La BD numérique commence à envahir les écrans. Pierre La Police plonge à corps perdu dans l’expérience.
Pierre La Police n’est jamais là où on l’attend. Alors que de nombreux auteurs de bande dessinée scrutent, encore dubitatifs – quand ce n’est pas avec une pointe de méfiance -, les opportunités commerciales et techniques qu’offre Internet, lui s’engage sans hésiter. Depuis un mois, il a mis à disposition sur l’iBookstore d’Apple, et bientôt dans d’autres librairies numériques, les nouvelles aventures de ses Praticiens de l’Infernal, cette hilarante équipe de héros dont la puissance le dispute à l’ânerie.
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L’idée d’une diffusion numérique lui est venue en même temps que l’envie de revenir à la bande dessinée, après des années d’absence, en saisissant un iPhone pour la première fois.
« Immédiatement, j’ai pensé que l’iPhone pouvait être un outil parfaitement adapté pour diffuser mes bandes dessinées. Le format de l’écran est homothétique de celui de mes cases, qui sont toutes du même format, et dont j’ai toujours pensé qu’elles devaient être présentées individuellement plutôt qu’assemblées en planches. L’absence de phylactères (bulles, ndlr), le texte placé toujours au même endroit, le fait qu’il se passe quelque chose dans chaque case, que l’histoire permette sans réserve d’interrompre la lecture à tout moment et de la reprendre plus tard, sans gêne pour la continuité, tout cela promettait une expérience de lecture idéale pour ce support. De même, le rétroéclairage de l’écran autorise une mise en couleur contrastée, et la possibilité de zoomer pour entrer dans les images m’invitait à soigner les détails. »
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Cette entreprise artistique, Pierre La Police s’est décidé à la mener seul, sans le concours usuel des éditeurs. Pour la partie technique, il fait appel à des proches qu’il rémunère en dessins originaux et en estampes. Pour l’administratif, c’est lui qui s’y colle, quitte à éplucher, des semaines durant, des piles de textes abscons sur la législation des pays étrangers, car le livre est immédiatement disponible en français ou en anglais.
« Publier en numérique, dit-il, c’était revenir à mes débuts, avec mes fanzines en photocopies que je diffusais en petit nombre, seul. Je voulais retrouver cette relation sans intermédiaire entre auteur et lecteurs. »
Un peu perdu
Derrière ce désir d’autonomie, et au-delà des considérations artistiques, les problèmes apparaissent néanmoins. Quelques questions suffisent à comprendre que Pierre La Police n’est pas un adepte aguerri des réseaux sociaux et des modes de communication numériques, qu’il n’en connaît ni les acteurs majeurs, ni tous les usages (il n’a pas indiqué son mail, par exemple, pour récolter les commentaires). Bref, dans ce registre, il est un peu perdu.
Aujourd’hui, il se débat pour relayer son livre, d’autant qu’il n’a aucune envie pour le moment de l’éditer sous forme papier.
« Le livre sera imprimé plus tard par les éditions Cornélius, mais je veux vraiment laisser le temps au format ebook de s’installer. »
A terme, si la diffusion numérique rencontre le succès, l’idée serait d’étendre l’univers des Praticiens de l’infernal à d’autres formes : « Pour moi, la bande dessinée est le socle d’un univers que je pourrais décliner en jeux vidéo innovants, en applications, certaines gratuites, d’autres payantes. Mais, avant de poursuivre, il me faut savoir si l’entreprise peut être viable économiquement, car je souhaite rémunérer mes collaborateurs. »
A partir de quand l’entreprise devient-elle rentable ? Difficile de répondre pour le moment. Apple prend 30% des recettes, mais l’autonomie éditoriale et la dématérialisation autorisent un prix de vente attractif, impossible avec le papier, de 4,99 euros pour 166 pages. Atouts et embûches sur la route du succès sont nombreux, mais le pari est audacieux, unique dans le paysage éditorial de la bande dessinée. Sur le livre, en revanche, il n’y a aucun doute, il est aussi génial que grotesque. La technologie met en valeur le talent.
Stéphane Beaujean
Les Praticiens de l’infernal, volume 1, Destruction du littoral et césarienne farfelue, 166 pages, 4,99 euros. Parallèlement, sortent chez Cornélius le 21 avril des éditions papier totalement revues et hilarantes de Attation !, Top télé maximum et Nos meilleurs amis et l’acte interdit.
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