Jouir avec les oreilles, participer à des fêtes queer, porter un slip de 1874, se désirer soi-même, kiffer les pets, découvrir le hot-parade de Pornhub et explorer son propre corps : grâce à notre Glossaire 2019, mettez un nom sur toutes les tendances cul du moment.
Jockstrap, le sens du suspens
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Longtemps le jockstrap, ou suspensoir en français – ce qui est nettement moins sexy mais plus parlant –, n’a pas été l’apanage de la galaxie gay qui l’utilise comme un sous-vêtement un peu plus communautaire que les autres. Inventé en 1874, par l’Américain Charles Bennett, le jockstrap est au départ un simple slip destiné aux livreurs à bicyclette qui se plaignaient de brûlures et d’irritations au niveau des parties sensibles, à cause des frictions causées par la selle.
Constitué d’une ceinture large et élastique, d’une poche qui maintient le pénis et les testicules et de deux sangles arrière qui laissent le fessier respirer, ce dérivé plus minimal du bon vieux slip blanc à pépé rencontre un succès tel auprès des coursiers (bike jockey en américain, d’où le jockstrap, raccourci de jockey strap, “strap” signifiant “sangle”) qu’en 1897 on en produit en masse. Le jock devient un incontournable de la tenue des sportifs, avec la possibilité d’y glisser une coquille, pour les sports les plus violents.
On l’utilise aussi en cas de hernie, de blessures ou pour remonter des testicules qui ont tendance à pendre dangereusement. Au début du XXe siècle, certains envoient même des décharges électriques à faible tension, censées guérir dysfonctionnements érectiles ou insomnies. Longtemps associé à la masculinité et à l’intimité des vestiaires de sport, le jockstrap va dès les années 1950 devenir un accessoire de la sexualité gay, tout d’abord au travers de magazines comme Physique Pictorial qui, sous prétexte de shooter des sportifs, rincent les yeux d’une clientèle homo avide de photos d’apollons dénudés, puis avec l’arrivée des saunas et backrooms ouvertement gays où toute une série de codes sexuels se met en place.
Il faut dire que le jockstrap, en sus de mettre en avant le paquet, transforme n’importe quel cul plat en fessier rebondi, une manière de signifier que tu es passif et que ton cul est “open” ; sans compter les sortes de lanières auxquelles l’on peut s’accrocher en cas de sodomie. Revenu à la mode depuis quelques années, le modèle de base blanc et avec large élastique se décline en différentes couleurs, matières, formes, motifs et liberté sur la coupe, pas toujours du meilleur goût. Préférez donc l’original. P. T.
Audioporn : fais-moi ouïr
C’était en février 2018. Sous l’appellation Imaginary Porn Experience, la DJ Piu Piu, la réalisatrice de pornos féministes Olympe de G et l’artiste sonore Antoine Bertin invitaient à écouter un porno au casque dans l’intimité d’une chambre d’hôtel, celle où le porno avait effectivement été enregistré quelques jours plus tôt en son binaural – une technique de spatialisation sonore permettant de reproduire notre écoute naturelle, c’est-à-dire en 3D. Nous rencontrions alors un couple, ses baisers mouillés et notre premier porno audio.
En l’espace d’un an et demi, l’expression est sur toutes les lèvres. Normal, les vidéos d’ASMR (qui flirtent avec l’érotisme vocal même s’il s’agit de détailler la recette des asperges au jambon, et reposent, elles aussi, sur un enregistrement binaural) et les podcasts cartonnent. Et si, après le tout-image, la société se convertissait au tout-son ? C’est le pari qu’a fait Olympe de G en cofondant avec la camgirl Lélé O et Antoine Bertin la plate-forme d’audioporn Voxxx.
