Après “Cibele” ou “We Met in May”, l’Américaine Nina Freeman poursuit son œuvre vidéoludique singulière.
“I cry every time I take a shower / Because it’s a good time to think.” (“Je pleure à chaque fois que je prends une douche / Parce que c’est un bon moment pour penser.”) On avait laissé Nina Freeman, ou son alter ego d’auto-fiction, dans les délices d’un amour naissant, partagés avec toute l’inventivité malicieuse qui la caractérise au fil des quatre mini-jeux aériens de We Met in May.
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L’ambiance de Last Call se révèle bien plus sombre, car c’est une relation abusive et violente qu’évoque l’autrice de Cibele dans ce jeu à nouveau autobiographique.
Poèmes intimes
C’est terminé. Le moment est venu de faire ses cartons ou, plutôt, de les refermer non sans jeter un œil à ce qu’ils contiennent. Des mangas et des jeux vidéo (Bloodborne, Dishonored, Smash Bros, Remember Me, Final Fantasy…), des consoles et des romans, des Yoshi, des Hello Kitty, des chaussures, des vêtements… Et puis, dans certaines boîtes couronnées de flammes cybernétiques, des feuilles de papier qui se déplient pour dévoiler une partie de l’histoire. Ce sont des mots écrits à la main et agencés avec soin, des bouts de poèmes intimes qui en disent long. Sur le crush du début, les moments passionnés, les doutes, les coups et ce sentiment teinté d’incrédulité de se sentir piégée. À côté du texte, des photos, portraits ou selfies de Nina, la vraie. Et bientôt, les réponses qui s’offrent à nous. “Tell me more” (“Dis-m’en plus”), “I relate” (“Ça me parle”), “ I’m listening” (“J’écoute”), “I believe you” (“Je te crois”)… Là, l’originalité vient de la manière dont on exprime son choix : par la voix, en donnant un peu de sa personne pour parler à Nina.
Installation
Court mais saisissant, Last Call est un récit interactif qui, plutôt que de chercher à masquer le côté artificiel de son mode de narration (commun à bien des jeux dont les décors fourmillent de textes à découvrir), l’assume frontalement. Le résultat est un jeu-dispositif dont les espaces, chambre ou cuisine, se visitent comme ceux d’une installation d’art contemporain, mais toujours selon les moyens du jeu vidéo. Soudain, un chuchotement se fait entendre en ces lieux qui furent le théâtre de moments durs mais aussi heureux – la continuité entre les deux est essentielle – et avec lesquels la rupture est consommée. Alors on examine les traces, on recense les signes. Parfois, la musique s’arrête, les cartons ne “répondent” plus. La lumière se fait. Le trou dans le mur a été bouché. Quelques vers terribles nous font chanceler et c’est finalement la vision d’une peluche dans un carton qui nous abat.
“I don’t remember my feet touching the ground / But they were bare and I ran out of there / With nothing except my long t-shirt and my underwear.” (“Je ne me souviens pas que mes pieds aient touché le sol / Mais ils étaient nus et j’ai couru hors d’ici / Avec rien d’autre que mon long t-shirt et mes sous-vêtements.”) Jeu avant-gardiste mais limpide, exercice de partage autant que de réappropriation d’un vécu éprouvant, Last Call est une œuvre à part, terrible et minutieuse, mélancolique et glorieuse.
Last Call (Nina Freeman & Jake Jefferies), sur Windows, prix libre
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