Internet, été 2006. Un nouvel outil de microblogging, qui deviendra l’un des plus gros réseaux sociaux du web 2.0, débarque : Twitter. Sept ans plus tard, une communauté militante, un Twitter dans le Twitter, fait parler de lui aux Etats-Unis: le Black Twitter.
Qu’on le considère comme une tendance, ou une culture à part entière, le Black Twitter n’a pas fini de se faire entendre. A la première lecture de ce terme, certains pourraient imaginer que derrière cette expression se cache un Twitter un peu dark, faisant référence au côte obscur du réseau, à une organisation souterraine et militante. Il n’en est rien (ou presque). Le Black Twitter renvoie à la communauté noire, hyper présente sur le réseau social, et désigne un groupuscule d’internautes engagés. Le « black », pour la couleur de peau. Leurs autres points communs? Au-delà de leurs origines et de leur culture, on retiendra leur combat, et leurs revendications.
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« Le pouvoir secret du Black Twitter »
« The Secret Power Of Black Twitter » : c’est ce que titre le célèbre site américain Buzzfeed le 16 juillet dernier. Au-delà du phénomène de la jeunesse noire organisée en vraie communauté vivante sur Twitter, il s’agit de mettre en lumière l’activisme de ce « Black Twitter ». La communauté afro-américaine très présente sur le réseau, a commencé à établir des codes et à se réunir autour de hashtags (mot-clés ndlr). Cet intra-Twitter multiplie les coups d’éclats et c’est plus largement tout le pouvoir du réseau, qui transparaît.
L’affaire Zimmerman. L’injustice de l’affaire Zimmerman plus précisément, selon tout un pays sous le choc. Le meurtre de Trayvon Martin, un jeune afro-américain de 17 ans, restera impuni après décision de la justice de l’état de Floride aux Etats-Unis de ne pas inculper George Zimmerman, l’auteur du coup de feu qui ôta la vie de l’adolescent. Toutes les plus grandes stars se sont insurgées une fois le verdict tombé: Miley Cirus, Jay-Z et Beyonce ou le président Obama en personne ont apporté leur soutien à la famille du jeune Trayvon. Twitter, était le lieu idéal pour exprimer sa révolte à chaud. En 140 caractères, des personnalités internationales mais également n’importe quel anonyme touché par l’affaire, pouvaient crier le fond de leur pensée. Inutile de préciser que le cri du « Black Twitter » a été entendu. L’écrivain et journaliste noir-américain Michael Arceneaux, interrogé par les Inrocks revient là-dessus :
« Le cas de Trayvon Martin a pris autant d’importance et est devenu une affaire nationale, après que de nombreux noirs en aient parlé ouvertement sur Twitter. Une fois qu’un journaliste a commencé a davantage parler de l’histoire sur Twitter, les gens ont commencé à ouvrir les yeux, en ont discuté avec leurs amis, ont continué de faire pression pour que les médias en parlent, et finalement, les médias ne pouvaient plus l’ignorer. »
Le « Black Twitter » serait-il simplement un instigateur de buzz, et un moteur de viralité ? Non car la communauté afro-américaine sur le réseau n’a pas simplement aidé à faire parler de l’affaire. Récemment, l’un des jurés du procès de Zimmerman – qui a donc participé à sa disculpation – a annoncé qu’il avait signé un contrat avec une maison d’édition pour publier un livre sur toute cette histoire. Il était impensable, pour le Black Twitter, que ce juré puisse se faire de l’argent sur le dos du verdict jugé injuste, et de Trayvon Martin. Une pétition a été lancée par une militante du Black Twitter, réclamant une rupture de contrat entre le juré, et la maison d’édition. En un temps record, on atteignait le millier de signatures. Le soir suivant le lancement de la pétition diffusée sur Twitter, et reprise par toute une communauté, la maison d’édition a fait savoir qu’il n’y avait plus de contrat, et que le juré ne publierait aucun livre relié à l’affaire chez eux.
The same way #BlackTwitter helped in getting Paula Deen’s deals cancelled, you can stop the Zimmerman juror’s book from being published.
— April (@ReignOfApril) July 15, 2013
(De la même façon que #BlackTwitter a aidé à annuler le contrat de Paula Deen, vous pouvez empêcher le livre du juré de l’affaire Zimmerman d’être publié.)
