Muzoon Almellehan est la plus jeune ambassadrice de l’Unicef. Après avoir quitté la Syrie et vécu trois ans dans des camps de réfugiés, elle œuvre pour l’accès à l’éducation des enfants, en particulier des filles. Selon Time, elle fait partie des trente adolescents les plus influents de 2017.
Les cheveux dissimulés sous un foulard rose à fleurs, le regard noir, le sourire timide, il se dégage d’elle un air presque enfantin. Au premier abord, on ne soupçonnerait pas la détermination, le courage et la maturité parfois déconcertante qu’il y a en elle. A 19 ans, Muzoon Almellehan est la plus jeune, et la première personne ayant le statut de réfugiée, à avoir été nommée ambassadrice de l’Unicef.
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Elle a 14 ans lorsque la guerre civile dans son pays, la Syrie, la prive d’école et la force à quitter sa maison. Celle qu’on surnomme la “Malala syrienne” (du nom de la jeune militante pakistanaise pour les droits des femmes Malala Yousafzai, élue prix Nobel de la paix en 2014) a fait de l’accès à l’éducation son sacerdoce. Particulièrement celle des filles. En juin dernier, elle s’est rendue au G20 de Hambourg, où elle s’est entretenue avec Angela Merkel pour défendre le besoin pour les enfants réfugiés de pouvoir continuer à poursuivre une scolarité. Une urgence quand l’on sait que, dans les zones de conflit, près de 25 millions d’enfants âgés de 6 à 15 ans ne vont plus à l’école (source Unicef).
Un départ forcé de Syrie
Elle est récemment allée au Tchad, nation traumatisée par les attaques de Boko Haram, et où trois fois plus de filles que de garçons sont privées d’école. Pour elle, l’éducation a toujours été une évidence, une priorité. “J’étais convaincue que c’était le seul moyen d’accomplir mes rêves”, dit-elle simplement. C’est grâce à sa personnalité et à son parcours que l’Unicef a remarqué Muzoon.
Tout commence en 2013, à Daraa. C’est dans cette ville du sud-ouest de la Syrie, près de la frontière jordanienne, qu’a démarré la guerre civile deux ans plus tôt. Alors que les tirs et les bombardements entre les forces loyalistes et la rébellion s’intensifient, Muzoon Almellehan et sa famille décident de quitter leur pays. “La vie était devenue très difficile. Nous n’avions pas assez de nourriture, mon père qui est professeur ne pouvait plus aller travailler, et moi je ne pouvais plus aller à l’école”, raconte-t-elle.
“Ne plus avoir l’opportunité d’apprendre me donnait l’impression que j’allais tout perdre”
Direction la Jordanie et ses camps de réfugiés. “N’emporte avec toi que le strict minimum”, lui ordonne son père. La famille Almellehan attend la tombée de la nuit pour traverser la frontière en sécurité, où une marche longue de quatre heures les attend. Au bout de quelques kilomètres, Muzoon fatigue et ralentit peu à peu le pas. Son père lui propose alors de porter son sac pour la soulager – c’est là qu’il s’aperçoit de son poids.
Et pour cause, l’aînée de la famille a emporté avec elle absolument tous ses livres de classes – histoire, géographie, mathématiques, physique, biologie… Cela fait déjà plusieurs heures qu’elle porte une dizaine de livres sur son dos. Son père lui explique alors qu’elle ne trouvera certainement pas d’école dansle camp. “Justement, au moins j’aurai ces livres pour étudier”, lui répond-elle du tac au tac. “Ne plus avoir l’opportunité d’apprendre me donnait l’impression que j’allais tout perdre.”
Encourager les enfants à continuer l’école
Ils resteront trois ans dans les camps de réfugiés en Jordanie, d’abord dans celui immense de Zaatari, avant de finir à Azraq, plus isolé. “C’était comme si nous recommencions tout à zéro”, se souvient la jeune fille. Alors qu’on propose à sa famille d’aller vivre au Canada ou en Suède, Muzoon rêve secrètement de rejoindre le Royaume-Uni, “un bon compromis”. “Le Canada est trop loin de la Syrie, et je ne parle pas suédois, je vais prendre trop de retard à l’école”, rétorque-t-elle.
Sous sa tente, Muzoon ne cessera de réviser pour passer son diplôme de fin d’études, sorte d’équivalent du brevet des collèges. Un diplôme qu’elle n’a pas encore pu passer, trop souvent contrainte de déménager. Dans chacun des camps, elle trouvera une petite école mise en place par l’Unicef. C’est là qu’elle s’apercevra que certains enfants de son âge ne viennent pas en classe.
“Dans les camps, les gens perdent tout espoir, ils pensent qu’ils n’arriveront jamais à sortir de leur condition de réfugiés. J’essayais vraiment de les convaincre du contraire et de les encourager à continuer”, explique Muzoon. “La guerre peut tout vous prendre, vos amis, votre maison… mais elle n’emportera jamais votre savoir.” C’est comme ça qu’elle décide de mener une campagne.
