Né aux Etats-Unis dans les baraques à strip-tease et sous la frange de Betty Page, mix de glamour et de freakshow, le burlesque connaît une nouvelle jeunesse, spectaculaire et bon enfant. Histoire d’un genre qui n’en finit pas de revenir.
La grande information, à propos de cette pauvre Britney Spears, n’est pas que sa dernière tournée ait été un four, aux gradins vides recouverts de velours noir pour masquer les fans manquant à l’appel. Mais qu’une fois encore, cette fille ait compris à l’heure quelque chose de l’époque en décidant tout de go que sa tournée serait un cirque. Un cirque dont elle serait à la fois l’attraction et la “mademoiselle Loyal”. Que le grand public ait décidé d’éviter Circus comme on évite la peste bubonique ou la grippe A, et ce avant même que la presse ne dise que le show était faible de partout, tendrait presque à prouver que la Britney, aussi gourde soit-elle en apparence, surtout déguisée en majorette la baguette à la main, avait quand même son poil d’avance. Rien aujourd’hui, en 2009, n’est plus sexué et fantasmatique que le cirque, le cabaret.
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Il y a trois ans encore, si vous vous aventuriez à parler de burlesque à qui que ce soit en France, on vous répondait Buster Keaton, Harold Lloyd, Laurel et Hardy. Aujourd’hui, le même mot est immédiatement assorti de nuances. On se veut fondu de burlesque ou de new burlesque, et votre look même fait la distinction : si vous portez une chemise vichy rouge et blanche, si vous arborez des tatouages de motifs années 50, une frange à la Betty Page ou une coque, il y a plus de chances que le burlesque ne vous évoque pas tant Le Kid de Chaplin que par exemple l’impétueux Lady of Burlesque avec la bombe certifiée 1940 Barbara Stanwyck, un film noir que William A. Wellman balançait en 1943 et dans lequel la Stanwyck et son numéro de “stripper” faisaient des ravages (deux morts) sur fond de jazz langoureux d’Arthur Lange.
En 2009, burlesque ne signifie plus du tout tarte à la crème mais érotisme rockabilly, esthétique 40’s et violence pulp 50’s, ou l’Amérique des fêtes foraines revue et corrigée par les Cramps. Tout était déjà là dans leur faux live Smell of Female et sa pochette façon attraction foraine, avec la rousse Ivy tout en contorsions et frous-frous rouges, osant en pleine new wave le bustier et les résilles.
Certains remonteront aux années 30, celles de la dépression et des cirques itinérants fourbis d’érotisme noir, la même tension érotique qui parcours Freaks ou The Unknown de Tod Browning, le plus bandant des films muets, ou Le Charlatan (Nightmare Alley), polar fatal et oeuvre au noir d’Edmund Goulding, avec un diabolique Tyrone Power excitant la convoitise sexuelle de diseuses de bonne aventure. Tout ça débordant de fourreaux léopard, fleurant les tarots et le danger. C’est le même climat noir, sexué de partout, capiteux, que l’on retrouvait dans la série La Caravane de l’étrange (Carnivàle), lancée par HBO entre 2004 et 2006 et qui pour beaucoup fut l’élément mainstream qui remit le feu aux poudres concernant toute cette culture de cirque bizarre et de boîte à strip, où se confondent freakshow et glamour, le grand jeu pour vingt dollars de plus. Le burlesque, au sens américain du terme, est né là, comme avant lui le cinéma, dans le caniveau du cirque, entre Monsieur muscles et la caravane à tapin, rejouant le Moulin-Rouge, mais version fauchée.
Avant même les cabarets, l’imagerie prend sa source dans les troupes itinérantes de la dépression avec leurs beautés distribuant de villes en villes du rêve à redneck comme d’autres de la poudre de perlimpinpin. Les années 40 et la mode des effeuilleuses glamour et dérisoires, gainées de satin, sanglées de jarretelles, ont amélioré l’image en même temps qu’elles auront redessiné les canons de la beauté : taille de guêpe, seins en obus, hanches et formes demandées, Stormy Weather partout. Grâce à elles (Betty Page, Dixie Evans, Tempest Storm, Lili St. Cyr, Sally Rand, Lorraine Lane…), ils seront humides, vos rêves – humides et américains.
