Les déboulonneurs se sont offerts un dix-neuvième procès (épique), hier à Paris, et, pour une fois, le cannibalisme publicitaire n’était pas le seul sujet au programme. Récit.
Celui qui n’a jamais assisté à un procès du collectif des déboulonneurs (spécialistes du genre) devrait s’y précipiter la prochaine fois. Car les activistes ont le don de transformer leur passage devant la justice en tribune contre l’invasion publicitaire, avec humour et pédagogie. Leur dix-neuvième procès n’a pas dérogé à la règle, et a même, au dire d’un militant du collectif, dépassé leurs espérances (« c’était un des plus beaux ! » s’exclame-t-il à la sortie). Pour une fois, leur habituelle charge anti-pub a été légèrement éclipsée par un autre sujet : celui du prélèvement ADN. Car les six déboulonneurs qui comparaissaient devant la justice étaient accusés d’avoir « barbouillé » (pour reprendre leur expression) trois panneaux publicitaires en 2009, mais, aussi, d’avoir refusé un prélèvement génétique lors de la garde à vue qui avait suivi.
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Humour et années 70
Avant leur arrivée dans la (très belle) douzième chambre du tribunal correctionnel, l’humour avait déjà contaminé la salle. La faute à une grande feuille de cannabis s’étalant sur le t-shirt d’un prévenu, dans un procès pour usurpation d’identité (précisons que l’accusé avait déjà été condamné pour trafic de stupéfiant). C’est après avoir affirmé, à la demande de la présidente du tribunal, avoir bien compris ce qui était légal ou non, que le prévenu cède sa place aux déboulonneurs. Alignés en rang d’oignons sur les bancs des accusés, les militants, qui semblent tout droit sortis des années 70, ont la tête haute et l’air détendu, certainement rodés par leurs nombreux passages devant la justice, dix-neuf en tout depuis la création de leur collectif en 2005. Déjà le matin même, lors de leur conférence de presse (qui n’en avait que le nom), ils semblaient confiants. L’un d’eux, Raphaël Callandreau, estimait :
« C’est possible qu’on soit condamnés à des dommages et intérêts mais vis-à-vis de la cause, ce n’est pas très grave de perdre de l’argent. C’est pas de la casse, c’est une bombe aérosol. On sait qu’on ne s’expose pas à des sanctions lourdes. On est très attentifs à la dimension non-violente de notre action. »
Les déboulonneurs font en effet très attention à ne pas casser de panneau publicitaire, se contentant de les barrer d’inscriptions à la bombe. Ils s’assurent ainsi qu’ils ne courront pas de peines lourdes lors de leurs procès, et qu’ils pourront donc les utiliser, à loisir, comme tribunes anti-pub.
Lors de leur passage à la barre, chacun des six militants développe calmement ses arguments contre l’invasion publicitaire. Vincent Boroli, professeur d’EPS, juge le « système publicitaire très intrusif pour les enfants » et raconte que, lors d’une sortie scolaire, ses élèves ont tiqué devant une publicité qui demandait : « et si vous trompiez votre amant avec votre mari cette année? » « je suis resté coi » explique-t-il. Yvan Gradis, écrivain, raconte qu’en 2010, le collectif avait décidé d’arrêter ses barbouillages, suite à une relaxe. Une décision qu’ils s’étaient empressés d’annoncer au ministère de l’environnement, espérant que la loi concernant la publicité serait modifiée pour imposer une réduction du format des affiches à 50×70 cm. Ils ont attendu trois mois. « La classe politique n’a rien fait. Nous avons recommencé les barbouillages. »
Les déboulonneurs ne s’en prennent pas à toutes les publicités, seulement à celles de la rue, de l’espace public, celles que l’on est obligés de voir. « On ne peut pas mettre des œillères, alors que la télé, on peut l’éteindre« , estime Arthur Lutz, membre du collectif.
Rien ne bouge
A la question de savoir s’il y a une amélioration depuis le début de leur combat, les militants répondent pas la négative : la loi ne bouge pas et les panneaux numériques et bâches publicitaires se multiplient. La présidente du tribunal se glisse soudainement dans la peau d’un témoin, déclarant : « on a vu des bâches publicitaires sur le palais de justice pendant des mois et des mois ! ça existe ! » Malgré tout, selon Yvan Gradis, une chose a changé : des riverains se sont élevés, d’eux-mêmes, contre des installations de panneaux, dans leurs arrondissements parisiens.
Deux témoins, Claude Got, professeur de santé publique, et Mehdi Khamassi, chercheur en neurosciences, viennent détailler les dangers de la publicité à la barre. A la mention du matraquage publicitaire dont nous sommes les malheureuses victimes, on ne peut s’empêcher de penser aux affiches du film d’Harmony Korine, Spring Breakers, sur lesquelles des nymphettes, aguicheuses, s’étalent en bikinis, et qui semblent avoir rhabillé la capitale depuis quelques semaines.
« Je ne donnerai ma salive que dans un échange intime »
Pour la première fois, les déboulonneurs parisiens sont chahutés dans leur routine judiciaire par l’arrivée d’un nouveau sujet : le prélèvement ADN, que tous les six ont refusé lors de leur garde à vue de 20h en 2009. « Je n’ai pas compris pourquoi on m’a demandé mon ADN alors que j’ai mis quelques graines de peinture sur un panneau. J’ai l’impression d’être dans de la science-fiction. Je ne donnerai ma salive que dans un échange intime« , s’exclame Pascal Loeb, un des accusés.
Des prélèvements ADN peuvent être effectués lors de certaines gardes à vue et ensuite conservés dans le FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) dans le but de pouvoir, par la suite, confondre des criminels. Mais, selon la généticienne Catherine Bourgain, témoin dans le procès, dans la mesure où dix-huit segments génétiques sont désormais prélevés au lieu de sept, le FNAEG conserve des informations de plus en plus sensibles sur les personnes, qui permettent notamment de connaître leurs origines et leurs pathologies. Des informations trop importantes, selon elle, pour être toutes conservées dans un même fichier, qui pourrait un jour être piraté.
Des déboulonneurs à Martin Luther King
Le procès se conclut sur une plaidoirie grandiloquente de Me Bourdon, l’avocat des déboulonneurs, qui n’hésite pas à dresser un parallèle, très hasardeux, entre les activistes et Martin Luther King. Dur dur de mettre sur le même plan la lutte contre la publicité et le combat des Noirs pour l’égalité des droits… L’avocat déclare également que « la publicité est un instrument mortifère pour nos sociétés. Il porte la mort au nom de l’argent » (grandiloquent, on vous dit). Et termine : « Je pense que l’avenir leur donnera raison (…) ce sont des esprits libres qui ont le souci de l’équilibre dans leur démarche, qui ont attiré autant de justes à veiller sur leur sort« . (Me Bourdon s’était appliqué, précédemment, à citer tous ces « justes », de Michel Serres à Edgar Morin)
Sa plaidoirie finie, Yvan Gradis, bavasseur et comique en chef qui avait glissé une première fois qu’il accepterait bien volontiers la légion d’honneur si on la lui proposait, reprend la parole pour rappeler, l’air de rien, qu’il a bu un café il y a quelques années avec Christiane Taubira, et proposer à la présidente du tribunal d’en boire un avec lui dans quelques années, pour reparler de toute cette affaire. L’assistance se marre. La présidente sourit. L’affaire est entendue.
Le verdict sera rendu le 18 mars. La procureure a requis une amende de 200 euros, et une amende de 200 euros avec sursis pour ceux qui n’ont pas de casier judiciaire, ainsi que la relaxe concernant le refus de prélèvement d’ADN.
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