Une enquête enlevée au pays du “handshake” révèle les origines et les rites d’une salutation dont la communauté afro-américaine a fait un signe d’appartenance.
Les poings claquent, les mains se lèvent, les doigts s’agitent, les corps s’accolent… Du “fist bump” au “high five”, du “high ten” au “soul shake”, les configurations multiples du “handshake” forment le paysage inventif d’un geste primitif mais codé : se dire bonjour. Plutôt que de tristement serrer la main (molle, moite, mielleuse) de son interlocuteur, les Afro-Américains ont inventé ce minigeste chorégraphique : une forme dynamique de présentation de soi, d’expression cool de sa confiance en son vis-à-vis.
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Un geste longtemps confiné à la culture de la rue et au monde du hip-hop
Dans une enquête riche et énergique, Joachim Barbier et Julian Nodolwsky analysent la signification politique et symbolique de ce mouvement ritualisé des mains. Grâce à sa généalogie mais aussi à la cartographie de ses formes actuelles dans les espaces de la vie culturelle, les auteurs révèlent la portée historique du “handshake”, popularisé dans le monde entier par Barack Obama qui se livra avec sa femme Michelle à ce fameux “DAP” (dignity and pride) en 2007. Le Président contribua, avec son poing effleurant celui de sa compagne, à institutionnaliser un geste qui, jusqu’alors, restait confiné à la culture de la rue et au monde du hip-hop.
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La marque d’une conscience historique et politique
Mais comme le rappelle le film, l’origine du “handshake” remonte à la fin de la période esclavagiste, et même, selon les puristes, à l’Egypte ancienne. Utiliser ses mains et ses poings pour se saluer, c’est d’abord exprimer un signe de fraternité avec l’autre, une manière de signifier une appartenance commune avec lui. Plus encore qu’un lien esquissé, le “handshake”se rattache symboliquement au fil de l’épopée de la communauté noire d’Amérique pour s’imposer comme la marque d’une conscience historique, le prolongement d’un lien culturel avec les générations précédentes.
Les gestes de la main traversent l’histoire d’une progressive émancipation sociale ; les corps combatifs ont fait du poing leur outil offensif le plus visible. Le poing levé, symbole absolu du Black Power dans les années 60, portait en lui une charge politique, en s’imposant comme le symbole ultime de la liberté : les esclaves, les chaînes au pied, n’avaient en effet que le poing pour rappeler qu’ils étaient des hommes libres, y compris dans leur asservissement.
Tellement “cool”
Si par comparaison le “handshake” semble dépourvu du message politique explicite des Black Panthers, il hérite pourtant de la fierté d’une posture revendicatrice. Les rappeurs – 20 Bello, Common… – ou les spécialistes de la culture afro-américaine – Cornell Belcher, membre de l’équipe Obama en 2008, Anwan Glover, acteur dans la série The Wire, George Pelecanos, écrivain et scénariste de la série Treme… – interviewés soulignent tous que le “handshake” est devenu tellement “cool” que ses codes se sont infiltrés dans les univers du skate, du basket, de la musique mais aussi des gangs. Dès que les classes moyennes blanches s’en emparent, le “handshake” perd en revanche de son aura. D’où, pour beaucoup de ses adeptes, la nécessité de le déplacer et de renouveler ses formes, afin de réaffirmer sa distinction. Si le geste s’est ouvertement aseptisé et normalisé à force d’être instrumentalisé par le système de la culture de masse, il reste une pratique distinctive de la culture noire, qui a appris à assouplir la raideur d’un face-à-face en le transformant en gestuelle hypnotique.
Shake This out – Une histoire urbaine de la salutation documentaire de Joachim Barbier et Julian Nodolwsky, lundi 13, 23 h 25, France 4
TEASER DOCUMENTAIRE SHAKE THIS OUT / LE 13 AVRIL SUR FRANCE 4 / Un film de Julian Nodolwsky et Joachim Barbier from SOFILMS on Vimeo.
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