Militantisme rodé ou engagement naturel
Le Black Twitter a une voix, le Black Twitter a de l’influence, et le Black Twitter n’en était pas à son coup d’essai. Paula Deen, l’ex star de la chaîne américaine Food Network, a fait les frais de la colère des twittos. A plusieurs reprises, elle avait tenu des propos racistes lors de son émission, se disant maladroitement nostalgique des années d’esclavage dans le sud des Etats-Unis. A la télé, donc. Sur une chaîne cuisine. Une personnalité qui a la confiance et l’admiration de millions de ménagères américaines, qui rappelle et loue les heures les plus sombres de l’histoire de son pays. Malaise.
Et Paula Deen est une récidiviste. La polémique autour de la présentatrice star enflait depuis le début de cette année, suite à la plainte d’une de ses employées pour harcèlement et injures raciales. Il n’en fallait pas davantage au Black Twitter pour enflammer le réseau, et parodier la pauvre Paula. Même ses excuses, qu’elle a faites en vidéo, s’y reprenant à deux fois, ont été sources de moqueries sur cet Internet qui ne pardonne pas, et n’oublie rien. Suite à ce véritable lynchage numérique – toujours poli -, la chaîne Food Network a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas le contrat de la star du petit écran, pourtant extrêmement populaire. Une victoire de plus. Mais lorsque l’on demande à Maya K. Francis de nous parler des activistes du Black Twitter, elle nous répond qu’elle ne se considère pas comme tel :
« Nous ne sommes pas une armée, ou un parti politique. Et certainement pas un lobby. Je ne pense même pas qu’il s’agisse d’activisme, mais il existe encore un racisme systématique dans ce pays (et dans d’autres parties du monde) qui fait du « combat » pour l’égalité et le respect un combat quasiment inconscient. Ne pouvons-nous pas simplement avoir des opinions ? Nous sommes juste des gens qui tweetent leur vie en 140 caractères, comme tout le monde. Cela étant, quand le « Black Twitter » se réunit vraiment autour d’une cause, c’est vrai qu’il fait des vagues. »
Et c’est précisément de ces vagues, qu’il est question dans la presse américaine, et au-delà. Interrogée par Les Inrocks, l’auteure et consultante en communication noire-américaine Maya K. Francis analyse lucide : « L’aspect « tendance » du Black Twitter vient des médias. Le Black Twitter est une « histoire de tendance » pour les journalistes, mais Black Twitter en tant qu’entité n’en est pas une. »
« I dated a black man once. » #PaulaDeenApologyBingo
— Xavier D’Leau (@TheXDExperience) June 21, 2013
(« Je suis sortie avec un homme noir une fois. » #BingolExcusedePaulaDeen)
Twitter, le réseau de la jeunesse noire ?
Tout a démarré, naturellement, par cette prise de consience : une grosse partie des utilisateurs de Twitter sont noirs américains. Maya K. Francis explique que « en 2011, plus de 26% des utilisateurs américains de Twitter étaient des afro-américains (comparé à 9% d’américains blancs) », pourcentage en constante augmentation. Les « twittos afro-américains » se sont alors rassemblés, utilisant Twitter comme vecteur de leur activisme, et pas seulement comme un espace sympa pour loler entre potes. Dans cet extrait d’une interview que l’on retrouve sur youtube, menée par la blogueuse Kania Fitzgerald, le professeur de culture populaire noire à l’Université de Duke Mark Anthony Neal souligne ce détail. Il explique, arborant ce qu’on devine être un tee-shirt Black Twitter, que faire partie du mouvement commence « en suivant des gens sérieux et engagés sur le réseau, davantage que des utilisateurs qui font des blagues à longueur de temps ».
Pour Maya K. Francis le Black Twitter est aussi représentatif d’une façon différente de consommer l’Internet, forcée par un niveau de vie plus faible:
« La moité des utilisateurs du réseau accède à leur compte Twitter via smartphones. 51% des noirs-américains, et 42% des latinos utilisent leur mobile comme première source d’accès à Internet. Donc ce que l’on perçoit aussi, c’est le résultat de la fracture numérique et de la différence des revenus. Le phénomène « Black twitter » nous fait reconsidérer qui est vraiment à l’avant-garde, en matière de nouvelles technologies et de médias sociaux. »
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