Les manifestations brésiliennes monstres déclenchées il y a moins de deux semaines sont les plus importantes qu’a connu le pays ces vingt dernières années. Mais de quoi sont-elles vraiment le reflet ? Entre colère sociale contre le prix des bus, rejet de la Coupe du monde et de la mauvaise gestion publique des dirigeants, nous avons recueilli les témoignages de Lucio, Luciano, Santiago et Rodrigo, manifestants.
Sur les origines du mouvement
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« Je ne me souviens plus exactement à quel moment nous nous sommes tous rendu compte que ça allait être énorme, mais il y avait une sorte de de colère sourde, comme un bourdonnement grandissant au Brésil et spécialement à Rio de Janeiro depuis l’annonce de l’augmentation du ticket de bus. J’ai réalisé que le mouvement allait être vraiment considérable quand j’ai vu toutes les discussions autour de ça sur les réseaux sociaux… »
Lucio Amorim, 29 ans, businessman à Rio de Janeiro, est auteur d’un clip Vine (voir ci-dessous) qui a été extrêmement diffusé où l’on voit, par la fenêtre de son bureau, l’ampleur de la manifestation à Rio.
Sur les manifestations
« Je ressens un grand besoin de crier, et en même temps beaucoup d’excitation. Je me rappelle le moment exact où je suis arrivé à la première manifestation, j’étais à une rue de la foule. J’ai ressenti un frisson, une force, une si grande énergie que j’en ai presque pleuré. J’ai l’impression que ce mouvement nous permet à moi et mes parents d’être représentés, vraiment représentés. Le Brésil s’est réveillé. Les Brésiliens commencent enfin à honorer le drapeau national. Tout le Brésil est en faveur de ce mouvement : tous mes collègues mais aussi toute ma famille et tout mon cercle d’amis. »
Santiago Almeida, 18 ans, de Sao Paulo, est secrétaire administratif et photographe sur son temps libre. Il a pris de nombreuses photos de la manifestation du 17 juin, qu’il a ensuite postées sur la page Facebook de l’événement.
« Le chant le plus remarquable est « Sem violência » (« Sans violence »), c’est d’ailleurs celui qui est le plus reconnaissable. Il fait : « On veut que personne ne soit blessé, on ne veut pas se battre avec la police, on veut juste être entendus. » Lucio Amorim
Sur les services publics
« J’utilise les transports publics… ils sont en très mauvais état, sales, jamais à l’heure. Rien qui vaille une augmentation. 3,20 réaux [1,10 euros] pour ça, ça n’est vraiment pas honnête. » Santiago Almeida
« Les transports fonctionnent comme ça : tu payes 3,20 réaux et quoi qu’il arrive tu seras étouffé par le monde qu’il y a. C’est un peu comme avec l’hôpital, avant d’y entrer, les gens attendent trois mois pour simplement avoir une réponse. »
Luciano, 32 ans, est cinéaste, producteur et directeur artistique, à Sao Paulo. Il travaille à un court métrage sur les manifestations.
Sur la classe politique
« Aujourd’hui, je me sens un peu mieux, je suis heureux de voir que les Brésiliens ne croient plus aux contes de fées qu’on leur raconte. Les gens en ont assez la mauvaise gestion publique. La révolte est générale. » Luciano
« Les gens avec des drapeaux [de partis politiques] se font jeter ou alors on leur demande de ne plus les brandir pendant les manifestations… La classe moyenne en a assez de la classe politique. Lula et Dilma [Rousseff] étaient nos premiers présidents de gauche et nous espérions tous un changement – et les choses ont beaucoup changé pour les pauvres – mais pour la classe moyenne, c’est toujours la même chose : une énorme bureaucratie, 35% de taxes sur le revenu [l’impôt sur le revenu s’échelonne en fait de 0 à 27,5%], de l’argent pour les stades et une très mauvaise infrastructure, des écoles aux hôpitaux en passant par les routes, les aéroports… tout. Au final, le mouvement n’est pas tant contre les politiques mais contre la mauvaise gestion publique. Même si de nombreuses personnes (c’est un mouvement très hétérogène) ont le sentiment qu’on leur ment. » Lucio Amorim
Sur la Coupe du monde et les Jeux olympiques
« Pendant les manifestations, les gens chantent aussi des chansons de stade, mais avec des paroles modifiées, plus politiques. La plupart des chansons demandent des choses comme ‘A quoi bon la Coupe du Monde ?’ [la Coupe du monde de Football 2014 aura lieu au Brésil, ainsi que les Jeux olympiques 2016]. » Lucio Amorim
« Cette Coupe du monde est celle de la corruption. De nombreux politiciens détournent l’argent de la Coupe à leur profit, et tout le monde sait qu’elle n’apportera pas non plus d’investissement au pays. [Les étrangers] s’en iront avec l’argent, pendant qu’ici les gens resteront avec la dette. Cette vidéo résume assez bien ce que je pense des Jeux olympiques. »
Rodrigo Martins, 30 ans, de Campinas [une ville au nord de Sao Paulo], est artiste digital freelance.
Sur les médias nationaux
« Je travaille sur un film et je suis en train de faire des rushes pour assembler un mini documentaire. C’est un projet personnel qui permettra de montrer ce que la presse ne veut pas donner à voir. Elle nous cache beaucoup de choses. C’est comme si nous vivions en dictature. Les vecteurs de communications comme TVGlobo [le principal réseau de télévision au Brésil] par exemple semblent être du côté des dirigeants. Et ils se concentrent sur une minorité de vandales qui ont causé des émeutes alors qu’en fait la protestation est pacifique. Le seul média qui traite les choses de façon impartiale c’est Internet : YouTube, Facebook, les blogs de journalistes… Même si quelques télévisions ont commencé à soutenir les protestataires. » Luciano
« Soit les médias nous montrent comme des vandales, soit comme un mouvement mineur… Ce lundi, il y avait plus de 200 villes qui manifestaient mais les médias ne montraient que Sao Paulo ou Rio. Et se concentraient sur les émeutes alors qu’en vérité c’est une manifestation pacifique. » Lucio Amorim
Témoignages recueillis par Julie Henches
Merci à Cécile Wattenhoffer pour les traductions
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