Située dans le Londres d’aujourd’hui mais flirtant joyeusement avec la science-fiction, la fiction interactive du studio Variable State (“Virginia”) est une nouvelle belle réussite.
“Previously on Last Stop…” On connaît cette excitation, cette irrépressible envie de lancer un épisode de plus pour découvrir ce qui va arriver à ces femmes et ces hommes en si mauvaise posture. Jack et John, qui se sont un jour réveillés chacun dans le corps de l’autre, vont-ils renouer avec leur vie d’avant ? Kidnappeurs malgré eux d’un homme plus qu’étrange, la jeune Donna et ses amis se tireront-ils d’affaire ? Et que va devenir Meena, qui vacille entre sa famille, son amant et ce travail très prenant où elle se sent menacée par l’ascension d’une rivale ? Vous le saurez (peut-être) dans le prochain épisode de Last Stop.
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Paru il y a cinq ans, Virginia, le premier jeu du studio britannique Variable State, s’inspirait déjà de séries, en l’occurence Twin Peaks et X-Files. Last Stop se révèle à la fois plus accessible (car là où Virginia se passait de mots, le verbe occupe ici une place centrale) et plus radical par sa construction en fragments plus ou moins sérieux et sa manière de sauter du coq à l’âne. Au départ, il y a trois fictions interactives. A nous de décider par laquelle on commence, sachant qu’il faudra avoir fait avancer les trois pour accéder au chapitre suivant. A la fin, toutes convergeront dans une ultime partie radicalement autre – mieux vaut ne pas trop en dire.
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Puissance évocatrice
Ludiquement, Last Stop ne dépaysera pas ceux qui ont fréquenté les jeux d’aventure de Telltale Games, Dontnod (Life is Strange, Tell Me Why…) ou Quantic Dream (dont il reprend même la tendance à nous faire mimer les gestes des personnages avec le stick analogique). Mais les ressemblances les plus profondes sont peut-être à chercher dans un jeu à l’univers et au style bien différents : Kentucky Route Zero. Comme le chef-d’œuvre de Cardboard Computer, Last Stop s’affiche sans genre ni ton fixes, marie le quotidien le plus concret et l’imaginaire débridé et nous installe moins dans la peau de ses humains en crise qu’à la place de celui ou celle qui les met en scène et constitue leur premier public. C’est un petit théâtre participatif, drôle et malicieux. Et qui touche juste précisément parce qu’il ne craint de se frotter ni au mélodrame, ni à la farce, ni au fantastique.
De cet étonnant puzzle, on garde une manière frappante d’intégrer ses personnages dans le Londres d’aujourd’hui, y compris lors de déplacements en forme de déambulations dirigées qui, par leur puissance évocatrice, valent bien des virées en villes ouvertes vidéoludiques traditionnelles. Tout en donnant l’impression de partir dans tous les sens, le jeu creuse son sillon avec application en s’intéressant d’abord à ce qui fait sortir une vie de ses gonds ou, plus exactement, à ce qui se passe après : quand ce qui était semble encore à portée de main mais a déjà commencé à s’éloigner et qu’on en vient à penser qu’il est déjà trop tard. Quand vous n’êtes plus vous-même (littéralement, dans l’histoire des deux hommes), quand votre destin supposé déraille et que tout se complique. Le spectre qui hante Last Stop ? Sans doute celui du découragement. Et son remède : face au presque rien, l’émerveillement.
Last Stop (Variable State / Annapurna Interactive), sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S, Switch et Windows, environ 20€
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