A l’origine, une envie de faire des JOI (Jerk Off Instructions) pour les femmes – ces vidéos X dans lesquelles une camgirl explique au spectateur comment se masturber. Et puis, finalement, ni l’une ni l’autre n’a eu envie de voir quelqu’un se toucher pour s’exciter. Elles inviteront donc à fermer les yeux et à se laisser guider par la voix qui susurre à l’oreille. Un bon moyen de faire tourner son propre imaginaire. “Nos épisodes sont à mi-chemin entre la pleine conscience et le porno. C’est excitant, mais c’est aussi conçu pour s’aimer, et s’aimer vraiment. C’est du feel good porn. C’est écrit pour que les auditrices se sentent bien dans leur corps, dans leur sexe, s’acceptent, acceptent d’avoir un orgasme ou pas, d’aimer la pénétration ou non”, explique Olympe de G.
Mais l’audioporn brasse large : certaines productions parlent de cul, d’autres misent sur les classiques lectures érotiques comme Le Verrou et ctrl-X ; d’autres encore invitent à mettre en ligne son propre son porno (Audible Porn) ou son orgasme perso (La Bibliothèque des orgasmes, fascinant). Mais le plus atypique reste le belge (et payant) Sexblotch, qui propose des vidéos dans lesquelles des formes abstraites se meuvent au rythme d’ébats sonores. “Le porno sonore, l’audioporn, le porno pour l’oreille, les sons du plaisir, le nouveau téléphone rose… c’est l’avenir du porn”, écrivait Elisa Monteil dans le manifeste de son Tumblr, Super Sexouïe. C. B.
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Sex party, sortez ouvert.e.s
Fête et sexe déclenchent les mêmes mécanismes (gêne, exaltation, ivresse, exhibition, etc.). Et puis, surtout, misent essentiellement sur le fait de s’accomplir loin des normes étriquées et des cases à l’étroit. Rien d’étonnant donc à ce qu’on continue de les réunir physiquement : les fameuses backrooms du Berghain ou de son cousin le Lab.oratory, où les corps s’imbriquent sur de la techno, comme lors de coïts impromptus au Péripate parisien, ou cette amie qui nous raconte s’être déshabillée à l’entrée d’un parking, porte de la Chapelle, à l’heure de l’apéro, avant de danser nue au milieu d’une foule gay et hétéro, certains baisant ici et là.
Alors que l’on se demandait s’il existait des sex parties lesbiennes, voici que surgit la parisienne Drama, en sus de celles organisées deux fois l’an à La Mutinerie, bar queer parisien. Les personnes non binaires et les trans sont les bienvenu.e.s à ses ateliers sexe (comment fabriquer un harnais, comment manier la cire, etc.), avant que ne s’enchaînent des DJ-sets jusqu’au matin. A l’échelle internationale, les sex parties queer se multiplient avec plus ou moins de cul : la barcelonaise Maricas, la biannuelle berlinoise BOAR, la lisboète BOUND, la londonienne Flesh in Tension qui distribue à l’entrée des bracelets colorés indiquant votre degré de sociabilisation…
Certaines accueillent les hommes cisgenres, d’autres non. Toutes misent sur la notion de “safe space”, espace où être soi en toute sécurité. Bientôt des darkrooms dans tous les bons festivals ? C. B.
Autosexuel, le narcisse X
Là, vous êtes en train de vous dire qu’il s’agit d’un énième mot-valise aussi creux que votre dernier repas de famille. Pas si sûr. N’avez-vous jamais ressenti, en passant distraitement nu devant une glace, un grisant sentiment d’autosatisfaction, vous demandant même pourquoi votre activité sexuelle était en berne alors que vous étiez aussi sexy ? Voici les prémices de l’autosexualité, qui consiste, comme son nom l’indique, à s’autodésirer sexuellement. La masturbation, oui d’accord, mais en s’excitant avec son propre corps. Comme cette Ghia Vale qui explique carrément, dans un post de blog sur Medium, vivre une belle histoire d’amour avec elle-même. “J’occupe une position centrale dans ma vie amoureuse. Ça peut paraître narcissique de se fixer sexuellement et amoureusement sur soi-même, mais ça ne veut pas dire que l’on pense nécessairement être meilleur ou au-dessus des autres.”
