En mettant en scène des survivalistes ultraréacs, le jeu envoie les Etats-Unis à leurs démons. Mais la résistance s’organise.
Au milieu des colts et des pièces de bifteck, il trône devant une table sur laquelle sont disposés un livre religieux et un drapeau américain. Rictus méprisant, lunettes de soleil sur le nez, les mains grandes ouvertes, le nouveau grand méchant de Far Cry V rejoue la Cène entouré de fanatiques de sa petite secte survivaliste.
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Révélée le 24 mai 2017, cette affiche annonçant le nouveau blockbuster d’Ubisoft a littéralement mis le feu à l’extrême droite américaine. “Devinez qui sont les méchants dans le prochain Far Cry ? Les terroristes musulmans, poseurs de bombes ? L’Etat islamique qui brûle des gens vivants ? Nope. Les chrétiens”, s’est immédiatement indigné Paul Ray Ramsey, l’un des leaders de l’alt-right.
Alors que l’Amérique a basculé dans le “trumpisme”, le jeu met en scène une secte de survivalistes chrétiens. Est-ce une attaque frontale contre les électeurs qui ont porté au pouvoir le président à la mèche ? Pas du tout à en croire Dan Hay, directeur créatif de Far Cry V : “Il faut croire que nous avons été visionnaires car nous avons commencé à travailler sur le jeu avant l’élection de Donald Trump.” En face de lui, des journalistes venus du monde entier, du Japon à l’Australie, l’écoutent attentivement.
Joseph Seed incarnation trash des identitaires US
C’est sous une grande verrière dans un ancien atelier du XIe arrondissement de Paris qu’Ubisoft a choisi de présenter en grande pompe son nouveau joyau. Pour l’occasion, le lieu a été entièrement décoré aux couleurs de l’Amérique des grandes plaines. Le sol est tapissé de foin, et des bières présentes dans le jeu sont alignées derrière un bar de fortune. Le tout pour nous donner l’impression d’évoluer déjà au cœur d’Hope Country, la ville fictive du Montana dans laquelle se déroule le jeu.
Pour camper le scénario, Dan Hay, membre de l’équipe Far Cry depuis 2003, nous plonge dans ses souvenirs d’enfance : “Quand j’étais jeune, j’avais peur d’une seule chose : la guerre froide. On avait le sentiment qu’un conflit nucléaire était proche. Puis cette sensation est partie, et elle est revenue il y a trois ans. Quelque chose n’allait pas, mais quoi ?” Le fond de l’air est lourd en Amérique.
Sous l’impulsion du Tea Party, les mouvements conservateurs et identitaires ont le vent en poupe. Joseph Seed, le bad guy du jeu, en est l’incarnation trash. Ce leader autoritaire et charismatique surnommé “Father” est prêt à tout pour placer ses ouailles sous son joug. Le joueur incarne quant à lui un jeune shérif du comté qui essaye de contrecarrer les ambitions apocalyptiques de Seed. Comme depuis les débuts de la saga, le joueur navigue entre le bien et le mal.
Se perdre dans les décors impressionnants de Hope Country
Plusieurs éléments distinguent néanmoins cette version des précédentes. Alors qu’auparavant le personnage à abattre était une seule et même personne – un gangster dans Far Cry III ou encore un dictateur dans le quatrième volet – Joseph est ici accompagné de sa famille, et notamment de ses frères Jacob et John.
Parmi les autres nouveautés, on notera l’importance de la customisation du personnage et la liberté directionnelle. Les quêtes annexes sont nombreuses, à l’instar d’un Skyrim, et les personnages croisés au détour du jeu s’amuseront parfois à induire le joueur en erreur.
Et il est facile de se perdre dans Hope Country tant le réalisme des décors est impressionnant. Pour coller au plus proche de l’Amérique du Nord, Phil Fournier, producteur du jeu, a participé à plusieurs voyages de repérage aux Etats-Unis.
“Recréer les détails était l’un des plus gros challenges. Le Montana devait ressembler à celui que connaissent les gens”, explique-t-il. Tout a été reconstitué avec minutie : les espèces animales, la flore, la population, l’architecture… et jusqu’à l’équipe de base-ball locale.
Au-delà de ses nouveautés techniques et de sa finesse visuelle, Far Cry V réussit la prouesse de retranscrire au plus près une dérive idéologique en cours aux Etats-Unis. Notamment à travers le survivalisme d’extrême droite, une pratique qui a pris de l’ampleur depuis la crise financière de 2008. Détournant l’esprit écolo-protecteur du mouvement, ces passionnés d’armes sont hostiles à l’immigration et nostalgiques du Far West des origines.
“Un équivalent virtuel de Charles Manson”
Pour mieux comprendre cette pratique, direction le sous-sol de l’atelier, transformé en bunker. Eclairés par une lumière au néon rouge, quelques mètres sous terre, nous rencontrons Michael Mills, auteur d’une thèse sur le survivalisme. “Tous les survivalistes ne sont pas des gens extrêmes. Ils ne s’attendent pas tous à l’apocalypse. En réalité, ils se préparent à toutes les catastrophes possibles, qu’elles soient à court, moyen ou long terme”, nuance-t-il au milieu d’étagères remplies de denrées de survie.
Surtout, le jeu reflète avec une transparence presque inquiétante la réalité des cultes. Pour en savoir plus, nous nous rendons dans une église parisienne privatisée. Sous la nef, Rick Alan Ross, un expert des cultes, nous attend un sourire aux lèvres.
“Ubisoft voulait créer un personnage de fiction à partir de faits historiques, assure-t-il. Father semble extrêmement réel. Un équivalent virtuel de Charles Manson.” Avant d’ajouter d’un ton glacial : “Sur une échelle de violence des cultes de 1 à 10, le personnage de Father est à 11.” Si la petite secte survivaliste de Hope Country n’a jamais existé, elle s’appuie sur des faits bien réels.
“Joseph est le reflet de nombreux leaders de cultes, c’est un composite. Comme Paul Schäfer au Chili, qui administrait des doses quotidiennes de tranquillisant, ou Charles Manson qui utilisait des hallucinogènes”, poursuit Rick Alan Ross.
Selon un rapport du gouvernement américain publié en avril 2017, l’extrême droite a commis les trois quarts des attentats sur le sol des Etats-Unis depuis 2001. Preuve qu’en la matière la fiction n’est jamais loin de la réalité. Manon Michel
Far Cry V (Ubisoft) Sur PC, Xbox et PS4
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