L’association de défense des droits des femmes musulmanes, Lallab, lance deux programmes de formation pour aider ces dernières à réagir face aux discriminations auxquelles elles sont confrontées. En parallèle, avec le hashtag #JeVeuxPouvoir, de nombreuses femmes ont pu dénoncer l’islamophobie qu’elles subissent au quotidien.
Trouver un emploi, décrocher un stage, aller chez la gynécologue sans craindre d’être jugée… Toutes ces choses relèvent en réalité d’un combat quotidien pour certaines femmes musulmanes, confrontées à un flot de discriminations – notamment lorsqu’elles portent le voile. Il y a un an déjà, Lallab, – association féministe et antiraciste dont le but est de défendre les droits des musulmanes, créée en 2016 – avait lancé un appel à témoignages sur ces questions avec le hashtag #JeVeuxPouvoir sur Twitter.
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Après avoir reçu une centaine de retours l’année dernière, Lallab a décidé de lancer deux programmes dédiés aux femmes musulmanes afin de donner des outils pour réagir aux situations d’islamophobie. Avec cette actualité, le mot-clé a refait surface le 8 juin dernier sur le réseau social et a de nouveau permis de mettre en lumière les discriminations à l’encontre des femmes musulmanes.
https://twitter.com/theywereroomate/status/1269985829910347777
#JeVeuxPouvoir être jugé en tant que personne, pour mes connaissances et non pour mes croyances et mes vêtements
— BibiNora 🪐 (@noormzn) June 8, 2020
https://twitter.com/_Fatbulous_/status/1269969767630286849
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“#JeVeuxPouvoir reporter mon voile sans que personne ne s’en mêle. #JeVeuxPouvoir savoir me défendre face aux comportements racistes et islamophobes au travail, dans mes études, chez les médecins et dans la rue”, a posté une autre femme en faisant référence aux programmes que va lancer l’association pour donner des outils aux femmes musulmanes.
https://twitter.com/dinounmrcc/status/1270081883037106177
“#JeVeuxPouvoir étudier/travailler sans me soucier de devoir retirer mon voile”, a tweeté Wafa, une lycéenne de 17 ans.
https://twitter.com/kmwafaaaa/status/1270073401051435008
“Je ne comprends pas pourquoi on devrait choisir entre être soi-même et être au lycée”, raconte aux Inrockuptibles la jeune fille. Comme le veut la loi, Wafa retire tous les matins son voile avant de rentrer dans son établissement scolaire. Elle espérait que ce “calvaire” de “se sentir contrôlée et rejetée à cause de la simple action d’exprimer sa religion” prendrait fin lors de ses études supérieures, quand elle serait majeure. Mais elle aimerait faire une classe préparatoire aux grandes écoles. “Cela serait donc dans un lycée, je serais encore sous la contrainte de la loi de 2004”, décrit-elle. Wafa se retrouve donc face à un dilemme qui “peut mettre très mal à l’aise” : “Choisir entre être libre de m’habiller comme je le souhaite, ou me lancer dans les études que je veux faire.” Elle explique qu’elle tranchera “en fonction de si [elle] sera acceptée avec le voile ou pas, plutôt qu’en fonction de ce qu'[elle] aspire à faire”.
Discrimination à l’embauche
Wafa est loin d’être la seule dans cette situation… Pour Oumalkaire Souleman, vice-présidente de Lallab, trouver un travail a été un douloureux combat teinté de désespoir. “J’ai vécu des discriminations quasiment toute ma vie depuis que j’ai l’âge de chercher du travail et ça a été très dur… Le marché de l’emploi m’a longtemps semblé inaccessible, je ne voyais aucun avenir ou futur professionnel pour moi, même si j’avais fait de très longues études”, nous explique-t-elle.
Des mauvais souvenirs, où elle a senti que son voile dérangeait, la jeune femme en a beaucoup. “Quand j’étais étudiante, je cherchais un job en intérim pour financer mes études. Normalement, quand vous déposez le CV, ils prennent vos disponibilités. Moi, c’était un regard, ‘on vous rappelle’, et aucun échange ensuite”, se remémore-t-elle. “Une fois, j’ai postulé à un poste de standardiste et on m’a demandé d’enlever mon voile. J’ai répondu ‘non’ à mon interlocuteur et lui ai rappelé la loi à ce moment-là. Il m’a dit qu’il n’avait pas à se justifier et que, chez eux, le voile n’était pas toléré”, déplore la trentenaire. Alors, face à tous ces échecs, “il y a eu un moment où j’ai même arrêté de chercher”, confie-t-elle. C’est pour éviter ce genre de situations que Lallab a lancé deux programmes de formation conçus par et pour les femmes musulmanes. Ils portent en eux la volonté “de pouvoir mutuellement se renforcer et avoir beaucoup plus de pouvoir pour agir et faire en sorte de revendiquer nos droits”, poursuit-elle.
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Des programmes pour “identifier les mécanismes d’oppression”
“Les objectifs consistent à identifier et déconstruire les mécanismes d’oppression que les femmes musulmanes rencontrent au travail, dans le milieu académique et aussi dans le corps médical”, explique aux Inrockuptibles Fatima Bent, bénévole au sein de l’association.
Le premier programme portera sur le travail et l’éducation, et visera à donner des outils sur la manière “d’appréhender sereinement un milieu professionnel discriminant”, détaille-t-elle. Le second s’axera sur l’intimité des femmes musulmanes pour les aider à “reprendre le pouvoir sur [elles] et sur [leurs] corps à travers les questions de santé et sexualité”.
“Une parole nous a été confisquée”
“En tant que femmes musulmanes, on est prises entre, d’un côté, les injonctions sociétales et le racisme institutionnalisé de la société et, de l’autre, les injonctions culturelles… Tout cela fait qu’on essaie de naviguer entre ces deux sources d’injonctions. On essaie de vivre nos vies en fonction de cela, et de nous en émanciper”, détaille Fatima Bent.
Pour elle, permettre aux femmes musulmanes de reprendre du pouvoir dans des espaces sociaux où elles ne savent pas toujours comment réagir consiste à reprendre “une parole qui nous a été confisquée” et qui, en plus, est remplacée par “une narration stéréotypée à notre égard”.
Pour financer ces programmes, l’association a décidé de lancer une cagnotte en ligne, le 18 mai dernier pour récolter 15 000 euros. “On est agréablement surprises. La somme qu’on a déjà récoltée est une preuve de confiance et de légitimité qu’on nous apporte, donc ça fait plaisir. On espère maintenant avoir les 5000 euros manquants…”, raconte Fatima Bent. La cagnotte sera clôturée d’ici la fin du mois de juin et les programmes, eux, seront lancés dès janvier prochain. Ils s’étaleront sur dix mois. Si cette première édition concerne les habitantes de Paris ou de sa banlieue, l’association espère bien ouvrir ce projet à d’autres régions prochainement.
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