Rival idéologique du Front national, le Bloc identitaire traverse une crise existentielle et connaît de sérieuses dissensions au sein de sa direction.
Dimanche, au palais des congrès de Nice. Alors que Marine Le Pen entame son discours de clôture des universités d’été du FN, un invité inattendu fait son entrée dans les travées. L’apparition se veut furtive mais elle est très remarquée. Avec son physique de colosse, Philippe Vardon, figure tutélaire de Nissa Rebela, l’antenne niçoise du Bloc Identitaire, passe difficilement inaperçu. Après avoir tant rué dans les brancards du FN des Alpes-Maritimes, son apparition est étonnante…
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Surtout qu’en marge du meeting, plusieurs exclus du Front vont faire des révélations. Yvan Benedetti, l’ancien bras droit de Bruno Gollnisch, suspendu du Front en juillet dernier, affirme qu’un protocole d’accord électoral aurait été signé entre le FN et le Bloc Identitaire. Les deux partis démentent mais le lendemain, Arnaud Gouillon, le candidat des Identitaires à la présidentielle, annonce finalement qu’il jette l’éponge.
Mouvement associatif né sur les ruines d’Unité Radicale, le Bloc, qui s’est transformé en parti politique en 2009, n’a pas réussi à devenir l’alternative au Front national qu’il souhaitait être. Spécialisé dans l’agit-prop, il a concurrencé son aîné sur le terrain de l’activisme mais reste marginal sur le plan électoral.
Après des élections cantonales décevantes, des dissensions apparaissent au sein de la direction du mouvement identitaire. La présence de Vardon au meeting du Front n’a fait que l’accroître. « Sur un sujet aussi essentiel, le bureau exécutif du Bloc aurait dû être consulté« , fulmine un cadre historique du mouvement.
« Surtout que cette question d’une alliance avec le Front revient avec insistance depuis un an et n’a jamais cessé d’être rejetée », ajoute t-il.
Aujourd’hui, Philippe Millau, et Jacques Cordonnier, respectivement responsable des Identitaires bretons et alsaciens, représentent la ligne la plus hostile à un projet d’alliance électorale avec le Front national. Pour s’en différencier, ils avaient même œuvré pour que les universités d’été du Bloc, du 9 au 11 septembre dernier, abordent un thème clivant: l’Europe. « L’objectif était d’afficher nos différences vis-à-vis du Front, partisan d’un cadre nationaliste« , explique un militant identitaire. Le communiqué final produit sur le site du parti n’en fera finalement aucune mention, déclenchant le courroux de plusieurs dirigeants.
Conscient du risque d’implosion, Fabrice Robert a cherché à jouer l’apaisement mercredi. Dans une interview accordée à Minute, le patron des Identitaires a conditionné le soutien de Marine Le Pen au vote des militants. Mais dans un communiqué publié mardi, Philippe Vardon, craignant un vote négatif, s’est aménagé une porte de sortie. Le leader niçois compte en effet organiser sa propre consultation auprès des partisans de Nissa Rebela, qu’il sait acquis à sa cause. « Cette option lui permet de s’affranchir du vote des militants identitaires« , analyse placidement un de ses camarades.
« Le FN a compris que notre point faible c’était Vardon en raison de ses ambitions électorales en 2014 (élections municipales et territoriales ndlr) et ils font tout pour qu’il se désolidarise des rangs », rajoute t-il fataliste.
Une stratégie de démantèlement
Du coté du Front, on ne cache pas son bonheur de voir ses dissensions entre Identitaires et l’on ose même en revendiquer la paternité . « Entre 2007 et 2010, le Bloc identitaire était fort car nous étions dans le creux de la vague. Maintenant que nous sommes redevenus forts, leurs cadres ont du mal à résister à notre pouvoir d’attraction« , jubile un conseiller mariniste.
« Contrairement aux bêtises qu’a pu dire Yvan Benedetti, nous ne cherchons pas à négocier d’accord national, ça serait leur donner trop d’importance. Des accords locaux sont bien plus intéressants et nous permettent de détricoter progressivement leur structure. »
Cette stratégie de désagrégation du Bloc identitaire aurait commencé après les élections cantonales de mars 2011 en travaillant à bras-le corps Philippe Vardon. « Après avoir tout fait pour réduire son score électoral dans le canton de Nice, Laurent Ozon et Nicolas Bay (deux membres du bureau politique du FN à l’époque ndlr) ont été le voir en lui faisant comprendre que s’il s’était présenté sous les couleurs du Front, il aurait été élu », relate un dirigeant frontiste. « Nous nous arrangions d’ailleurs pour que chacune de nos rencontres avec lui obtienne un écho dans la presse, histoire de mettre un peu d’ambiance chez les Identitaires« , sourit-il satisfait.
Une volonté de débauchage
En amputant le Bloc identitaire de son fief niçois, le FN cherche à porter un coup décisif à une structure politique rivale qui aurait pu lui faire de l’ombre mais également à recruter dans son vivier de militants actifs et formés idéologiquement, de futurs cadres pour mener la campagne présidentielle en 2012. « On a beaucoup trop d’adhérents dormants. Pour structurer un mouvement, c’est problématique« , reconnaît sans détour un conseiller de Marine Le Pen. Lors des journées d’été du mouvement, le Front national de la jeunesse affichait péniblement une cinquantaine de membres. Un fiasco.
« Aujourd’hui le Bloc a atteint son plafond et aura du mal à résister au pouvoir d’attraction du Front même si des divergences idéologiques importantes subsistent avec le discours de Marine Le Pen », analyse le politologue et spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus.
S’il n’ose pas prononcer le mot « crise », Jacques Cordonnier, responsable d’Alsace d’abord, l’antenne alsacienne de Bloc, reconnaît que sa formation est en pleine « réflexion existentielle ». Pesant chacun de ses mots, le leader d’Alsace d’Abord déclare: « Nous cherchons à définir ce que nous sommes et ce que nous voulons être. »
Adepte d’une stratégie gramscienne, le Bloc est un aiguillon idéologique qui a fait ses preuves mais qui aura vraisemblablement du mal à résister à la bataille politique que lui mène actuellement le Front national. Pour Jean-Yves Camus, « si le Bloc perdait Nissa Rebela, ça serait un gros coup dur mais attention tout de même. Si le FN donne l’impression d’un dynamitage en règle, il sera plus difficile pour eux de récupérer les morceaux.«
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