C’est une grande première depuis le début de la législature, Lionnel Luca et Alain Marleix, Dominique Tian, Alain Leboeuf et Philippe Vitel, tous députés UMP, ont cosigné une proposition de loi avec la députée du Front national Marion Maréchal Le Pen. L’historien Nicolas Lebourg revient sur la portée de cet accord législatif.
Les passerelles se multiplient entre le FN et l’UMP. Après la manifestation contre le mariage pour tous, Marion Maréchal-Le Pen a rejoint une proposition de loi cosignée par des élus UMP qui porte sur la « reconnaissance du génocide vendéen » comme l’a révélé Slate.fr. Spécialiste des droites extrêmes, l’historien Nicolas Lebourg revient sur ce rapprochement inédit et sur ses conséquences électorales et historiographiques.
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En rejoignant une proposition de loi signée par des députés UMP après avoir été l’une des rares frontistes à manifester contre le mariage pour tous, Marion Maréchal s’impose-t-elle comme la véritable figure de l’opposition au sein du Front ?
Elle place très habilement la marque « Le Pen » sur un creux laissé par sa tante. Quand on analyse son parcours idéologique, on s’aperçoit que Marine Le Pen a d’abord épousé la ligne promue il y a 15 ans par Samuel Maréchal, le père de Marion Maréchal Le Pen : « ni droite ni gauche », « République », « laïcité », etc. Le combat pour la présidence du parti a amené à la liquidation de l’essentiel des catholiques traditionalistes, privant Bruno Gollnisch de bataillons essentiels. Ensuite, sous l’influence de Florian Philippot, l’actuel numéro deux du FN, cette ligne s’est infléchie vers le souverainisme. Résultat : Marine Le Pen n’est pas allée manifester contre le mariage pour tous en disant que c’était un dérivatif sociétal à la question sociale. Bruno Gollnisch s’est assez logiquement étonné qu’un traditionaliste comme le trésorier Wallerand de Saint-Just se soumette aussi à cette ligne Philippot. Dans la « manif pour tous », il y a avait donc Bruno Gollnisch et une seule personne nommée Le Pen : Marion. Quatre jours plus tard, la voilà sur le prototype même de la question sociétale : la revendication mémorielle ! Et alors que Marine Le Pen affirme volontiers que les membres de la « Droite populaire » sont les pires de la droite, puisqu’ils parleraient de patrie mais se coucheraient devant le mondialisme, Marion Maréchal Le Pen marque ici les possibilités de rapprochement. Il y a manifestement aujourd’hui une Le Pen qui incarne une contre-ligne à celle impulsée par Florian Philippot. Elle agit finement : à l’intérieur du parti, elle ne peut que regrouper derrière elle tous ceux qui sont hostiles à cette ligne, et, en même temps, on ne peut rien lui reprocher puisqu’elle peut arguer que son positionnement est complémentaire et permet à la marque « Le Pen » de couvrir tous les segments.
Est-ce une première que le FN prenne le parti d’une défense des mémoires sur l’Histoire ?
La première fois remonte à un amendement gouvernemental de 1987 visant à réprimer la négation de crimes contre l’humanité. Le FN a alors un groupe à l’Assemblée. Ses députés ont déposé une noria de sous-amendements, Bruno Gollnisch exposant qu’il s’agit de définir plus précisément ce qui est entendu par crimes contre l’humanité. On a alors un inventaire à la Prévert de la violence de masse contemporaine : la Vendée de 1793, l’Arménie de 1915, le Cambodge des Khmers rouges, l’Ukraine de 1932, etc.
Cette proposition de loi signée par des députés de la Droite populaire et du MPF illustre-t-elle une nouvelle perméabilité idéologique entre la droite et l’extrême droite ?
A l’inverse de ce qu’il paraît, non. D’abord, car c’est avant tout une visée tactique. Les élus de droite agissent en pensant aux élections locales de 2014 et 2015. Il s’agit de montrer qu’il y a des terrains d’entente. Ces élus ne peuvent pas suivre le FN sur ces thèmes de prédilection : « préférence nationale » et sortie de l’euro. Par ailleurs, la Droite populaire est très libérale économiquement, bien loin des positions protectionnistes de Marine Le Pen. Le marqueur culturel s’imposait donc pour obtenir ce geste de rapprochement. Juger le passé, ça ne coûte rien, ça donne un marqueur symbolique pratique pour envoyer ce message. Ensuite, il faut bien voir que quasiment dès l’origine, ce thème a reçu des échos à travers toutes les droites. On est là sur un sujet choisi précisément parce qu’il transcende depuis longtemps les familles des droites
Ce thème du « génocide vendéen », n’est-ce pas une vieille lubie de l’extrême droite ?
L’analogie entre génocide et massacres en Vendée existe depuis 1945, mais l’expression apparaît vraiment en 1985, via la soutenance d’une thèse d’Etat dirigée par Pierre Chaunu. Le jury ne comportait pas de spécialistes de la question. Auteur de travaux importants, Pierre Chaunu était un historien proche des milieux nationaux-catholiques, y compris frontistes, que le projet de loi présent cite d’ailleurs dans sa « démonstration ». Chaunu devient ensuite la tête de file de cette polémique. Deux ans après, un pamphlet à ce propos du révolutionnaire Gracchus Babeuf fut réédité : il est, lui aussi, cité par la proposition de loi. Cela s’inscrit par ailleurs dans l’usage social toujours plus vaste du terme de « génocide ». Un « génocide », c’est l’extermination d’un groupe par l’assassinat de chacun des membres qui le composent selon la puissance homicide, mais c’est couramment devenu un simple synonyme de « massacre de masse ». Disons le : la mémoire est un marché. Des groupes s’y livrent à une concurrence de concentration de capital symbolique. Celle-ci s’obtient par la mise en avant d’une tragédie fondatrice assurant l’identité de la communauté désignée. Et chacun utilise en mètre étalon le souvenir de l’extermination des juifs d’Europe. Ici, dans le projet de loi, il y a une ahurissante analogie entre la République et le IIIeReich, avec une nazification de la première. La gauche pourra s’époumoner, mais le prototype de la loi mémorielle revisitant ainsi le passé, c’est la loi Taubira sur l’esclavage. Et on avait déjà eu droit à ce type d’anachronismes, ainsi avec le livre de Claude Ribbe décrivant la traite négrière telle une Shoah par cales. Le discours des uns est la copie conforme de celui des autres.
Est-ce qu’il y a une fatalité à cette guerre des mémoires ?
Tant que des politiques voudront donner des compensations symboliques à des segments électoraux, il y aura de telles propositions de loi. Avec le juriste Dominique Sistach, nous avions proposé lors d’un colloque dirigé par le professeur Marandet que notre droit adapte et adopte un élément de droit allemand en déclarant que « l’art et la science, la recherche et l’enseignement sont libres. La liberté de l’enseignement et de la recherche ne dispense pas de la fidélité à la Constitution et aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Cette formule permettrait, sous une formulation constructive et positive, de nous interdire de nouvelles lois mémorielles et de désarmer celles existantes, sans pour autant lâcher la bride aux délits de diffamation et haine raciales. S’il y a des élus de droite et de gauche qui estiment que le devoir du législatif n’est pas de fragmenter la société française en produisant de l’évènementiel, cela pourrait être une contre-proposition au projet de loi actuel, non ?
Recueilli par David Doucet
Nicolas Lebourg est le coauteur avec Joseph Beauregard du livre Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN, Nouveau Monde Éditions, novembre 2012.
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