Alors que l’on se mire dans son selfie, accumulant poses, filtres, oreilles de chat et langues de chien, alors que l’on prend des dizaines de clichés avant d’en sélectionner un et un seul, le meilleur, soit celui qui nous excite le plus, alors que l’on se galvanise à coups de likes et de cœurs lâchés en DM, ne serait-on pas toutes et tous en train de sombrer dans l’autosexualité ? Et on ne parle pas des appels incessants à l’autodétermination, à l’autoaffirmation, à l’autoacceptation, à s’aimer d’amouuuur soi-même, à pratiquer le yoga kundalini, à penser à soi, à soi et à soi !
Dans le même temps, les tubes nous proposent de très, très courtes séquences de porno, gros plans sur une bite dans une chatte, sperme sur la peau, fesses claquées, pas de visages mais des corps tronçonnés. Fini la déification des stars du X, libre à nous de projeter notre propre visage à la place de celui absent. Pas si creux le mot finalement. C. B.
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Post-porn, le coup d’après
Des couples en train de copuler et dont les parties génitales sont astucieusement pixelisées : ceci n’est pas le film du samedi soir de votre tendre adolescence, mais une campagne du label de mode avant-gardiste Eckhaus Latta.
Selon de nombreux chercheurs, nous serions dans une ère dite post-porn, exemplifiée par une telle publicité : une période où les films X sont si accessibles et banalisés qu’ils ont muté dans leur esthétique comme dans leur place sociale.
Pour la mode, la proximité avec cette industrie et ses codes visuels n’a jamais été aussi fusionnelle. Hormis Eckhaus Latta qui cite le porno amateur, on peut penser, dans un tout autre genre, à la marque Fashion Nova, dont les tenues en vinyle hyper-moulantes évoquent celles des actrices de porno actuelles (et Kim Kardashian). Diesel achète de l’espace publicitaire sur Pornhub, ce dernier signe une collaboration avec la griffe Hood By Air, et le créateur JW Anderson, lui, streame son défilé sur Grindr. Quant à l’application, elle est aujourd’hui managée par un des plus prestigieux bureaux de presse spécialisé dans le luxe.
Si ces spécificités, qui reflètent une imbrication du porno dans l’inconscient et les pratiques collectifs, le lien entre imageries érotiques et de mode n’a rien de nouveau. Dans les années 1970, le photographe Helmut Newton imaginait avec Yves Saint Laurent des clichés d’une femme en costume et d’une autre entièrement nue, en pleine rue – rappelant nombre de films olé olé.
A la fin des années 1990, la styliste Carine Roitfeld et le créateur Tom Ford contribuent à lancer le “porno chic”. En 2003, on se souvient notamment de la campagne où un mannequin est à genoux devant une femme qui laisse apparaître un “G” (pour Gucci) au creux de ses poils pubiens. Cette pub-choc reflète les productions pornographiques grandiloquentes et la tendance autour de l’épilation effrénée de l’époque.
Plus tard, ce sera au tour d’American Apparel de reprendre les codes des camgirls dans ses publicités, où des jeunes filles adoptent innocemment des positions sulfureuses dans des cadres normcore.
Sexe ou mode, culture confidentielle ou culture mainstream : les deux demeurent liés à la consommation – ainsi que des acteurs de l’intime. A. P.
Anatomie : explore-toi !
Si vous ne connaissez pas la forme, la localisation et la taille précise du clitoris, c’est que vous avez vécu cette dernière année dans une grotte. Grâce à des scientifiques, des artistes, des militantes, des journalistes, des auteures et des dessinatrices, le clitoris ne peut plus être décrit comme un “petit bouton de rose” (sic). Mais plutôt que de réduire la sexualité féminine à un seul organe, l’exploration de nos corps doit être plus vaste.
