Durant quatre ans, l’opposition entre le gaucher teigneux et le flegmatique Suédois va passionner les fans de tennis, et bien au-delà. Une rivalité hors norme
qui restera teintée d’un respect indéfectible entre les deux immenses champions.
Nous sommes en 1979. John McEnroe est opposé à Björn Borg en demi-finale du tournoi de La Nouvelle-Orléans. C’est la troisième confrontation en carrière entre les deux hommes, une victoire partout pour le moment. On est à 5-5 au troisième set, et McEnroe est en train de péter un câble au fond du court, pour changer.
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Mac est le feu, et Borg la glace. “Fire and Ice”, c’est ainsi qu’on a surnommé leur rivalité, qui au fond n’en était pas vraiment une… A La Nouvelle-Orléans, McEnroe est fou de rage donc, il jette sa raquette, shoote dedans, crache, hurle, se tire lui-même les cheveux. Le public américain siffle. Borg, 23 ans, n’en revient pas de voir Mac – qui vient d’en avoir 20 – se mettre dans un état pareil.
Une confrontation majeure dans l’histoire du tennis
Le Suédois est au filet, et il fait un signe à l’Américain. On pourrait craindre le pire, mais Borg a le sourire. Il dit : “Viens voir John, viens voir.” McEnroe a le trouillomètre à zéro. Il hésite à y aller. Il a peur de se faire pulvériser par le numéro un mondial. Il a honte, presque. “Je pensais qu’il allait me hurler dessus”, confiera Mac quelques années plus tard. Borg insiste, ramène-toi mec.
L’Américain avance et arrive à la hauteur d’un type qui lui sourit à nouveau et lui lance : “Pourquoi tu te mets dans un état pareil, ce n’est qu’un jeu.” McEnroe repart avec un sourire étrange. On pense que c’est de l’ironie, et qu’il se demande bien au fond de lui-même pourquoi ce grand échalas nourri aux Krisprolls peut lui dire une connerie pareille. Mais non, Mac est soulagé, il se sent alors, il le racontera ensuite, “accepté par Borg”. Et vous imaginez bien qu’en 1979, quand on est joueur de tennis, ça n’est pas rien.
A La Nouvelle-Orléans, McEnroe finira par cuire Borg en trois sets. On est aux prémisses d’une confrontation majeure dans l’histoire du tennis et du sport en général, qui durera en gros quatre ans, jusqu’à la retraite anticipée de Borg en 1983 (il a alors tout juste 26 ans).
Quatorze matchs, sept victoires partout, du grand art à chaque rencontre, avec un sommet en 1980 en finale de Wimbledon, remportée par Borg 8-6 au cinquième set dans ce qui pourrait être l’un des sommets du tennis mondial avec quelques Nadal-Federer (celui de janvier dernier en Australie n’était pas si mal, avouez).
Une bataille de caractères et de styles
Depuis près de trente ans et le tout premier match entre les deux hommes (McEnroe avait éclaté Borg chez lui à Stockholm en 1978, en demi-finale, en deux sets secs, 6-3 puis 6-4, aucun respect), la rivalité entre les deux champions est présentée comme un clash de tempéraments, une bataille de caractères, sale pour McEnroe bien sûr, et placide pour Borg même si la tempête est intérieure chez le Suédois. C’est au contraire une opposition de style radicale, d’une beauté rare et fulgurante, qui laisse peu de place aux éclats verbaux et beaucoup à l’attitude (surtout celle de l’Américain).
Borg, quand McEnroe déboule sur le circuit en 1977, c’est le boss du game. Un style plutôt académique, un revers à deux mains pas très glamour, une raquette Donnay qui envoie du plomb. A 20 ans, celui qui ambitionnait de jouer la Coupe Davis avec la Suède et de poser une pompe sur le central de Wimbledon a réalisé tous ses rêves. Coupe Davis 1975, Wimbledon 1976, le premier d’une série de cinq, pas mal pour un mec qu’on a plutôt défini comme “à l’aise sur la terre battue”.
Borg est une machine, il gagne dans la sérénité, ne laisse rien transparaître. Tout ça ne fait pas rêver mais le palmarès est conséquent : de quoi figurer de longues années sur le toit de l’histoire du tennis mondial (désormais occupé par Federer, pour des siècles et des siècles, amen).
McEnroe, c’est tout l’inverse. Le kid transpire le génie, son style est totalement nouveau, ses prises de raquette vraiment dingues, à vous rendre cinglé un éducateur fédéral premier degré. Et ce toucher de balle ahurissant, il caresse de la Dunlop, on n’entend presque pas la balle quand il tape dedans, McEnroe.
Bientôt au cinéma
Il faudra attendre le Slovaque Miloslav Mecir, dit “le Chat”, quelques années plus tard pour vivre ça à nouveau. Des mecs qui ne fond pas de bruit, qui semblent jouer avec un silencieux, qui trouvent des angles inédits et qui propulsent la balle à une vitesse incroyable. C’est presque un ballet, c’est beau à voir.
Et puis il y a l’attitude. Mac est un enfant du punk, c’est une évidence. A New York, où il vit, on ne peut pas imaginer qu’il n’a jamais mis les pieds au CBGB pour voir jouer les Ramones, les Dolls ou Richard Hell. Le mec est à fond, il hurle sur les arbitres, balourde sa raquette à la première occasion ou la casse sur tout ce qui bouge.
