Samedi 16 janvier, Déborah de Robertis, 31 ans, se mettait nue devant L’Olympia de Manet au musée d’Orsay, un an après avoir exposé son sexe sous L’Origine du monde de Courbet. Placée en garde à vue suite à la plainte de l’établissement, l’artiste luxembourgeoise a écopé d’un rappel à la loi. Rencontre un froid matin de janvier autour d’un café.
Comment l’idée vous est-elle venue ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Déborah de Robertis- Ce n’était pas un strip-tease, mais bien une performance, un droit de réponse même. Ça fait longtemps que je travaille sur le modèle féminin. Ce qui m’intéresse c’est de me mettre dans une position a priori passive, et de renverser le point de vue en filmant de ma position justement. Ce sont aussi les procédures du musée qui m’intéressent énormément, le rapport à l’institution, à la loi.
Etait-ce aussi un moyen de questionner le regard masculin sur le corps féminin ?
Oui, mais ça ne se limite pas à ça. Ma performance pose des questions sur les rapports de pouvoir. Se mettre nu, c’est vraiment accessoire, c’est presque la chose la plus facile de la performance. Les gens pensent que c’est le coeur, mais non, ce n’est pas un strip-tease. Ce qui m’intéresse c’est la confrontation. Dans cette performance, la nudité est mon vêtement, celui qui me permet de représenter au mieux le tableau L’Olympia. La performance consiste à faire durer la pose, tout en gérant toutes les choses qui vont se mettre sur mon chemin. Et ça ne s’arrête pas au public, ça peut aller jusqu’à un procès. Ce qui m’attire, c’est aussi l’image que ça crée. Si je pouvais avoir accès à des images tournées par des caméras de surveillance, ça serait la plus belle pièce selon moi. C’est aussi, bien sûr, une mise en abîme du tableau, qui repose certaines questions très anciennes comme le scandale de la nudité, mais en intégrant des problématiques contemporaines.
Lesquelles ?
Celle de la nudité dans l’espace public. Je n’ai pas de réponses à ça, je me contente de poser un geste. Mais c’est certain que lorsqu’on prend position dans l’espace public de cette façon, on provoque quelque chose. C’est cette confrontation-là, et peu importe la forme qu’elle prend, que ce soit la lecture d’un texte ou la nudité, qui pour moi constitue la performance. Une fois le geste posé, les choses t’échappent au final.
Pourquoi vous mettre dans la position du modèle et non de l’artiste peignant le tableau?
J’ai toujours adopté la position du modèle nu. Pendant mes études, j’ai travaillé dans un club de strip-tease. J’avais cette position de femme regardée, de femme-objet, un peu comme un tableau. J’étais sur un podium. J’ai très vite été fascinée par cet angle de vue, cette position, ce point de vue de la strip-teaseuse sur les clients, sur la structure du club. C’est en étant le plus visible, en position surélevée par rapport aux clients que je pouvais le mieux voir ce qui m’intéressait : le fonctionnement du club, les codes, les clients. C’est une position très visible mais à la fois presque une planque. J’ai bien aimé ce rapport paradoxal.
Votre travail déborde du cadre de la simple performance ?
Oui, le principal c’est de rendre compte du point de vue du modèle. Et je pense que les médias font partie de la performance.
Comment s’est organisée cette dernière performance ?
J’ai casté 15 personnes, que j’ai placées dans le public. Ils étaient chargés d’expliquer la performance aux spectateurs, d’improviser aussi. Je leur avais par exemple dit d’applaudir quand ça deviendrait tendu, comme lors de ma première performance. Je ne veux pas faire peur au public, ni créer de panique. L’important pour moi c’est donc de canaliser leur énergie de façon positive. Et ça marche. Le public ne part pas, n’a pas l’air choqué. Les seuls qui me chassent ce sont les vigiles, et c’est leur boulot. Je n’arrêtais pas de demander à voir le directeur, une manière de recréer une forme de confrontation, de face à face. Je travaille le truc pour que ça ne soit pas agressif. Je lui avais envoyé une lettre pour qu’il soit capable de prendre position intellectuellement. Ce n’était pas une autorisation, car je ne pense pas qu’un artiste doive demander d’autorisation, ça me parait étrange. Ça veut dire qu’on te dit non, tu ne le fais pas, ce qui n’a pas de sens. Un texte a été distribué dans la salle et les performeurs expliquaient l’action aux gens. Personne n’était dans l’ignorance. C’est le plus important.
Ce n’est quand même pas anodin de se mettre nu dans l’espace public… Des enfants auraient pu être choqués par exemple.
Je suis dans la confrontation, le face à face, mais la nudité telle que je la présente n’est pas choquante à mon sens pour un enfant. Ce n’est pas une exhibition mais un geste artistique pour moi. C’est une nudité publique, il n’y a aucune intimité.
Quelle différence voyez-vous entre exhibition sexuelle et geste artistique?