En héritière du mouvement Self-Help lancé par Carol Downer en 1971, Clarence Edgard-Rosa invite à l’exploration intime avec son livre Connais-toi toi-même (La Musardine). Accompagné d’illustrations scientifiques signées Suzie Q, cet ouvrage explique avec précision comment et pourquoi autoexplorer son corps sexué. Next step, on l’espère : un ouvrage sur l’anatomie masculine. Il est temps de décortiquer le pénis, et le reste. C. E.
Mots-clés, les winners 2019…
Comme chaque année, Pornhub (33,5 milliards de visites en 2018, soit 5 % de plus qu’en 2017) publie son X-parade. Pas grand-chose de neuf : “lesbian” culmine toujours en pole position à l’international avant “hentai”, “milf” et “stepmom”. Le top quatre en France ? “Française”, “French”, “maman française” et “beurette”, et Clara Morgane est la pornstar la plus recherchée. Le site note 28 % de visites féminines contre 72 % masculines, soit une hausse de 3 % en deux ans. C. B.
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Les fétichistes du pet
Tout commence par un tour sur Clips4Sale, LE site de vidéos fétichistes. Là, coincées entre des filles sautant sur un matelas gonflable et d’autres retenant leur respiration, des fesses s’offrent en gros plan. Dans un premier temps, impossible de comprendre ce qu’il se passe. Et puis, une fois le son enclenché, le pet explose à l’oreille. Quelques recherches nous conduisent au Twitter de Péteuse, une camgirl franco-américaine qui poste de courtes vidéos d’elle en train de péter. Une manière de teaser sa section Cute Farts, disponible sur Clips4Sale et avec laquelle elle arrondit ses fins de mois à hauteur de cinq cents euros en moyenne. Si Péteuse se marre bien à péter devant sa caméra, les clients, eux, se branlent vraiment. “Il y en a qui aiment le ‘bass’, les autres une durée très longue, le bruit super fort. Il y en a même qui veulent que je parle des odeurs (les œufs pourris sont très appréciés !). Et puis il y a aussi les pets sur le visage avec humiliation”, détaille-t-elle. C’est cette dernière pratique qui excite l’un de ses clients.
A 15 ans, James tombe par hasard sur une vidéo d’une dominatrice pétant sur des soumis. “Ça m’a coupé le souffle à tel point que j’ai joui sans même me toucher.” Depuis, James, 25 ans, domicilié en Angleterre, a pris contact avec des camgirls – dont Péteuse – qui lui envoient des vidéos personnalisées, mais ne s’est jamais fait péter dessus. Autre camgirl, Pauline, elle, s’y est mise pour un mec. “Il voulait que je pète sur son pénis, j’étais un peu embarrassée mais j’ai tâché de garder l’esprit ouvert, et petit à petit je me suis prise au jeu. Comme il aimait que je m’asseye aussi sur son visage, on a mixé les deux.” Et de préciser : “Les pets dans un jean sont plus pétillants, mais dans un legging le cul est trop beau. Personnellement, j’aime quand on ‘voit’ les pets avec de la poudre, ou sous l’eau.”
D’autres kiffent sentir l’odeur en vrai. A 19 ans, Mister C est en plein cunni lorsque sa partenaire lâche un pet au moment de l’orgasme. Au lieu de rougir, la jeune femme bloque sa tête à l’aide de ses jambes en riant. “L’odeur était horrible, mais le fait qu’elle m’oblige à la sentir m’a excité comme rien de ce que j’avais connu ! Depuis, ça m’excite. Il y a quelque chose de si tabou dans le fait de voir quelqu’un de si attirant créer une odeur aussi terrible.”, nous confie cet agent de surveillance d’un casino à Las Vegas.D’autres encore se repaissent par voyeurisme, en ayant l’impression de surprendre une femme dans sa plus grande intimité, celle du pet, tel un bruit de l’âme. Pauline de conclure : “Il n’y a pas de critères du bon pet. Mais une chose est sûre : plus long il est, mieux c’est.” C. B.