Depuis 1981, la question du droit de vote aux immigrés divise la classe politique française. Alors que le Sénat doit examiner la semaine prochaine une proposition de loi du PS visant à accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales, nous avons interrogé l’un des hommes politiques qui s’est le plus battu pour faire adopter cette mesure.
Candidat à l’élection présidentielle de 1988, Pierre Juquin a été le premier à défendre l’idée d’accorder le droit de vote aux immigrés quelle que soit l’élection. Il n’a recueilli que 2,10% des voix, et sa proposition est provisoirement tombée en désuétude. A l’heure où 61% des Français se déclarent favorables à cette mesure, cette ancienne figure du Parti communiste se déclare optimiste quant à la future adoption du projet.
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Lors de votre campagne en 1988, vous défendez l’idée d’accorder aux étrangers le droit de vote à toutes les élections. Pourquoi ce choix alors que l’heure semble plutôt au durcissement des positions vis-à-vis de l’immigration au sein de la classe politique ?
Ma campagne avait une charge utopique. Je souhaitais ouvrir un débat au sein de la société française. J’estimais qu’accorder le droit de vote aux étrangers était la meilleure réponse que nous pouvions apporter face à la montée du Front national. Pour récupérer les classes populaires qu’il était déjà en train de perdre, le Parti communiste avait tenu des propos très durs contre l’immigration, il avait cessé d’être lui-même.
Je me suis porté candidat pour prôner un retour aux sources du communisme. Je pense que nous avons un devoir d’éducation, d’éveil, de « conscientisation » vis-à-vis du monde ouvrier et du monde travail. Je voulais y contribuer pour ma faible part en défendant l’idée d’accorder la citoyenneté aux étrangers.
Alors que François Mitterrand avait inscrit le droit de votes des étrangers aux élections locales dans son programme en 1981 et en 1988, il n’a jamais fait adopter cette proposition. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que cette idée ne faisait pas l’unanimité au sein du Parti socialiste. François Mitterrand a eu le courage de porter l’abolition de la peine de mort à contre courant de la société française mais il n’a malheureusement pas eu la même audace concernant le droit de vote aux étrangers. Pourtant, je pense qu’annoncer la citoyenneté des immigrés aurait eu la même importance historique que l’abolition de la peine de mort. C’est une idée qui a une dimension humaniste fondamentale. Il s’agissait de dire que l’identité ne se définit pas seulement par la dimension nationale.
En déconnectant la citoyenneté de la nationalité, cette dernière va-t-elle perdre son sens ?
Le principe selon lequel le citoyen est défini uniquement par l’Etat-nation est un principe qui n’a plus lieu d’être. Il faut penser à l’échelle de l’humanité en train de s’unifier plutôt que dans les limites de l’Hexagone ou d’une Europe qui tenterait de flotter comme une île bienheureuse sur l’océan d’un monde pollué par des inégalités inadmissibles. Le brassage et le métissage ne font que débuter. La dimension européenne supplante déjà pour un certain nombre d’élections la dimension nationale.
Selon le docteur en sciences politiques Hervé Andrès, près d’un tiers des pays accordent déjà le droit de votre aux étrangers. Pourquoi la France est-elle à la traîne sur cette question, selon vous ?
Dans notre pays, il y a des non-dits graves remontant à la période coloniale. Il y a plus de mille films américains sur la guerre du Vietnam et il n’y a pas vingt films français sur la guerre d’Algérie. Il faut réaliser son examen de conscience pour que la démocratie progresse et pour combattre la xénophobie latente au sein de notre société.
La semaine prochaine, le Sénat va examiner une proposition de loi du PS visant à accorder le droit de vote aux étrangers. Etes-vous optimiste quant à son adoption ?
Je pense que les mentalités ont beaucoup évolué, 61% des Français se disent aujourd’hui favorables à cette mesure. D’ailleurs, beaucoup de Tunisiens qui vivent en France viennent de voter aux élections législatives dans leur pays sans que cela ne choque plus personne.
L’UMP semble vent debout contre cette mesure, notamment après la pétition lancée par la Droite populaire dans Minute.
C’est une redite puisque dans les années 90, la droite avait déjà lancé, par l’intermédiaire d’Alain Juppé, une pétition contre le droit de vote des étrangers. Mais en 2005 et en 2008, Nicolas Sarkozy avait déclaré qu’à titre personnel, il était favorable à cette mesure. Ça prouve qu’une personnalité de droite peut évoluer sur ce sujet. Le combat pour construire une société d’avenir plus ouverte et égale n’est pas perdu…
Recueilli par David Doucet
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