Florian Philippot, « outé » par Closer, l’ex-cover boy de Têtu Julien qui rallie le FN, Minute qui évoque un « lobby gay », Jean-Marie Le Pen qui parle des « mignons » de Florent Philippot. Que se passe-t-il entre le Front national et l’homosexualité ?
La question agite le Front national. Florian Philippot, « outé » par Closer, l’ex-cover boy de Têtu qui a sa carte au FN. Sébastien Chenu, ex-UMP, fondateur de GayLib, un mouvement de défense des droits LGBT, est l’un des plus proches collaborateurs de Marine Le Pen. Minute évoque un « lobby gay », Jean-Marie Le Pen parle des « mignons » de Florent Philippot. Le FN se montre à la fois hostile et bienveillant vis-à-vis de la question gay. Une double face à l’image de l’évolution du parti d’extrême-droite. La journaliste Marie-Pierre Bourgeois a enquêté sur cette ambiguïté.
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Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la question de l’homosexualité au Front national ?
Marie-Pierre Bourgeois : Le point de départ de ma réflexion est la Manif pour tous. On voit alors tout le Front national dans la rue à l’exception de ses représentants les plus emblématiques, Marine Le Pen et Florian Philippot. C’est la Manif pour tous qui fait véritablement naître politiquement Marion Maréchal-Le Pen. C’est donc sur la question homosexuelle que naissent les premières tensions politiques entre la tante et sa nièce. L’absence de Marine Le Pen dans la rue est également l’occasion de casser l’image homophobe du FN. Pour présenter un visage moderne, le FN de Marine Le Pen doit se débarrasser de ses vieux oripeaux. Il y est parvenu en partie sur la question de l’antisémitisme. Il essaie d’agir de la même façon avec l’homophobie. C’est bien cela qu’incarnent les visages de Florian Philippot, Sébastien Chenu, Julien Odoul.
Vous expliquez que le Front national s’est rendu compte que l’UMP s’était approprié les questions identitaires, il devait donc aller sur le terrain sociétal…
Les cadres du parti sont conscients que la droite de Nicolas Sarkozy a siphonné les thèmes de l’immigration et de l’insécurité, jusque là estampillés FN. Dès lors, la question se pose sur la façon de se démarquer pour Marine Le Pen. Une des façons de se différencier est d’aller sur les thèmes sociétaux, comme la question des homosexuels, qu’elle défendrait face à ce qu’elle appelle l’islamisation de la France. Mais le FN doit faire face à un problème complexe : élargir son électorat en utilisant des sujets qui ne sont pas historiquement les siens tout en restant un parti de contestation qui séduit les plus éloignés de la vie politique. L’équilibre reste difficile à trouver pour Marine Le Pen.
Jean-Marie Le Pen fréquente des homosexuels et tient des propos violemment homophobes. Comment expliquez-vous cette schizophrénie ?
Il faut distinguer le calcul politique du positionnement personnel. Les sorties homophobes de Jean-Marie Le Pen s’inscrivent dans des racines historiques. Le FN s’est construit avec d’anciens SS comme Pierre Bousquet et Victor Barthélémy. Ils connaissent bien l’ambiguïté d’Hitler sur l’homosexualité qui a oscillé entre bienveillance et répression très sévère. Il y a aussi un calcul plus électoraliste pour Jean-Marie Le Pen. En parvenant à unifier une grande partie de l’extrême droite avec la création du FN en 1972, il réunit des sensibilités très diverses, des néo-païens aux catholiques traditionalistes. Si les premiers sont très ouverts sur les questions de moeurs, les seconds font un véritable casus belli de l’ouverture sociétale. Les sorties homophobes de Jean-Marie Le Pen se dirigent donc vers les catholiques les plus pratiquants. Mais Jean-Marie Le Pen a toujours montré un visage très différent dans le cadre privé, de son amitié à la transexuelle Maud Marin à son attachement à Jean-Claude Poulet-Dachary, artisan de la conquête de Toulon en 1995 qui aimait se travestir dans les bars de la Côté d’Azur. Ce rapport à l’homosexualité, entre attraction et répulsion se retrouve aujourd’hui encore au FN, malgré la rupture opérée par Marine Le Pen. Elle aussi a ce double visage. A côté de son cercle de collaborateurs dont beaucoup sont homosexuels, elle continue de s’entourer de personnalités très controversées comme Frédéric Chatillon, ancien du Gud, ce groupuscule étudiant qui n’a jamais rechigné à la castagne homophobe. Elle a aussi été un temps très proche d’Alain Soral, notamment connu pour ses sorties homophobes.