Elle cible les filles, mariées très jeunes
Chaque jour après les cours, la jeune fille se rend de tente en tente pour convaincre les parents de continuer à envoyer leurs enfants à l’école. Elle cible surtout les filles, mariées très jeunes, qui sont plus nombreuses que les garçons à mettre un terme très tôt à leur scolarité. “Passe ton baccalauréat d’abord et tu pourras te marier ensuite si tu le veux toujours”, leur explique-t-elle. Et peu importe qu’on l’envoie balader, Muzoon persiste.
“Le mariage est l’une des choses qui affecte le plus négativement l’éducation, la plupart des filles qui se marient jeunes ne retournent pas à l’école ensuite. Or, si l’école perd des filles, qui deviennent de surcroît des mères, c’est un désastre. Surtout lorsque l’on sait à quel point la mère a encore un rôle important dans l’éducation des enfants de nos jours”, tranche la jeune ambassadrice.
C’est le livre de l’activiste Malala Yousafvai qui l’a le plus marquée à ce jour : “Son combat inspirant m’a bouleversée”
Au même moment, le décès du petit Alan Kurdi bouleversait l’Europe. Réfugié de la guerre civile syrienne, il est mort noyé le 2 septembre 2015, à l’âge de 3 ans. La photo de son corps échoué sur une plage turque déclenche alors une onde de choc. Cinq jours après, le Premier ministre britannique David Cameron prononce un discours à la chambre des Communes dans lequel il engage l’Angleterre à accueillir jusqu’à 20 000 réfugiés syriens d’ici à la fin de son mandat. Deux mois et demi plus tard, Muzoon et sa famille embarquent dans un avion direction Newcastle. Ils feront partie des premiers Syriens à obtenir le statut de réfugiés assorti d’un visa de cinq ans.“Je me considère comme quelqu’un qui croit en l’éducation, et surtout dans celle des filles”, répond-elle simplement lorsqu’on lui demande si elle se considère comme une militante féministe. C’est pourtant le livre de l’activiste Malala Yousafvai (Moi, Malala, je lutte pour l’éducation et je résiste aux talibans, 2013) qui l’a le plus marquée à ce jour. “Son combat inspirant m’a bouleversée”, se souvient-elle encore. Les deux jeunes filles s’étaient rencontrées en 2015 dans le camp d’Azraq et sont restées très proches.
Khaled Hosseini, Star Wars, Emma Watson…
L’accueil est chaleureux, mais “le froid et l’accent anglais de Newcastle” seront leurs premiers défis. Une école immense, le port des uniformes, des salles de cours et des professeurs qui changent sans arrêt… “Tout était nouveau”, résume Muzoon, qui prépare aujourd’hui l’équivalent du bac à la Kenton School, un lycée du nord de la ville composé de plus de 1 900 élèves et qui prône le multiculturalisme, avec plus de cent nationalités différentes se côtoyant dans ses locaux.
Muzoom s’est fait aider au début par d’autres étudiants arabes, et elle n’était pas la seule à porter le hidjab. “C’est une part fondamentale de ma religion, et personne ne m’y a forcée” confie-t-elle. “Je suis très fière d’être musulmane, mais nous sommes tous des êtres humains avant tout, peu importe notre religion.” Quand elle ne révise pas ou ne voyage pas pour l’Unicef, Muzoon lit les romans de l’auteur afghan Khaled Hosseini (Les Cerfs-Volants de Kaboul, 2003). “J’adore aussi Star Wars et les films avec Emma Watson”, s’empresse-t-elle d’ajouter quand on lui demande s’il lui arrive d’être un peu moins sérieuse.
“La Syrie a besoin de personnes fortes qui pourront accomplir de grandes choses pour reconstruire le pays”
Dans dix ans, Muzoon Almellehan espère avoir terminé l’université, à Newcastle, où elle aura étudié la politique et les relations internationales. “Deux domaines qui me permettront de mieux comprendre pourquoi je suis une réfugiée syrienne”, souligne-t-elle. Elle a longtemps voulu devenir journaliste mais rêve désormais d’une carrière de diplomate. Une chose est sûre, elle continuera à se battre pour l’accès à l’éducation partout dans le monde.
En octobre, la jeune ambassadrice est retournée en Jordanie, dans les camps où elle a vécu, pour rendre visite aux enfants qui, comme elle, ont quitté la Syrie en guerre et retrouvent un peu d’espoir en allant à l’école. “Ce n’est pas une chose sur laquelle je changerai d’avis.” Et la Syrie justement ? “Je retournerai là-bas, entourée de gens qui n’auront jamais cessé d’aller à l’école et qui pourront changer les choses. La Syrie a besoin de personnes fortes qui pourront accomplir de grandes choses pour reconstruire le pays”, conclut-elle.
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