Depuis un mois, une page Facebook invite les femmes du monde arabe à dénoncer les oppressions qu’elles subissent dans leur pays. Armées d’une simple pancarte elles détaillent leur quotidien, fait de petites humiliations ou de grands drames. L’opération a rencontré un succès inattendu.
Les yeux fixés sur l’appareil, l’air insolent, les cheveux courts, Dana brandit son passeport à bout de bras. Sur la photo du document, la jeune Syrienne est voilée. En dessous, une phrase, “je soutiens le soulèvement des femmes du monde arabe parce que pendant vingt ans, je n’ai pas été autorisée à sentir le vent dans mes cheveux”.
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“Un an après les révolutions, rien n’a changé pour les femmes”
Postée sur Facebook, la photo devient le théâtre d’un défoulement d’insultes. Le 26 octobre, après des centaines de commentaires, le cliché est automatiquement retiré du site. Certains internautes l’ont signalé comme étant “insultant”. Dana, ainsi que l’administratrice de la page Facebook sur laquelle elle a postée la photo sont exclues du réseau social.
Dana est une jeune Syrienne d’une vingtaine d’années. Comme des centaines d’autres femmes, elle a participé à la campagne “The uprising of women in the arab world” (le soulèvement des femmes dans le monde arabe). Le principe : se prendre en photo avec une pancarte indiquant pourquoi on soutient le soulèvement des femmes et la poster sur une page Facebook dédiée. Lancée début octobre et prévue pour durer une semaine, l’opération est un tel succès qu’elle compte plus de 56 000 fans. Les organisatrices reçoivent encore une centaines de photos chaque jour.
A l’origine de l’opération, cinq militantes : deux Libanaises, une Palestinienne, une Égyptienne et une Saoudienne.
“On a lancé la page il y a un an, juste après les révolutions, explique Yalda Younes, l’une d’entre elles. Mais un an après, rien n’a changé pour les femmes. Il y a eu une grosse déception après les élections, en Égypte ou en Tunisie. On voulait faire une action symbolique pour montrer qu’on était toujours mobilisées”.
« La femme arabe n’est plus une victime anonyme”
Sur les photos, les femmes viennent de Tunisie, d’Irak ou du Yémen. Elles sont voilées ou la tête découverte, le visage caché ou souriant. Et les témoignages parfois bouleversants de simplicité. Comme cette Tunisienne, qui pose avec son fils en espérant “qu’il la respecte toujours quand il sera adulte” ou cette jeune Syrienne qui “ne veut pas être l’ombre de quelqu’un d’autre”. Chaque photo est abondamment partagée et commentée. Il y a beaucoup de réactions de soutiens, mais aussi quelques insultes. “Mais ici, ce n’est pas comme dans la rue. S’il y a des réactions négatives, on peut répondre sans être menacée”, sourit Yalda.
Pour elle, l’initiative est salvatrice : l’opération redonne un visage à “la femme arabe”.
“Nous ne sommes plus un groupe de victimes anonymes, mais des entités bien précises, explique Yalda Younes. Nous sommes devenues actives du changement et pas passives. »
Des pochoirs de femmes dans les rues
La suppression de la photo de Dana a agi comme un electrochoc. Sur Twitter, les message #WindtoDana (“du vent pour Dana”) se multiplient. Une semaine plus tard, la photo réapparaît. “C’est merveilleux de voir la solidarité entre les différents peuples arabes, se réjouit Yalda Younes. C’est une libération commune. »
Bien consciente que la page Facebook ne permettra pas un changement immédiat, elle milite pour de petites actions du quotidien “Maintenant, on invite tous les internautes à imprimer un pochoir avec un profil de femme et à le peindre dans la rue. La révolution n’est pas encore terminée”. Après le printemps arabe, l’automne des femmes semble avoir bel et bien commencé.
Sophie Récamier
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