Mardi matin, une cinquantaine d’élèves du lycée Suger de Saint-Denis sont interpellés par les forces de l’ordre, dans un climat tendu entre les jeunes et les policiers. Une élève de 15 ans, en seconde au lycée Suger, a accepté de revenir avec nous sur les événements depuis le début de la semaine. Et sur sa garde à vue.
« Guérilla urbaine« , pour François Fillon, une bande de « voyous« , pour Valérie Pécresse. La ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem leur répond que tous les jeunes interpellés ce mardi matin sont des « casseurs« , pour justifier l’intervention des forces de l’ordre. L’adjoint au maire de Saint-Denis Stéphane Peu affirmait pourtant mercredi après-midi que le commissaire lui-même était conscient que la majorité des élèves embarqués ne sont liés ni aux dégradations, ni à l’explosion qui a touché le lycée Suger mardi matin. Contactée par téléphone, une élève de 15 ans, en seconde au lycée Suger, raconte ce qui s’est passé depuis lundi dans son lycée, et la façon dont elle et ses amis ont été traités au commissariat central de Saint-Denis.
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Qu’est-ce qui s’est passé lundi, la veille de votre interpellation ?
Élève – Apparemment y’a eu un blocus devant le lycée. Mais moi j’étais en cours, je n’ai rien vu du tout. On a entendu des bruits, sans qu’on nous dise ce qu’il se passait, et quand je suis sortie de cours la police était là, mais c’était terminé.
https://twitter.com/BlocusInfos/status/838706138640179201
Est-ce que le lundi soir, il était question que le lycée soit fermé le mardi ?
Non pas du tout. Le mardi matin, je suis allée en cours normalement.
Mais est-ce que vous sentiez en arrivant mardi matin que quelque chose allait mal se passer dans la journée, comme une enseignante l’évoquait à la réunion publique mercredi ?
Pas le mardi matin non, je ne me doutais de rien en arrivant en cours à 8h.
Et donc mardi matin, qu’est-ce qui se passe après la récréation ?
Je suis allée à la récréation à 10h, et la grille du lycée était fermée. Du coup, on est resté dans la cour. On a vu des attroupements au fond de la cour, et ensuite les professeurs nous ont demandé de nous rassembler. Tous ceux qui étaient en classe sont descendus. On a entendu un bruit, mais on ne nous a pas vraiment dit ce qu’il se passait. Les professeurs étaient avec nous à ce moment-là. Ensuite, les enseignants, les CPE, la proviseure et la sécurité du lycée nous ont fait sortir.
Quand vous sortez du lycée, les policiers sont déjà là ?
Oui ils étaient devant le lycée. J’étais dans les derniers à sortir, et déjà on voyait des policiers et des élèves se jeter des trucs. A ce moment-là, le chemin pour rentrer chez moi était bloqué. J’ai décidé d’aller à un autre endroit, de m’éloigner avec mes amis pour attendre que ça se calme. Mais ça ne s’est pas calmé, et les affrontements se sont déplacés vers là où nous étions.
On s’est à nouveau déplacé, et on a entendu des gens courir derrière nous en criant « ils arrivent ! ». Et on a vu les policiers arriver vers nous. On s’est mis à courir nous aussi, pour qu’il ne nous arrive rien. Et c’est là qu’on voit deux autres policiers arriver face à nous, en pointant des flashballs sur nous. On s’est tous mis à terre.
Comment se comportent les policiers avec les élèves entre le moment où vous sortez du lycée, et le moment où vous vous retrouvez encerclés ?
Les policiers tiraient avec leurs flashballs au milieu de la foule. Un jeune a été touché à la tête. Un élève s’était caché, et quand ils l’ont retrouvé ils l’ont frappé et lui ont donné des coups de taser. D’autres filles, qui s’étaient cachées, se sont fait traiter de « putes » par des policiers.
Mais est-ce que la violence des policiers était une réponse à la violence de certains élèves ?
Globalement, pas vraiment. Surtout que la plupart des élèves qui ont été embarqués comme moi étaient innocents. Tous ceux qui ont été relâchés sont innocents.
Ensuite, vous êtes emmenés au commissariat ?
D’abord on a attendu, plusieurs fourgons sont arrivés. Je suis montée dans un fourgon avec uniquement des filles. Et à l’intérieur, les policiers nous ont laissées appeler nos parents pour les prévenir. A ce moment-là, ils ne sont pas agressifs avec nous. Dans le fourgon, ils nous disent qu’on va juste nous amener au commissariat pour prendre nos identités et nous poser quelques questions.
Mais une fois arrivée, on m’a demandé de donner mon téléphone et ma carte d’identité. Ensuite, ils ont pris mon sac, m’ont fouillée et menottée. Ils nous ont installés dans un coin avec quelques bancs, mais on était bien trop nombreux. Je me suis retrouvée menottée et assise par terre.
Devant nous, des policiers passaient pour nous prendre en photo, tout le groupe. Ils semblaient contents d’avoir arrêté autant de personnes. Même les policiers qui ne s’occupaient pas de nous et travaillaient sur autre chose venaient.
Combien de temps s’écoule entre le moment où vous arrivez, et le moment où vous êtes interrogée ?
Beaucoup de temps. Je suis arrivée vers midi, et on m’a interrogée vers 15h ou 16h.