C’est la démarche artistique, la réflexion, la curiosité. Il me semble que l’exhibition sexuelle est par définition quelque chose de sexuel. Je me sens plus comme une fille qui va sauter à l’élastique que comme quelqu’un qui recherche un plaisir sexuel. Je n’en prends aucun. D’ailleurs, je suis plutôt pudique, je me fais violence pour faire ça. La seule émotion que j’éprouve c’est l’adrénaline, mais c’est plus proche d’un sportif. Il y a une grande différence de positions entre un exhibitionniste et un artiste et cette différence est fondamentale. Les artistes et les militants vont dans le sens de la vie, de la construction, du mouvement. Si on ne fait pas la différence entre une pulsion de vie et une pulsion destructrice, un geste d’agression, c’est grave.
La nudité est-elle une arme politique ?
Montrer son corps nu est une réflexion qui peut avoir une portée politique. Mais ce n’est pas tant le corps qui est politique, que la réflexion qu’il entraine. Tout artiste, nu ou habillé, a une portée politique.
Avez-vous eu peur?
Oui, de l’inconnu. Mais c’est une démarche instinctive, quasiment viscérale pour moi. Je crois que ce qui me fait peur aussi c’est l’humiliation : que le geste ne soit pas compris, que les articles tombent dans le sexisme… me retrouver dans une position que je n’ai pas choisie, ça, ça me fait peur.
Avez-vous été surprise de la réaction du musée ?
Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’ils me reconnaissent dès mon arrivée. Là, ça a été une vraie forme de mise à nu. Je me suis retrouvée à mettre ma GoPro devant eux, et à prendre position devant le tableau en sachant qu’ils allaient tout de suite intervenir. Ils m’ont effectivement caché directement. Là, oui, j’ai ressenti un échec. Mais ensuite, quand j’ai vu les images, j’ai vu que c’était beau, très parlant. Ça a été pareil avec la première performance, où une femme s’était posée devant moi, transformant l’action en un face à face entre moi les jambes écartées et son corps habillé à elle.
Pourquoi avoir exposé votre sexe sous L’Origine du monde en 2014 ?
C’est un geste qui est considéré comme pornographique, alors que pour moi c’est juste graphiquement beau. Symboliquement, c’est une positon magnifique. C’était un geste d’ouverture, de réappropriation, de naissance. Pourquoi serait-il forcément vulgaire ? En Irlande, il existe des gargouilles dans certaines églises, appelées les Sheela Na Gig, qui ouvrent leurs sexes de femmes afin de protéger du mauvais esprit,des démons. C’est un mouvement qui a une grande puissance.
Comment vous est venue l’idée d’exposer votre sexe ?
J’ai commencé par prendre des photos de mon sexe devant des oeuvres dans des galeries, sans consciemment faire le lien avec le tableau. Il fallait que je me sente vraiment sure de moi pour prendre cette positon sous ce tableau. A un moment, ça m’a paru évident de faire le rapprochement avec L’Origine du monde. Je voulais que ce geste soit vu à travers le prisme, le cadre de L’Origine du monde. Si on ne voit pas mon geste à travers le tableau, on le place dans l’exhibition, dans la pornographie.
Pourtant, l’association avec l’érotisme voire la pornographie n’est pas si étonnante…
Ce n’est juste pas le même objet pour moi. Je conçois que ça puisse être excitant de regarder ces images, mais c’est important que ça reste ancré dans une réflexion.
Pourquoi avoir choisi L’Olympia ?
Je ne pouvais pas prendre un autre tableau car le modèle de celui-là regarde le public droit dans les yeux. Je trouvais ça, aussi, pertinent de faire un droit de réponse au musée d’Orsay, qui avait déjà porté plainte la première fois, une suite à la première performance.
Est-ce une critique de l’institution muséale ?
Je ne suis pas dans la critique, dans la dénonciation. Comme le dit la philosophe Geneviève Fresse, dénoncer les stéréotypes contribue à les faire exister. C’est important d’être dans un geste d’émancipation, je me situe dans la construction.
Comprenez-vous leur réaction ?
Pas tellement. Je leur ai envoyé une lettre vingt minutes avant pour leur permettre de réagir. Je ne pouvais pas faire plus sinon on m’aurait bloqué l’accès à l’entrée. J’ai aussi demandé à parler au directeur pour arrêter le jeu avec les vigiles. Si tu caches quelqu’un c’est plus effrayant que si tu laisses l’artiste nu sous un tableau. J’avais le corps maquillé, je portais une perruque… Je ressemblais à tout sauf à une exhibitionniste.
Que pensez-vous des Femen ?
Ce n’est pas parce qu’on est nues qu’on dit la même chose. Après, on fait partie de la même époque et je trouve qu’elles ont inventé un modèle intéressant et contemporain dans la représentation. Elles ont créé une imagerie intéressante, elles ont fait bouger les modèles.
{"type":"Banniere-Basse"}