Dans son dernier post, Serge regrette un peu d’avoir cogné sur le dernier Springsteen, dont il dégage deux perles (dont la chanson titre de The Wrestler avec Mickey Rourke). Il évoque aussi une année ciné 2009 qui commence plutôt pas mal.
J’avais un peu esquinté le dernier Springsteen dans ce blog et dans Les Inrocks. Réaction de fan déçu qui attend toujours le grand frisson exceptionnel. A la longue, on s’y fait à cet album. Workin’ on a dream n’est certes pas du niveau panthéonesque de Born to run ou de Nebraska mais c’est plutôt un bon disque, sans grosses faiblesses ni chansons à jeter, avec des bonbons pop qui se fredonnent, des tentatives d’arrangements sixties à la Spector qui tombent comme des miettes de madeleines proustiennes, une superbe ballade pour Mickey Rourke et The Wrestler, beau film sprinsgteenien actuellement sur vos écrans. Le chef d’oeuvre de ce disque à mes oreilles, c’est The Last carnival, qui me fait couler les larmes à chaque écoute. Prière gospellisante, chant d’adieu ou oraison funèbre pour Danny Federici, c’est le grand frisson. Il y a d’abord cet orgue lointain en intro : le fantôme de Danny, ou peut-être aussi l’écho distant des manèges d’Asbury Park et de leur jeunesse de pirates de la côte, quand Bruce et ses copains futurs E Streeters essoraient les clubs le long du boardwalk. Puis il y a le texte, d’une belle délicatesse métaphorique. Danny y est appelé Billy, “My handsome Billy” alors que Danny n’était pas spécialement “handsome” avec sa gueule cassée de ritalo-rician du New Jersey. Il est comme ça, Bruce, sensible avant tout à la beauté intérieure des êtres. Billy, c’est en souvenir de Wild Billy Circus Story, sur le second album de Bruce, le premier où Danny avait ramené son orgue, son accordéon et son glockenspiel. Alors au lieu de raconter directement leurs années de concerts, Bruce file la métaphore du cirque et du carnaval, parle de numéros de trapézistes, se demande qui va désormais le rattrapper quand il tourne dans les airs, et c’est bien vu parce qu’un groupe en concert n’est pas éloigné du numéro d’acrobates. Et puis il y a la voix du Bruce, en pleine émotion, au bord de se briser sur quelques montées. Et enfin, les E Streeters qui gospellisent derrière. La bande se rassemble, elle vient de perdre un membre, et le chef du gang regarde le chemin parcouru, le début et la fin de la route, et chante son petit requiem avec une grosse boule au fond de son puissanat gosier. Chair de poule.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Bruce et ses potes auraient aussi pu grandir dans les cités d’Edimbourg, comme les personnages de Glu, le nouveau roman d’Irvine Welsh (Diable Vauvert). Welsh, c’est l’auteur de Trainspotting : le film était pas terrible, le bouquin si. Glu, je suis encore dedans, j’ai pas fini ses 650 pages, mais Welsh y est en pleine forme. Les 400 coups de quatre prolos scottish à des années 70 à aujourd’hui. Je ne saurais dire si c’est un roman culte ou générationnel, par contre je peux affirmer que c’est un bouquin vivant, vif, hilarant et parfois aussi assez brutal. C’est écrit dans la langue locale, argot des cités des lochs trempé dans le whisky et la bière, c’est bien traduit, et la bande de petites gouapes qui électrise ces pages ressemble à un croisement des Affranchis, des Pieds nickelés, des Daltons et de Clash.
On verrait bien Glu transposé au cinéma, à condition que ce soit Scorsese plutôt que Danny Boyle qui s’y colle (car tous les Danny ne se valent pas). En attendant, le cinéma se porte bien en 2009 (je veux dire artistiquement, le box office, on s’en carre). Je ne sais pas si vous avez vu la merveille de Claire Denis mais en ces temps où les Antilles chauffent, 35 rhums réchauffe avec délicatesse et sensualité. Et Alex Descas est l’un des meilleurs acteurs du monde. Et Mati Diop est superbe. Et leur relation père-fille est digne d’Ozu. Sinon, je vous garantis que le nouveau Eastwood est immense, beaucoup plus surprenant que L’Echange. Clint semble avoir fait un film testament où il rassemble tout ce qu’il pense de lui, de son cinéma, et de l’Amérique. Gran Torino est dur, émouvant, et même parfois drôle. Je n’en dirais pas plus mais on en reparlera éventuellement.
L’actualité ciné est si dense (tiens, je viens de revoir La Soledad de Jaime Rosales qui vient de sortir en DVD chez l’excellent éditeur Carlotta et c’est une splendeur, qui fait aussi penser un peu à Ozu – il faudrait que le public français se rende compte que Rosales est un des cinéastes actuels qui comptent), et mon emploi du temps est si chargé que je n’ai pas pu honorer l’invitation de MC Anger qui présentait son film-portrait de Leila Shahid jeudi dernier aux Ateliers Varan. Ce n’est que partie remise et je signale à tous les amis du blog (et aux autres) que Leila Shahid, L’espoir en exil, de Michèle Collery (et Baudouin Koenig) sera diffusé sur ARTE, samedi 14 mars à 17h15 (dans une version malheureusement tronquée de 43 mn – pour le director’s cut de 8 heures, ask mc anger). Alors faites-moi plaisir, faites-lui plaisir, faisons-nous plaisir, tous au poste !
{"type":"Banniere-Basse"}