De la pop culture à la mode, de la pensée aux soirées, l’art queer attire un public plus vaste que jamais.
“A quoi carbure désormais l’art du travestissement ? Autant se demander ce qui n’alimente pas sa flamme.” C’est sur un ton jubilatoire que le styliste Simon Doonan ouvre son livre Drag, la folle histoire illustrée des vraies queens, paru cet automne chez Cernunnos. L’auteur admet qu’il y a vingt ans il n’aurait jamais imaginé un tel engouement pour ces quatre lettres qui signifient texto “dressed as a girl”. Et pourtant. De New York à Taipei, cet art LGBTQI + n’en finit pas de conquérir le monde.
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De la niche au mainstream
“Ce n’est pas la première fois qu’il y a une résurgence drag dans l’espace culturel. On a connu ça dans les années 1990 avec la sortie du documentaire Paris Is Burning (Jennie Livingston, 1990, sur la scène des ballrooms de New York – ndlr) et de Priscilla, folle du désert (Stephan Elliott, 1994 – ndlr), film salué par la critique”, explique le sociologue Arnaud Alessandrin, spécialiste des transidentités. Ce qui est inédit aujourd’hui selon lui, c’est la durée de l’engouement : “Il y a une amplification par l’entertainment, Netflix et les réseaux sociaux.”
Depuis janvier 2019, les onze saisons de la téléréalité RuPaul’s Drag Race sont disponibles sur la plateforme de VOD en France. Cela fait dix ans que la drag-queen la plus célèbre au monde se construit un empire, en devenant une figure de la pop culture.
En 2016, Fabien Lesage est un pionnier de la renaissance de la scène drag à Paris quand il crée l’afterwork #JeudiBarré dans le bar du Marais Le Yono. Il est témoin de l’enthousiasme d’un public toujours plus large et des nouvelles queens : “Alors qu’il y a quelques années les drags se créaient leur look au fur et à mesure des soirées, aujourd’hui les nouvelles queens sortent déjà presque parfaites. Génération YouTube, tutos et RuPaul », dit-il.
Reconnaissance par le glam et les droits
Si RuPaul’s Drag Race n’échappe pas aux critiques, une floppée de stars nées sur le petit écran ont construit une carrière solide ensuite. C’est le cas par exemple de Violet Chachki, gagnante de la septième édition, qui a depuis travaillé avec de grandes marques de luxe comme Prada ou Moschino et monté son show solo. De fait, la mode doit beaucoup à la culture drag, comme le montre Simon Doonan dans son livre. Une des grandes expositions en 2019 du MET à New York était d’ailleurs dédiée au camp, la culture queer dont est né le drag.
La popularité du drag est aussi rendue possible par des années de combat pour les droits LGBTQI + et par une certaine acceptation de l’homosexualité aujourd’hui : “Nous sommes dans une temporalité militante qui est celle de la mémoire, on le voit avec les hommages rendus. On est dans une inscription historique sur le long terme, explique Arnaud Alessandrin. Le militantisme passe peut-être plus que jamais par la pop culture. Et quoi de plus scénique que cette culture drag ?”
Réappropriation queer, actualisation politique
Alors que le drag accède à une reconnaissance grand public inédite, cette culture continue de se renouveler. Le drag s’avère le divertissement idéal pour une génération critique du genre : “En France, la théorie queer apparaît fin 2000, ce n’est pas étonnant que le mouvement prenne cet essor. Il y a une vraie corrélation entre la théorie et la pratique”, souligne Arnaud Alessandrin.
Le drag ne transgresse plus seulement le féminin-masculin : le mouvement des clubkids, sorte de cousin terrible du drag, rassemble des créatures queer surréalistes. L’objectif est de “faire comprendre et accepter l’abandon d’une société binaire et de commencer à parler de spectre, de richesse humaine”, résume Tiggy Thorn, performeur et organisateur des soirées Kindergarten à Paris.
La scène des drag kings est elle aussi en plein développement. A Paris, cette scène semble performer un écho d’un renouveau féministe post-MeToo. Jésus La Vidange, qui a fondé la soirée mensuelle Kings Factory (Les Souffleurs, Paris 4e – ndlr), est optimiste : “Bien sûr que les kings peuvent devenir aussi populaires que les queens. On a déjà certains exemples, comme le bel exemple que Lady Gaga a rendu aux kings.”
Dans un contexte politique inquiétant, la figure drag s’impose aussi comme un symbole de résistance. Selon Tiggy Thorn : “Le renouveau du clubkid ou du drag est juste la réponse du milieu queer à la situation générale actuelle.” Fabien Lesage conclut : “Les millennials sont très au fait de l’atmosphère pessimiste dans laquelle on évolue. Faire du drag, c’est refuser tout ça. Mettre des arcs-en-ciel dans la vie des gens. Et ils en ont terriblement besoin. Je pense qu’on peut tous leur dire merci juste pour ça.”
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