« Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain », « Quartier V.I.P » ou encore « Ouf ». Dans ces trois films, la marque Gauloises blondes a été « placée ». Une forme de publicité indirecte – et illégale – financée par l’industrie du tabac. C’est le documentaire-enquête « Tabac : nos gosses sous intox », diffusé sur Canal + mercredi prochain, qui le révèle.
« Aux Etats-Unis, il y a eu des condamnations car certains acteurs étaient largement rétribués par des cigarettiers« , nous expliquait il y a un mois le député socialiste Jean-Louis Touraine. Le parlementaire auteur d’un rapport, déposé le 28 février, évaluant les politiques publiques de lutte contre le tabagisme ajoutait : « J’espère que ce n’est pas le cas pour des acteurs français« . Et bien si.
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Dans un documentaire qui sera diffusé pour la première fois mercredi, sur Canal +, intitulé « Tabac : nos gosses sous intox« , Paul Moreira et Pedro Brito da Fonseca démontrent ce que que l’on soupçonnait sans preuves. L’industrie du tabac se débrouille, par des moyens détournés, pour associer ses produits à l’image d’acteurs français célèbres. Une démarche illégale depuis 1991 et la loi Evin qui interdit toute forme de publicité et de promotion, directe et indirecte, en faveur du tabac.
Pas vu pas pris
Dans le film Quartier V.I.P., sorti en 2005, Johnny Hallyday incarne un maton. Dans une scène anodine, il débarque dans un bureau de tabac.
– « Bonjour, dit poliment Johnny.
– Bonjour, Gauloises blondes comme d’hab ? », lui rétorque la buraliste.
Un membre de l’équipe de tournage le confie aux enquêteurs : « Ca c’était du placement de produit, car le film, ils avaient eu du mal à le financer. C’est la prod’ qui a embauché une société pour rechercher des contrats pub’ avec des marques. » Une employée de cette société de démarchage confirme, c’est bien la Seita (Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes, ancienne entreprise d’Etat appartenant désormais à Altadis, filiale du groupe américain Imperial Tobacco, ndlr) qui a payé. Le scénario s’en est trouvé modifié pour avoir « des scènes susceptibles de convenir au fabriquant« , ajoute la publicitaire.
La marque Gauloises blondes apparait également dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, film au 30 millions d’entrées. Alors que Mathieu Kassovitz fouine sous un photomaton, un sac bleu avec un casque ailé est posé à ses côtés, bien en évidence. Dans sa course effrénée après Amélie, Kassovitz trimbale cette réclame qui ne figurait pas dans le story board initial. Ensuite, on retrouve les Gauloises chez un buraliste, dans un bar sur un cendrier… Bref, du sponsoring en règle. Encore une fois, un technicien de plateau confirme. Interrogé, le réalisateur et co-scénariste Jean-Pierre Jeunet semble le découvrir.
« Encore placer du Pierro Gourmand… »
Les jambes posées sur son bureau de l’agence Premières lignes, Paul Moreira ajoute que Jeunet lui a « juste renvoyé un mot confirmant qu’il y avait effectivement eu placement Gauloises blondes. Jeunet m’a dit : « je rêve ». »
« Il était emmerdé parce qu’il est assez anti-tabac lui, estime Moreira. Encore placer du Pierro Gourmand dans du Amélie Poulain, je trouve ça légitime. Ca correspond à l’ambiance du film. Dès que tu mets des saloperies comme du fast-food ou du tabac, je trouve ça dégueulasse. »
Que le septième art soit financé en partie illégalement par des cigarettiers n’est pas nouveau. Aux Etats-Unis, Sylvester Stalone avait palpé un demi million de dollars en nature (une voiture, des bijoux et un cheval de course) pour tirer sur des blondes dans six films différents. Dans la même veine, le célèbre dessin animé les Pierrafeu fut un moment sous licence avec Winston.
Alain Delon, « le goût de la France »
C’est l’autre démonstration du documentaire, les cigarettiers ciblent les jeunes et les pauvres. En ne décourageant pas les « smoking reviews », des vidéos postés sur le net où des ados se montrent en train de tester différentes marques de clopes. En distribuant discrètement et gratis des cigarettes dans certaines soirées. En se concentrant sur des pays en voie de développement comme l’Indonésie ou sur des quartiers défavorisés comme les ghettos noirs américains.
On apprend au passage qu’au Cambodge, l’une des marques phares là-bas s’appelle : « Alain Delon ». Elle affiche pour slogan « Le goût de la France« . L’acteur qui parle de lui à la troisième personne, via son avocat, dit assumer totalement ce « débat moral« .
Dans le cinéma français, « le phénomène était apparemment massif et permanent dans les années 2000« , explique Moreira. La dernière prise de la Seita serait le film Ouf de Yann Coridian, qui suit un quadra en pleine crise existentielle. Après les pauvres, les noirs et les jeunes, il y a donc une autre cible du tabac : les dépressifs.
Tabac : nos gosses sous intox, mercredi 17 avril à 20h55 sur Canal +
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