C’était bon, c’était beau, cette Coupe du monde 2014 au Brésil, que certains présentent déjà (peut-être un peu vite) comme la meilleure des vingt éditions. Oui, comme une partie du peuple brésilien en colère anti-Mondial, on a beau honnir le milieu du foot-business, son pognon-roi, son taux de corruption, son cynisme marchand, son autisme face […]
C’était bon, c’était beau, cette Coupe du monde 2014 au Brésil, que certains présentent déjà (peut-être un peu vite) comme la meilleure des vingt éditions. Oui, comme une partie du peuple brésilien en colère anti-Mondial, on a beau honnir le milieu du foot-business, son pognon-roi, son taux de corruption, son cynisme marchand, son autisme face aux problèmes du reste du monde, son isolationnisme doré, son poujadisme, sa bêtise fière, on doit bien admettre que l’on vient de vivre un mois haletant, vibrant à l’unisson de centaines de millions de Terriens devant ce spectacle live en mondovision, feuilleton d’une puissance de feu inégalable dont l’ampleur fascine et réjouit autant qu’elle fait peur.
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Longtemps, en France, pays littéraire, contrée de culture ancienne, il fallait raser les murs, planquer son exemplaire de L’Equipe quand on aimait le foot. Cette séparation des pôles “sport” et “intellect” a implosé, victoire sismique de 98 aidant. Aujourd’hui, le ballon rond sollicite la plume des sociologues et des écrivains, les maillots et colifichets sont récupérés par les trendsetters, intégrés par la mode, les magazines hype s’appellent So Foot, les travées des stades et les tablées des bars rassemblent toutes les classes sociales, toutes les couleurs de peau, tous les sexes, tous les genres, dans la grande communion footbalistico-planétaire.
Résumé symbole de cette évolution, l’icône de Mai 68, Dany Cohn-Bendit est chroniqueur du Mondial. Dans un monde occidental désenchanté, déserté par Dieu (signe de progrès) mais dépouillé de toute utopie (signe de régression), le foot en configuration Coupe du monde demeure l’une des rares occasions de vibrer en masse, de faire corps en tant que peuple, d’éprouver le sentiment national sans grumeaux nationalistes, sans relents xénophobes.
Au contraire, on s’intéresse à des joueurs venus d’Iran, du Ghana ou du Costa Rica, on découvre la “grinta” des équipes dites “petites” à tort, on admire la niaque solidaire du Onze algérien, et quand on est éliminé, on range son drapeau, on boit un coup et on projette son besoin d’identification sur une autre équipe de son choix, en assistant plus sereinement au jeu pour le jeu, avec ses oppositions tactiques et ses beautés gestuelles.
Car le foot reste avant tout un jeu, qui mérite la passion qu’on lui porte, mais pas les excès euphoriques d’une victoire ou dépressifs d’une défaite. Si l’on n’a pas vu ces bastons, chants racistes, hooligans et autres vibrations tribales malsaines qui accompagnent trop souvent le football de club, le 7 à 1 de Brésil-Allemagne a déclenché son lot de manchettes et sentiments apocalyptiques pour le pays du “futebol”, au moment où bombes et roquettes s’échangeaient entre Jérusalem et Gaza tandis que le macabre décompte de morts n’en finit plus en Syrie. La déroute du Brésil fut donc une “honte”, un “désastre” ou un “massacre” très relatifs et pour autant qu’on sache, le Corcovado est toujours debout, le soleil se lève encore chaque matin sur la baie de Rio, les favelas et la caipirinha n’ont pas disparu.
Il conviendrait de rappeler aux Brésiliens et aux commentateurs la proverbiale sagesse de l’entraîneur qui dit qu’il vaut mieux perdre un match 7 à 1 que sept matchs 1 à 0. Si le football est un asile, il nous plaît que ce soit en son acception de refuge, de lieu protecteur, et non au sens de la maison de fous qu’il est trop souvent. C’était bon, c’était beau, Brésil 2014, mais laissons le foot à sa juste place de parenthèse (plus ou moins) enchantée.
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