Parfois, il fait mine de jouer de la guitare avec, et d’ailleurs il en joue pour de vrai, de la guitare. Ses accès de colère sont légion, et contrastent avec la noblesse dont Borg fait preuve sur le court. C’est un scénario pour le cinéma, et le cinéma ne s’y est d’ailleurs pas trompé, puisque fin 2017 sortira sur les écrans Borg vs McEnroe (1), un film suédo-finno-dannois, avec Sverrir Gudnason dans le rôle de Borg et Shia LaBeouf dans celui de Mac (quel excellent choix nom d’un chien, chapeau).
Tout sépare Mac et Borg, leur opposition est celle d’un bateau qui cogne à toute blinde dans un iceberg. Et c’est ça qui fascine, qui donne tout son sel à ce mano a mano qui marquera toute une génération. Bien sûr, il est facile d’être “pour McEnroe”.
Borg se nourrit de McEnroe, et vice versa
C’est le rebelle, le mauvais garçon, le gaucher, le plus jeune, le plus dingue, le plus doué, le plus cool aussi, il porte le polo Sergio Tacchini comme personne et il faut reconnaître qu’il est même plutôt pas mal. Borg se défend aussi, mais ça fait moins rêver, c’est un bain d’eau tiède Björn, vu de loin (et pourtant c’est un chaud lapin, il a piqué la nana de Panatta, le jeune Borg). A choisir, c’est vrai qu’on irait plutôt boire des Bud avec le gars John, ça c’est entendu.
Pourtant, Borg se nourrit de McEnroe, et vice versa. Il faut voir la gueule de McEnroe en 1983, lorsqu’il apprend, interviewé par un journaliste, que Borg a décidé de prendre sa retraite. Il est soufflé, c’est comme s’il comprenait que celui qui lui offrait une opposition parfaite venait de disparaître brutalement du paysage. Il y a bien Connors en face, mais le vieux Jimmy est comme lui, erratique et un peu fou, et puis les gens l’aiment bien, Connors.
Dans le très beau documentaire Fire and Ice diffusé en 2011 sur HBO, Mac explique avec sa forfanterie légendaire que si le Suédois est parti, c’est parce qu’il avait compris qu’avec lui il ne serait plus jamais le meilleur. Hey, ça va les chevilles ?
Borg nie en bloc, dans le même documentaire. S’il est parti, c’est par lassitude. Il avait tout gagné à part l’US Open, et l’US Open c’est pas non plus indispensable. Et puis il y a la fatigue, les années passées sur le circuit, dans les hôtels, les avions.
https://www.youtube.com/watch?v=s2Ybgtc7XA4
Un come-back fracassant de McEnroe
Tout ça vous épuise un homme, il en avait ras le sac à raquettes, Björn, tout simplement. Ce que McEnroe comprendra quelques mois plus tard, quand lui aussi commencera à mettre la balle jaune au second plan, en pleine love story avec l’actrice américaine Tatum O’Neal.
Si ce n’est que McEnroe opère lui un retour fracassant en 1984 (sauf à Roland-Garros) en reprenant sa place de numéro un mondial, ce que Borg ne fera jamais. L’Américain finit l’année avec 82 victoires et 3 défaites, soit 96,47 % de victoires, ce que Federer ne parviendra pas à égaler (95,3 % en 2005, quand même).
La légende raconte d’ailleurs que c’est Borg en personne qui aurait dit à McEnroe, lors d’une soirée de gala : “Mon pote, tu sais bien que ça ne t’intéresse pas d’être numéro 2, ce que tu veux, c’est être numéro 1 encore une fois, alors go.” Et ça, ça vous booste un Mac : pendant quelques mois au moins. Mais au fond, le cœur n’y est plus.
Une rivalité empreinte d’échanges révérencieux
Et puis qui a envie de se cogner Ivan Lendl, ce gros lourd tchécoslovaque qui semble tout droit sorti d’un mauvais film sur la guerre froide. C’est moche à voir jouer, c’est pénible Lendl, le type a l’air antipathique en plus. En 1984, Mac prend une rouste contre lui Porte-d’Auteuil, pour ce qui reste l’une des plus grosses déceptions de Roland – qui rêvait de voir l’enfant terrible du tennis mondial triompher sur terre battue.
C’est la fin de McEnroe, pour qui sonne progressivement le glas. Après ce match, Mac sera plus connu pour ses coups de gueule que pour son coup droit ou son revers, qu’il a pourtant sublime. Il fait désormais partie de l’histoire du tennis, et il n’ignore pas que c’est en partie grâce à Borg, ce colosse suédois qui pendant quatre ans lui a permis de jouer son plus beau tennis, de s’imposer comme le Mozart de la balle jaune. De son côté, Borg va mal. Tentative de suicide, banqueroute, divorce coûteux, problèmes divers et variés. Le Suédois est moins à l’aise dans la vie que sur le court.
En 2006, alors que sa situation financière n’est pas des plus stable, Borg décide de vendre ses cinq trophées de Wimbledon aux enchères pour assurer la sécurité de sa famille. Emoi dans le tennis mondial. Un type décroche son téléphone et appelle le champion désargenté : c’est John McEnroe. “Mon pote, ça va pas ou quoi, tu es devenu fou mec ? Vendre tes trophées de Wimbledon ?”
On murmure que c’est suite à ce coup de fil que Borg aurait décidé de renoncer à la vente. Suite à l’appel de celui qui, en 1981, mettait fin en triomphant sur le gazon anglais à cette fameuse série de cinq victoires de l’enfant de Stockholm. Stockholm où avait eu lieu leur première rencontre officielle. Vous avez dit rivalité ?
1. Borg vs McEnroe de Janus Metz Pedersen, en salle le 8 novembre
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