fait qu’on parle encore de « street art ».
Finalement, le tiraillement que vivent les street artistes actuels, c’est un peu le même que celui de la presse, pour qui la liberté d’expression est sacrée mais qui n’a souvent d’autre choix que d’être sous le joug d’un actionnaire ?
Oui, c’est le même problème transposé au monde de l’art. Il y a de plus en plus de graffeurs qui sacrifient leur indépendance au profit du marché de l’art, des galeristes, des acheteurs. Ce n’est pas pour autant qu’il faille leur jeter la pierre car le contexte économique pour eux est hyper compliqué. S’ils répondent à des marchés ciblés, artistiquement ils sont moins libres. Il y a malheureusement peu de mecs qui échappent aux cadrages de galeristes ou aux conditions imposées par l’art contemporain (couleur, grand format, abstraction lisible).
JonOne lui-même est piégé entre ses envies d’abstraction et de peinture libre débridée, et les attentes du marché. Sauf qu’il doit simultanément composer avec la réalité et donc faire des « concessions artistiques ». Et finalement, s’il l’on reste dans une vibe optimiste, on s’aperçoit que, pour autant, l’obéissance à certaines lois du marché n’obstrue pas nécessairement la création. Au contraire.
Aujourd’hui JonOne est décrié par d’autres street artistes qui disent de lui que c’est un « vendu » et lui reprochent d’être devenu une marque au sens marketing. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent. JonOne aujourd’hui a une notoriété mondiale : il peint sans arrêt, il produit tout le temps dans son atelier, qu’il partage avec d’autres street artistes. Il est exposé dans une à deux galeries différentes par mois, à Paris, Shanghai, Los Angeles, à la Art Basel de Miami, chez Fabien Castanier en Californie, chez Willem Speerstra en Suisse…
Effectivement, beaucoup frissonnent à l’idée que Jon évolue dans ce milieu de galeries et de bourges qui tremblent à l’idée d’acheter quelque chose qui sent le soufre, mais qui le font quand même pour se forger une « street-cred ». Sauf que la différence entre Jon et eux, c’est que Jon a réussi à créer une demande autour de lui. À tel point que l’une de ses toiles, Balle de match, s’est vendue à une vente aux enchères en 2007 à plus de 24 000 euros, un record mondial ! En parallèle de cette demande du marché de l’art qu’il s’est agrégée au fil du temps, il est aussi parvenu à s’attirer les charmes des médias. Les recevoir régulièrement dans son atelier parisien, c’est sa façon à lui de transmettre, de faire de la médiation culturelle et de créer un lien entre son œuvre et le public.
Cette proximité avec le public, beaucoup la lui reprochent, notamment lors des séances de signatures de ses livres ou lorsqu’il reçoit, au début du mois, la Légion d’honneur. Mais il ne faut pas faire d’amalgames. Ce n’est pas parce qu’il a créé une demande que c’est un « vendu ». Jon n’a jamais revendiqué cette étiquette de vandale, il n’en jamais été. Le fait de peindre dans les rues l’a emmené vers les dangers de la rue, c’est vrai. Mais l’illégalité n’était qu’une conséquence, pas un choix. Et d’ailleurs, il a peint sur les murs avec autre chose que des bombes.
Le hip-hop a beaucoup de mal avec la réussite. Le graff, c’est pareil. Alors taxer JonOne de vendu est une hérésie. Il a éclaté Paris avec les BBC, il a mangé la rue à pleines dents. S’il fallait payer une dette, il l’a payée.
Mathilde Samama
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