Le football n’a jamais été autant gangrené par les scandales mais il n’a jamais été autant sublimé par une équipe : avec le Barça, vainqueur de la Ligue des champions, un autre football est possible !
Contre le FC Barcelone, l’enjeu n’est plus de vaincre ou de faire illusion. L’enjeu, désormais, est de s’incliner proprement, avec grâce et élégance. Vaincus samedi 3-1 en finale de la Ligue des champions, les joueurs de Manchester United auront au moins réussi cela. Propres et fair-play tout au long de la rencontre, ils ont multiplié les louanges et les aveux d’impuissance après-coup. “Je n’avais jamais joué contre une équipe comme ça”, dit même l’un d’eux, et pas le moins fier.
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Au-dessus du lot depuis trois saisons, le FC Barcelone est aujourd’hui injouable, intouchable, et le débat sur sa place dans l’histoire du jeu semble réglé. Si d’autres équipes de club ont un moment écrasé leur époque, tels le Real Madrid de Di Stéphano, l’Ajax de Cruyff ou le Milan de Sacchi, aucune ne l’a jamais fait avec une marge aussi monstrueuse. Aucune, surtout, ne l’a fait en déployant un tel football.
Samedi soir, face à des Mancuniens d’ordinaire si forts et si solides, les joueurs barcelonais ont encore joué le jeu tel qu’on n’avait jamais vraiment osé le fantasmer. Ils ont multiplié à l’infini les passes courtes, rapides au ras du sol, et ont confisqué le ballon de façon insensée, totalisant près de 70% de la possession, alors qu’une équipe qui domine son adversaire de manière classique dépasse très rarement les 55%. Les chiffres sont encore plus fous quand on s’arrête sur les performances individuelles. Ainsi, Xavi, le milieu de terrain, aura réussi 141 des 148 passes qu’il aura tentées. A titre de comparaison, le meilleur passeur mancunien, le défenseur Rio Ferdinand, n’en aura réussi que 40.
Comme si les Beatles jouaient au football
Souvent, très souvent, dans le football moderne, efficacité et jeu se heurtent, et il faut choisir entre perdre avec panache et gagner avec froideur, un peu comme l’on choisirait entre enregistrer de la soupe ultracommerciale pour devenir riche et enregistrer de la vraie musique en continuant à vivre chez ses parents. L’exploit du FC Barcelone est justement d’être premier des charts sans user des ficelles du commercial, avec des morceaux absolument sublimes. Au fond, c’est un peu comme si les Beatles s’étaient reformés pour jouer au football.
Alors, à ce petit jeu, John Lennon est Lionel Messi, Paul McCartney est Xavi et George Harrison, certainement, Iniesta. Mais l’essentiel évidemment est ailleurs, dans la force du collectif plus que dans l’accumulation des talents, dans la passe au coéquipier plus que dans le dribble de l’adversaire.
Si les profanes n’auront vu, samedi, que la performance incroyable de l’Argentin Lionel Messi, de très loin le meilleur joueur du monde, les autres, les chanceux, auront aussi pris en pleine tronche les performances de Pedro, Busquets, Villa, Piqué, et même de Valdés, gardien de but virtuel, si rarement mis à contribution qu’il passe plus de temps, sur l’ensemble d’une saison, à l’extérieur de sa surface qu’à l’intérieur.
Le FC Barcelone n’a pas encore vendu son âme
Le paradoxe de cette histoire-là est qu’elle se noue radicalement contre le cours du jeu et l’air du temps. Ce weekend, la Fifa s’est encore déchirée de toutes parts, les deux candidats à la présidence de l’instance dirigeante du football mondial s’accusant réciproquement de multiples actes de corruption et jetant encore un peu plus l’opprobre sur un sport bouffé par les scandales en tout en genre, qu’il s’agisse d’affaires de prostitution, de grève ou de racisme… En somme, le football ne s’est jamais aussi mal comporté en coulisses et n’a jamais été aussi bien porté sur le terrain.
Certes, le FC Barcelone ne vit pas hors du football business, loin de là, il brasse des centaines de millions d’euros (398 millions de chiffre d’affaires en 2009-2010) et paie ses stars des fortunes (10 millions annuels pour Lionel Messi), mais il n’a pas encore vendu son âme. Outre son incroyable dextérité sur le terrain, le club barcelonais avance avec des idées fortes, inébranlables, au premier rang desquelles figure la formation des jeunes joueurs. Sur le terrain, samedi, contre Manchester United, huit des titulaires avaient ainsi été formés au club, biberonnés aux préceptes du jeu à la barcelonaise et habitués à jouer ensemble, au point de pouvoir se trouver sans même se voir. En face, dans le camp mancunien, seuls deux joueurs étaient issus du centre de formation, et, si le lien de cause à effet n’est pas total, on ne peut s’empêcher de noter que les échanges, de ce côté-là, avaient nettement moins de fluidité…
Aujourd’hui, le Barça apparaît comme une réponse aux perversions du football mondial, et, mieux encore, semble comme un îlot de réussite dans une Espagne ravagée par la crise, et au bord de l’insurrection civile. Si catalan et si fier de l’être, le club barcelonais est comme un club indigné. Il se plaît dans un conflit permanent avec le pouvoir centralisateur, il résiste, s’oppose à Madrid.
Alors que le club de la capitale dépense sans compter et persiste dans un jeu terne, gris, lui invente autre chose et triomphe. Dimanche, il furent d’ailleurs près de 750 000 à descendre dans les rues de Barcelone pour le célébrer. Et, par là-même, réinvestir un espace dont des milliers d’Indignés avaient été dégagés manu militari, vingt quatre heures plus tôt, par les forces de l’ordre.
Marc Beaugé
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