Barack Obama, Hillary Clinton et Rosa Parks en sont des ambassadeurs. Après 30 ans d’échec des politiques de la ville, le “community organizing”, nouveau modèle militant venu des États-Unis, promet de rendre le pouvoir aux quartiers populaires. Espoir ou chimère ?
Et si, pour régler les problèmes des banlieues, on partait de ses habitants plutôt que d’élaborer des politiques dans les salons feutrés des ministères ? C’est, en substance, la méthode que défendent les “community organizers”, un concept venu des Etats-Unis et qui fait ses premiers pas en France. Ses adeptes partent du constat que trente ans de politique de la ville n’ont guère amélioré la situation des quartiers.
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Outre-Atlantique, la méthode a des émules de renom : Barack Obama a été organizer à Chicago après ses études. Hillary Clinton a rédigé un mémoire de recherche sur le créateur du concept. Et Rosa Parks, qui lança le mouvement des droits civiques en refusant de céder sa place à un passager blanc dans un autobus et qu’on présente souvent comme une personne ayant accompli une démarche isolée, était issue d’une de ces “communautés”.
“C’est le développement du leadership du plus grand nombre qui peut seul combattre les abus de leadership et diminuer le risque d’élitisme”, écrit la politologue Hélène Balazard, qui sort un livre ce mois-ci sur le sujet, Agir en démocratie. Un véritable manuel d’action, qui prône l’émergence de corps intermédiaires, seuls capables d’interpeller l’État, les collectivités locales et les entreprises. Et un retour passionnant sur ses observations de deux “community organizations”, l’une britannique, l’autre française.
Aider à obtenir des meilleures conditions de travail
De l’autre côté de la Manche, les “London citizens” existent depuis près de 20 ans, mobilisant aujourd’hui près de 50 000 foyers et regroupant près de 250 associations membres. En France, l’Alliance citoyenne, née en 2012 à Grenoble et financée pour l’instant principalement par les formations qu’elle donne et par l’argent de fondations privées (Fondation de France, Fondation Abbé Pierre, Fondation non-violence 21 et Fondation Georges Hourdin) regroupe une trentaine d’associations et quelques dizaines de membres individuels. Tout deux s’inspirent de l’écrivain et sociologue américain Saul Alinsky, souvent désigné comme le père du mouvement, qui développa la première “organisation communautaire” dans les années 1940, à Chicago, en “mêlant entre autres les principes de l’enquête sociale avec ceux de l’organisation syndicale”.
Les “citoyens” londoniens ont obtenu quelques belles victoires, faisant par exemple céder les banques Barclays et HSBC pour qu’elles octroient un “salaire décent” à leurs employés, plus élevé que le salaire minimum, qui permet difficilement de vivre dans la capitale. A Grenoble, les femmes de ménage qui auparavant ne pouvaient travailler que trois heures par jour, de 17h à 20h, ont obtenu des horaires moins tardifs et un volant d’heures plus fourni.
Beaucoup d’organisation pour mener des actions collectives
Si les London citizens font salle comble et parviennent à susciter de tels engagements, c’est notamment en raison de leur méthode, qu’ils veulent la plus horizontale possible. Avant le lancement d’une action précède une longue phase d’écoute, pendant laquelle les nouveaux membres vont peu à peu “faire le lien entre leur expérience personnelle et les causes des problèmes rencontrés”. Pour les accompagner dans le processus, des “leaders” sont détectés, repérés par des “organisateurs” payés par le mouvement qui vont les former à analyser les relations de pouvoir existantes, à animer des réunions, à mener des actions collectives et des négociations.
Formé à ces méthodes aux Etats-Unis en 2013, Bocar est l’un de ces leaders. Il est aidé par des membres de Studio Praxis, une structure qui, sans faire du “pur” community organizing selon Hélène Balazard, lui emprunte beaucoup, à l’instar du Think tank Graines de France. Bocar, qui arbore le t-shirt de son association An-Noor au moment où nous le rencontrons à Saint-Ouen, est connu de tous dans la ville. En à peine un quart d’heure, il a déjà claqué la bise à cinq personnes.
“C’est ça un “leader” dans le jargon: il “porte, draine du monde”, il a une “street-credibility”, explique-t-il une fois assis au café du coin.
Passer du temps avec les habitants pour identifier des revendications précises
Il est aussi de tous les combats : il fait partie des treize déboutés de la justice qui avaient assigné l’Etat en justice avec le collectif Stop le contrôle au faciès. Et dimanche 10 mai, il accompagnait l’action des mamans du collectif “Saint-Ouen Debout” qui protestaient contre les violences commises dans la ville les jours précédents. Pour préparer cette action, il a appliqué les recettes apprises outre-Atlantique : passer du temps avec les habitants pour identifier des revendications précises, leur expliquer le fonctionnement des médias, organiser des jeux de rôle pour se mettre dans la peau des décideurs et anticiper leur réaction.
“Moi, ce que je kifferais, c’est prendre une maman qui vient du bled avec son accent à couper au couteau et l’accompagner devant un bailleur, comme une combattante. Et elle recommencera parce qu’elle sera revenue victorieuse et qu’elle aura été valorisée. Quand vous faites du community organizing, les gens se sentent concernés. Le système politique, lui, ne fait plus rêver”, assène celui qui est encore adhérent à EELV, mais s’”interroge” sérieusement sur son engagement.
Comme pour d’autres organisations issues de la société civile, les structures qui se revendiquent de Saul Alinsky prospèrent sur le discrédit des partis politiques et des syndicats, qui se sont “hyper professionnalisés et coupés de leur base”, commente Hélène Balazard, en délaissant le porte-à-porte pour la communication de masse.
Mais là où ses adeptes se distinguent des organisations classiques, c’est qu’ils veulent aller plus loin qu’une simple logique d’assistance sociale ou de services, en donnant aux populations les outils pour prendre le pouvoir et le garder. Comme le résume Pauline Diaz, l’une des responsables de l’Alliance citoyenne, “il s’agit de donner une canne à pêche à quelqu’un plutôt que de lui apporter du poisson”.
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