Quarantenaire, l’émission l’Atelier de création radiophonique sur France Culture est devenu le miroir sonore d’une époque où les frontières entre champs artistiques s’atténuent.
Certaines saisons, l’univers radiophonique se révèle plus impitoyable que la jungle télévisuelle, la refonte des grilles hertziennes d’autant plus abrupte qu’elle s’effectue dans la discrétion, stars exceptées. Portées par des équipes réduites donc aisément démobilisables, les cases radios s’évanouissent parfois si vite qu’elles ne laissent dans les oreilles qu’un souvenir ténu.
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A défier cette volatilité en déjouant modes, revers et critiques, elles ne sont que deux : l’une d’elle, l’Atelier de création radiophonique, fête cet automne ses 40 ans, mais assume modestement son statut de plus ancienne occurrence médiatique après Le Masque et la Plume. “C’est en effet un petit miracle, même Jean-Christophe Averty n’a pas fait mieux”, sourient ses deux producteurs Frank Smith et Philippe Langlois.
Petit miracle certes, quand on note que l’ACR est l’émission la plus complexe à mettre en ondes de France Culture – talonnée depuis peu par Les Passagers de la nuit –, si ce n’est la plus coûteuse. Mais surtout résistance orgueilleuse quand on s’attache à sa nature sisyphéenne : l’ACR, c’est une fabrique sonore qui se vide au fur et à mesure qu’elle se remplit, épuisant en 80 minutes la forme choisie. A charge pour ses pilotes de la régénérer d’un dimanche à l’autre en puisant dans les grands courants (documentaire, fiction, essai) ou s’échappant dans les hors-pistes (docufiction, expérimentation, journal intime, mix transgenres, etc). Une ligne de conduite pas si confortable, les projets moins aboutis pouvant succéder aux pics d’inspiration.
“Toute institution a besoin d’un laboratoire, suggère Frank Smith, non pour s’en servir de caution, mais pour créer l’émulation.” L’ouverture du champ des possibles, c’est probablement le legs historique de l’ACR à tous ceux qui tentent de transformer la diffusion radio en un art invisible. Depuis sa création en 1969 par Alain Trutat et Jean Tardieu, l’Atelier s’est appuyé sur des caractères bien trempés – parmi eux, René Farabet, Yann Paranthoën ou Andrew Orr – capables de libérer le son du carcan où le tiennent les plus frileux. Visées trop avant-gardistes, tempête Laure Adler en 2002, chargeant Smith et Langlois de se laisser contaminer par d’autres champs artistiques (design, rock, danse, plasticiens, etc.). “Ces formes peuvent se conjuguer dans un espace de création radio parce que le son a cette capacité à rassembler. Tout geste artistique peut être déplacé sous d’autres formes et d’autres supports.”
C’est cette souplesse qui conduit les deux producteurs à passer commande auprès de novices – au détriment parfois des créateurs sonores indépendants. D’où la sortie de deux objets-livres conçus avec Laurie Anderson et Jonas Mekas (éditions Dis Voir), l’arrivée prochaine d’un site réalisé par le Centre national des arts plastiques, des cessions prochaines avec Antony And The Johnsons ou Michel Gondry.
Mais c’est l’écoute des archives qui est l’un des points forts de cette 40e saison. Avec cette semaine, un hurluberlu à barbichette : Georges Perec qui en 1978 se planta au carrefour Mabillon pour donner une suite parlée à sa Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Un ACR d’une confondante liberté mais qui échoue dans son projet : après une heure n’en ressortent lessivés ni le lieu, ni l’auditeur.
ACR, dimanche 25 à 23 h sur France Culture
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