Des djihadistes, le journaliste Pierre Puchot en a déjà rencontrés et interviewés. Co-auteur de l’enquête « Le combat vous a été prescrit. Une histoire du jihad en France », il nous livre son analyse sur le profil de Radouane Lakdime, l’auteur des attentats de Carcassonne et de Trèbes, mais également sur l’état actuel de Daesh.
Quel regard portez-vous sur le profil de Radouane Lakdime, maintenant que les premiers éléments sociologiques ont été dévoilés ?
Tout d’abord, il faut remarquer que depuis près d’un an, les terroristes qui sont passés à l’acte ne se sont jamais rendus en Syrie. C’est un élément important à souligner. C’est notamment le cas de Radouane Lakdime. Avant, les djihadistes se rendaient en Syrie pour se former. Ensuite, en ce qui concerne son casier judiciaire, on voit encore que le lien entre délinquance et terrorisme se confirme [Radouane Lakdime a été condamné en 2015 pour port d’armes et en 2016 pour détention de stupéfiants, a rapporté François Molins, le procureur de la République de Paris. NDLR].
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D’un autre point de vue, on peut ajouter aussi qu’il a un profil particulier. Radouane Lakdime n’est pas un simple fiché S, si je puis dire. Il a été convoqué par la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) pour un entretien, comme cela avait le cas d’ailleurs pour l’individu qui a commis l’attentat sur les Champs-Elysées l’an passé. Et pourtant, il est passé à l’acte. Il y a donc une fois de plus quelque chose qui n’a pas fonctionné au sein des services.
Vous avez toujours rejeté la thèse de la « radicalisation express » en France. Avec Radouane Lakdime, on constate que jusqu’en 2016, il commettait de simples actes de délinquance. Est-ce que cela ne remet pas en question votre position ?
Au contraire, car il faut prendre le phénomène dans sa globalité. Ce qu’on constate – et c’est ce qu’on a développé dans notre ouvrage grâce à un important travail d’enquête et de terrain – c’est que l’idéologie djihadiste a pris du temps pour se mettre en place en France. Près de trente ans au total. Ce processus s’est accru avec la conjoncture géopolitique. Je pense par là à l’émergence de Daesh sur la scène internationale. A cela s’ajoute, il faut le préciser, l’aspect religieux dans le processus de radicalisation.
Dans une interview parue dans Le Figaro, ‘ex-patron du GIGN a estimé que « la chute du califat n’a pas changé la donne ». Le chercheur Farhad Khosrokhavar a rejeté cette analyse en défendant, notamment, qu’il est aujourd’hui peu probable de voir des attentats de la gravité de ceux du 13 novembre 2015 se perpétrer à nouveau en France. Quelle analyse portez-vous sur cette question ?
Il est difficile de dire que la chute de Daesh n’a pas changé la donne, mais il me paraît dangereux d’estimer qu’un attentat comme ceux du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis ne pourrait pas se reproduire. Mais ce qu’il faut surtout savoir, c’est que l’organisation Daesh était bien consciente que la communauté internationale allait se mettre en tête de faire cesser son extension. Daesh a, d’une certaine manière, pu anticiper et préparer la suite. Dès 2014, l’Etat islamique a ainsi appelé des groupes du monde entier à lui faire allégeance, en Egypte, en Asie du Sud-Est… C’est une stratégie bien réfléchie de leur part, qui leur permet aujourd’hui de concurrencer Al Qaïda sur le terrain du djihad global.
Romain Caillet et Pierre Puchot, Le combat vous a été prescrit, Une histoire du jihad en France, Stock, 2017, 19,50€.
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