En 2012, la Seine-Saint-Denis votait François Hollande à 65 % : un record national. Mais l’avancée de l’UMP et du FN ont été significatives le 22 mars. Un avertissement sans frais ?
« J’ai le sentiment qu’il souffle dans cette salle l’esprit de l’indignation. Il y a de la colère dans vos regards.” Devant deux cents militants, dont une trentaine d’employés municipaux agitant mollement des drapeaux socialistes, le premier secrétaire du parti, Jean-Christophe Cambadélis, prend une voix de stentor. Il est un peu plus de 21 heures ce vendredi 20 mars dans la salle polyvalente Stéphane-Hessel de Noisy-le-Grand. Si elle n’était pas entrecoupée par des tubes de salsa, cette dramaturgie aurait sans doute été de circonstance. Car l’heure est grave pour le PS et pour la gauche. Pour la première fois depuis la création du département en 1968, ils pourraient perdre la Seine-Saint-Denis. “Comment envisager que le 93 puisse basculer à droite ?”, s’interrogent certains militants hébétés dans les travées de cette salle communale.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si vous aviez évoqué ce scénario dans un bistrot du département il y a encore une dizaine d’années, on vous aurait – au mieux – ri au nez. Pendant longtemps, le 93 a été considéré comme le département le plus rouge de France. Bastion communiste de sa création à 2008 avant d’être raflé par Claude Bartolone et le PS, la Seine-Saint-Denis est un fief historique de la gauche. C’est d’ailleurs sur ces terres populaires que François Hollande fut le mieux élu en 2012 avec plus de 65 % des suffrages exprimés.
Bonnet d’âne du taux de participation
Assise au huitième rang de la salle, Corinne, 42 ans, écoute les discours consciencieusement. “Je ne voterai jamais pour le parti de Nicolas Sarkozy”, précise d’emblée cette caissière de supermarché. Pourtant, elle reste critique envers la gauche : “Le discours martelé ne nous convainc plus. Le Parti socialiste a de plus en plus de mal à mobiliser la population ici, qui plonge de plus en plus dans le doute et la misère. Les gens en ont marre des affaires qu’on entend à longueur de temps au niveau national. Et puis Cambadélis nous l’a rappelé, c’est l’abstention le risque, pas le Front national.”
Cette année encore, le 93 hérite d’un bonnet d’âne quant au taux de participation. Au premier tour, à midi, ils n’étaient que 9,44 % à s’être déplacés, soit presque deux fois moins que le niveau national (18,02 %). Comme à Aulnay-sous-Bois, une ville passée à droite l’année dernière, où vit Roger, fonctionnaire à la retraite. Il fait froid ce dimanche matin, les gens ne se pressent pas pour glisser leur bulletin dans l’urne. Roger ne fait pas partie de ceux-là. Il vit à Aulnay depuis trente ans. Son bureau de vote, dans le quartier sud pavillonnaire, il s’y est rendu à pied, au “petit matin”. Il se situe à deux pas d’un collège récemment inauguré : “Tout le monde ne le sait pas, mais c’est au département qu’on le doit. Il est beau non ?”, dit-il avec fierté. Né dans le département il y a soixante-six ans, il n’a “jamais manqué un seul scrutin”. Pourtant, pour la première fois, Roger va “voter blanc”. Il s’explique : “Les partis politiques qui se sont présentés ne répondent plus à nos attentes. Et puis, il y a des élections tous les ans. Les candidats ne pensent plus qu’à leurs campagnes, qui prend une part de plus en plus grande de leur temps. A notre détriment.”
Par désespoir plus que par conviction
Quartier de la Rose des Vents, au nord de la ville. Ici se dresse la cité des 3 000 où vit un tiers des Aulnaysiens. C’est un de ces grands ensembles érigés dans les années 70, où l’abstention est historiquement massive. C’est au-dessus d’un commissariat qui a fermé depuis plusieurs années que Nabil, 28 ans, a grandi. Attablé à un café du centre commercial du Galion, le seul lieu de vie du quartier, il évoque l’abstention, qui a encore une fois battu des records : “On ne va pas se mentir, on s’en fiche un peu des départementales chez nous. On ne se mobilise vraiment que pour les municipales ou les présidentielles. Dans nos quartiers, la conscience politique n’est pas encore développée.” Aulnay-sous-Bois fait partie des six villes du département que la droite a reprisà la gauche aux municipales de 2014. “Il faut dire qu’on a plus voté contre Nicolas Sarkozy que par adhésion à François Hollande, nuance Nabil. Ni le Président, au niveau national, ni le maire d’Aulnay (Gérard Ségura – ndlr) n’ont répondu à nos attentes. Du coup, aux dernières municipales, les quartiers nord ne sont pas allés voter et c’est le candidat de droite (Bruno Beschizza) qui l’a emporté.” A l’époque, l’abstention a culminé à 43,43 % à Aulnay, contre 36,45 % au niveau national.
A l’extrémité du département, une fois passées les tours désaffectées de Clichy-sous-Bois, en attente de démolition, se cache la commune de Montfermeil. Une petite ville où se mêlent zones pavillonnaires et cités HLM et où l’issue du scrutin pourrait bien décider de la bascule en bleu du conseil général. Henri, 73 ans, est sorti comme à son habitude pour acheter ses légumes et son poisson. Installé depuis quatre ans dans cette ville “où le loyer est moins cher”, il s’est inscrit pour la première fois sur les listes électorales l’année dernière. Avec émotion, il parle des difficultés qu’il a pour vivre avec une retraite d’à peine 700 euros. Quand vient la question du vote, il s’arrête soudainement et cherche ses mots. Ses yeux bleus embués de larmes, Henri évoque “l’indifférence” qu’il ressent de la part des élus : “Ils n’en ont rien à faire de nous, nous ne sommes pas grand-chose à leurs yeux.” A ses côtés, Sarah, 76 ans, une voisine d’origine espagnole, partage sa tristesse : “Je suis pessimiste quant à l’avenir de mes petits-enfants. Ça fait trop longtemps qu’on se sent abandonnés ici. Ce serait peut-être bien que la droite l’emporte”, finit-elle par avouer. Par désespoir plus que par réelle conviction, comme beaucoup ici.
Au soir du premier tour, la gauche évite la bérézina annoncée. L’alliance UMP-UDI est éliminée dans sept des vingt et un cantons du département. Trois zones détermineront très probablement la future couleur du département : Bobigny-Noisy-le-Sec, Bondy et Sevran-Villepinte. Lorsque les socialistes ont pris le département en 2008, l’une de leurs premières initiatives avait été de remplacer la moquette rouge vif posée quelques années plus tôt par un responsable communiste dans les bureaux du conseil général. La moquette sera-t-elle toujours rose au lendemain du second tour des départementales ? Réponse le 29 mars.
{"type":"Banniere-Basse"}