C’est d’ailleurs par les femmes que le burlesque est revenu. Une première photographe, Susan Meiselas, dans les années 70, publiait un livre magnifique et désespéré sur les baraques à strip itinérantes, Carnival Strippers, qui est un peu au strip ce que le Crépuscule des idoles est à la philosphie. Puis, à partir de la fin des années 90, la Finlandaise Katharina Bosse va s’immerger dans le new burlesque (la scène finlandaise est une des plus actives, la France n’est alors pas en retard avec Anne Del-tonette) en même temps que le genre renaît aux USA sous l’impulsion sauvage de troupes de filles baignées dans la culture rock’n’roll garage : la troupe du Velvet Hammer de Los Angeles emmenée par Michelle Carr, ou d’autres performeuses comme Kitten DeVille, Kellitta, Dirty Martini et autres Lucy Fur, toutes montent sur scène pendant les live des Detroit Cobras ou de Boss Hog. “Shaking, taping burlesque and gogo dancing”, lit-on souvent sur les flyers des concerts. Des mots que l’on croyait oubliés.
Au même moment, Erochica Bamboo, un travesti japonais, gagne l’Amérique underground en lançant un show, Camp Burlesque, monte une troupe entourée de queens aux noms géniaux (Miss Bamboo, Kitten DeVille, Jessika von Fuhr). De la même façon que les travestis tokyoïtes du film Funeral Parade of Roses de Toshio Matsumoto embrasaient les cabarets nippons en 1969, Camp Burlesque va imprégner l’été 2005 d’un tour de chant délirant, sensualité freak poussée à l’extrême, mauvais goût et humour : un “fuck” adressé à l’Amérique coincée de Bush.
Le burlesque, fantasme macho par excellence (la poupée se déshabille), connaît une seconde jeunesse bien tourmentée : ses codes viennent de se retourner. Ces filles-là n’ont pas attendu Dita von Teese pour réciter leur Betty Page (le latin de toute personne fondue de burlesque). Même si toutes savent aussi que la reconnaissance et l’anoblissement en cours du mouvement (on a entendu des gens parler d’art) lui doivent tout. Et puis, elle est le canon ultime Dita, un truc à faire peur, une apparition freak à la fois proche de Marilyn et de Manson. Le beau et le monstrueux, le fatal et le dérisoire. Tout se mélange avec délice : le danger aussi bien que l’innocence, l’érotisme en bas résille et les gamineries d’un moment de danse offert à la cantonade. Un spectacle.
Et c’est bien la notion de spectacle qui sera appelée à la rescousse par les sociologues quand viendra l’heure d’analyser à froid le fantasme burlesque des années 2000 : ou comment le show de filles aux dimensions spectaculaires a été ramené sur le devant de la scène par des gosses qui ont appris le spectacle au biberon et aujourd’hui l’infusent partout, partout où c’est bon… à commencer par le sexe. Pas de sexe sans spectacle, pas de jeu sans ce petit moment de cirque perso, la génération smoothie ne comprend pour l’instant pas grand-chose à Georges Bataille, à l’idée d’un érotisme violent, forcené, flirtant avec les abîmes. Elle accepte à la limite l’idée du masochisme car il est histoire de codes et de dress code. Mais si Britney et les autres ont vu dans le burlesque et le cirque une façon de dire le sexe aujourd’hui, c’est précisément parce que le burlesque ramène au premier plan un peu de soufre sexuel mais sur un mode spectaculaire, donc déréalisé.
Le sexy est de retour (et avec lui ses corollaires : les formes, le glamour, les dessous) mais le danger est désamorcé. Du sexe bon enfant. Avant que l’histoire ne tombe un jour prochain en ridicule si on noie le charme de son innocence sous trop de glacis aseptisé, on s’intéressera de près à deux projets en cours dont on est impatient, connaissant la personnalité de ceux qui les animent, de savoir comment ils vont déjouer le piège de la rose pudeur que pose le new burlesque : Mathieu Amalric et Wendy Delorme.
Le premier tourne son nouveau film en tant que metteur en scène avec pour sujet une troupe de burlesque dont Amalric serait lui-même le Monsieur Loyal. La seconde, ex-Panthère rose, activiste queer, écrivaine (Insurrections ! En territoire sexuel, au Diable Vauvert), mène le Queer X Show en tournée. Ce sera comment, le burlesque, en 2010 ? Forcément transformé.
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