Sébastien Chenu, Florian Philippot et d’autres militants répètent pourtant qu’il n’y a pas d’homophobie au Front national…
Au siège, on entend souvent dire qu’il y a moins d’homophobie au FN que chez Les Républicains. La position très dure de la droite lors de la Manif pour tous a donc laissé des traces. Être homosexuel en étant un collaborateur de Marine Le Pen n’est plus un problème. Mais il y a une différence entre ce qui se passe à Paris et dans les fédérations de province.
Si à Paris, le sujet n’est plus tabou, cela reste très compliqué d’être à la fois homosexuel et militant FN dans les sections de province. Ce que révèle ce paradoxe est la mue aux forceps que tente d’opérer Marine Le Pen. Ce qui se passe dans les hautes sphères du parti et chez les militants de province socialisés aux idées du parti par Jean-Marie Le Pen est très différent.
Dans tous les cas, l’homosexualité est acceptée tant qu’elle n’est pas politique, qu’elle ne fait pas l’objet de revendications d’égalité des droits. Florian Philippot par exemple ne s’est jamais exprimé sur des questions d’égalité. Sébastien Chenu qui vient pourtant de GayLib, non plus.
Comment peut-on expliquer le ralliement d’homosexuels au Front national alors que le parti est contre l’égalité des droits ?
38% des hommes homosexuels ont voté FN aux dernières élections régionales contre 30% des hommes hétérosexuels d’après les chiffres du Cevipof. Le nombre d’homosexuels qui arrivent au parti dit quelque chose de cette communauté qui se droitise de plus en plus. Quand, en pleine course à la succession de son père, Marine Le Pen, dit à Lyon : «dans certains quartiers, j’entends de plus en plus souvent qu’il il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc», elle répond à une crainte de certains homosexuels inquiets de la montée de l’islam radical. Elle se dit alors qu’il y a un électorat à prendre – les homosexuels représentent 6,5% de la population en âge de voter. Dans un parti dont les électeurs viennent principalement de la ruralité et sont peu diplômés, elle doit élargir son socle électoral. Ces clins d’oeil à la communauté LGBT visent donc plus largement à trouver des électeurs parmi les plus diplômés qui sont sensibles à des valeurs d’ouverture sociétales.
Même sans revendication, les figures homosexuelles du parti subissent des attaques et des critiques sur leur orientation sexuelle, notamment Florian Philippot…
L’attaquer sur sa personnalité, c’est l’attaquer sur sa politique, sur l’influence qu’il a sur la politique du parti. C’est très nouveau qu’il y ait deux courants: national-identitaire d’un côté avec Marion Maréchal-Le Pen et national-étatiste avec Florian Philippot. Marine Le Pen établit un équilibre précaire, pour avoir les voix de toutes ces sensibilités.
La question de l’homosexualité est donc le symptôme des fractures et de la recomposition du parti d’extrême-droite ?
On voit bien les deux lignes. Florian Philippot adore les médias, il va rarement à Forbach (où il était conseiller municipal jusqu’en janvier ndlr) pour serrer des mains. Marion Maréchal-Le Pen, elle, mange la galette des rois, fait les marchés. Pour l’instant Maréchal-Le Pen y trouve son compte et Philippot aussi. Ça permet à Marine Le Pen de faire des clins d’oeil d’un côté comme de l’autre. Le jour où ils n’y trouvent plus leur compte, Marine Le Pen devra trancher, ce qui risque de lui poser problème.
Marie-Pierre Bourgeois, Rose Marine, Enquête sur le FN et l’homosexualité, Editions du moment, 2016.
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