Vos parents sont là quand vous êtes interrogée ?
Non, je n’ai pas pu les voir avant de rentrer mercredi soir.
Et un avocat ?
Normalement, elle devait être là. Mais elle n’était pas là. Certains ont eu des avocats mais la mienne n’était pas présente. Je l’ai vue le lendemain, à ma seconde audition avec l’agent de police judiciaire.
Comment se passe votre première audition avec l’agent de police judiciaire ?
Je lui ai raconté mon histoire, ensuite j’ai vu un médecin (obligatoire pour les mineurs), et on m’a emmenée à la fouille. On m’a demandé d’enlever mes lacets, mon soutien-gorge, les cordons de mon manteau, mon élastique dans les cheveux, tout ce que j’avais sur moi. Et c’est là qu’on m’a dit que j’allais être transférée à La Plaine Saint-Denis avec toutes les autres filles pour passer la nuit dans des cellules.
Et à ce moment-là, quelles informations vous donne-t-on sur votre sortie ?
Les policiers qui étaient à La Plaine Saint-Denis étaient beaucoup plus compréhensifs que ceux du commissariat central, c’était vraiment différent. Quand on arrive là-bas, ils nous disent qu’on sera relâchés le lendemain matin, entre 9h et midi. On a passé la nuit dans des cellules, à trois par cellule. Et le lendemain matin, à 8h, on nous a ramenés au commissariat central.
En arrivant au commissariat central, on nous a fait signer un papier pour nous avertir que notre garde à vue était prolongée de 24h, en attendant que l’enquête soit terminée. Après, on nous a entassées à une dizaine de filles dans une petite cellule qui puait énormément, qui était insalubre. On était 12 alors qu’on avait l’impression que c’était à peine assez grand pour une seule personne !
Comme on parlait trop fort à leur goût, ils nous ont plongées dans le noir en fermant les volets et éteignant la lumière.
Est-ce que vous avez pu voir la procureure de la République ?
Oui j’ai pu la voir. Un policier venait nous chercher pour nous menotter et nous emmener dans d’autres bureaux. Il m’a dit que j’avais été mise en garde à vue pour dégradation de lieu public et affrontement à main armée. Il m’a expliqué que l’enquête n’était pas terminée et qu’il n’avait pas les preuves suffisantes pour nous laisser sortir. Pour lui, nous n’allions pas sortir avant 11h jeudi matin.
Et à quel moment vous annonce-t-on que vous allez pouvoir rentrer chez vous le soir ?
Je suis retournée dans la cellule, et on m’a rappelée plus tard pour que je raconte à nouveau mon histoire. Ils voulaient pouvoir comparer ma version du jour et celle de la veille. C’est là que j’ai vu mon avocate. Elle ne trouvait pas normal qu’on soit autant dans si peu d’espace, et m’a dit que c’était fait pour marquer le coup. Mais elle m’a aussi annoncé que les innocents sortiraient le soir même, vers 18h. Je suis arrivée chez moi autour de 21h finalement. Ce qui m’a vraiment choquée pendant cette garde à vue, c’est l’attitude des policiers.
Lycée Suger de Saint-Denis : des adolescents arrêtés dénoncent des violences policières https://t.co/d5q0YVJhlr pic.twitter.com/0HbQh5vCcG
— France Bleu Paris (@francebleuparis) March 9, 2017
En rentrant chez vous mercredi soir, qu’est-ce que vous découvrez sur la façon dont on a raconté ce qui s’est passé depuis mardi ?
Quand je suis rentrée chez moi, j’ai pris contact avec les amis et les personnes du lycée qui n’ont pas été interpellés. Ils m’ont raconté ce qui a été dit dans les médias. Comme quoi, 46 casseurs avaient été relâchés. Ce qui est faux ! Toutes les personnes relâchées étaient innocentes.
Ceux contre qui la police avait des preuves sont restés au commissariat. Et encore, ils ne sont restés que parce qu’on a trouvé des choses dans leur téléphone, pas parce qu’on les a vu casser ou brûler des choses.
Incidents au lycée Suger de Saint-Denis : 6 mineurs mis en examen, 2 autres placés sous le statut de témoin assisté https://t.co/IQCpxDrudy pic.twitter.com/ueJ7gzCTXS
— franceinfo (@franceinfo) March 9, 2017
Aujourd’hui, qu’est-ce que vous pensez de la décision de la proviseure de vous faire sortir du lycée mardi matin ?
La proviseure aurait pu nous garder à l’intérieur du lycée. On a entendu le mortier, mais on aurait pu rester dans la cour. Il ne se serait rien passé de plus. Alors qu’en nous mettant dehors du lycée, ça a dégénéré. Des élèves ont lancé des trucs sur les policiers, mais les policiers les provoquaient, et ça faisait empirer les choses.
Depuis le début de l’année, comment ça se passe au lycée ?
Ça se passe normalement, une classe de lycée, sans problèmes particuliers entre nous. Je n’ai jamais eu de soucis avec la proviseure non plus.
Et est-ce qu’aujourd’hui, vous savez pourquoi un mortier a explosé ce mardi dans le lycée ?
Non, je n’en ai aucune idée.
Propos recueillis par Erwan Duchateau
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