Espionner son prochain est devenu un passe-temps. Pratique utilitaire ou totalement gratuite, le stalking a ses règles et ses effets pervers.
Dans la sitcom Salut les Musclés, ce chef-d’œuvre néoréaliste des années 90, Valériane de la Motte-Piquet est un personnage névrotique qui, par jalousie excessive, intervient à chaque épisode pour surveiller les moindres faits et gestes de son bien-aimé, le dénommé Minet. Si Valériane avait connu l’avènement d’internet, elle aurait probablement collé à la définition du cyberstalking, terme désignant jadis une forme de harcèlement consistant à nuire à une personne ciblée en se servant de la masse d’informations personnelles qu’elle laisse traîner sur le web 1.0. En 2013, nombreuses sont les Valériane qui s’ignorent, et l’acte de s’immiscer dans la vie (relativement) privée de son prochain connecté est désormais tout à fait banalisé.
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En ce sens, les réseaux sociaux, squats préférés de tout un pan de la jeune génération et véritables garants du lien social sur internet, sont de sérieux pousse-au-crime en termes de voyeurisme. Car c’est une règle tacite : celui qui publie consent à ce que son contenu soit vu par l’ensemble de son réseau. C’est pour cette raison que les photos des premières dents du fils de votre vieille copine de CM2 apparaissent sur votre page d’accueil alors que vous n’en avez rien à faire et que, malgré tout, vous vous retrouvez une fois sur quatre à cliquer presque inconsciemment sur les photos de son nouveau-né. La démarche est purement passive, voire innocente, et pourtant, c’est déjà du stalking : vous êtes entré sans prévenir dans l’intimité de quelqu’un.
« Un accessoire mis à la disposition de la curiosité sociale »
Outre ce cas de figure anodin, la pratique du stalk s’assume désormais et devient de plus en plus active et volontaire. Prenez Louis, 26 ans, un boulot dans la mode, une copine et une grosse présence online. Pour lui, « le stalk n’est rien d’autre qu’un accessoire mis à la disposition de la curiosité sociale ». Son utilisation la plus classique s’inscrit donc ici dans le prolongement d’une discussion : « Si un pote me parle d’une aventure qu’il a eue avec une fille en soirée, mon premier réflexe est de voir à quoi elle ressemble sur Facebook. Son récit m’apparaît alors plus réel. Pareil quand on me parle d’un artiste ou d’un photographe qui ne figure pas dans mon réseau direct : je peux très vite mettre un visage sur un nom, récolter des informations sur son boulot et même le contacter directement. »
Se dévoile alors un nouvel aspect du stalking moderne, entre intelligence sociale et opportunité professionnelle. Louis poursuit : « Quand j’ai rendez-vous avec quelqu’un pour du boulot, c’est hyper pratique de stalker deux ou trois infos. Je réunis un premier round d’éléments sur la personne, genre son CV, son degré d’expérience. C’est une espèce de réflexe professionnel qui me permet de mieux cadrer un entretien et de mieux m’y préparer. » Dans le nuage des réseaux sociaux dédiés au monde professionnel, LinkedIn et Viadeo se distinguent par la mine d’informations personnelles mises à disposition des utilisateurs. Il suffit alors d’un clic pour activer l’option qui permet de consulter les profils de manière anonyme et ainsi réviser incognito le background professionnel d’un individu. Si ces méthodes de collecte d’informations sont bien connues et largement exploitées par les employeurs, le chercheur d’emploi commence à les appréhender et à les utiliser dans son propre intérêt. C’est le principe du stalker-stalké.
Mais s’il y a un domaine dans lequel le stalk coule des jours heureux, c’est la sphère des cyber-rapports amoureux. Rares sont ceux qui n’ont jamais été tentés de jeter un oeil (voire deux) au profil Facebook d’un amant passé pour checker son actualité. Ou de consulter frénétiquement les photos publiques d’une connaissance rencontrée en soirée. Pour Zoe, New-Yorkaise de 31 ans, le stalk est devenu une étape incontournable dans le processus de dates et plus particulièrement avec le succès actuel des sites de rencontres :
« En général, quand un mec me plaît et qu’on s’est échangé pas mal de messages, on décide de se demander nos vrais noms. On le sait, cela implique que l’on va effectuer des recherches sur Google, que l’on va se stalker mutuellement sur Facebook. Ça sert principalement à me conforter dans mon choix, je regarde s’il n’est pas trop narcissique à poster des photos de lui partout, si c’est un séducteur ou un total loser. Est-ce qu’il a l’air tout le temps bourré ? Est-ce qu’il y a beaucoup de filles qui laissent des commentaires intelligents sous ses photos ? Est-ce qu’il a un chat ? Pire, est-ce qu’il joue dans un groupe ? Le meilleur truc, c’est Instagram car à travers ses photos, on peut vraiment savoir quelle vie il a. »
Le stalk appliqué à la drague devient alors l’indice de vérité ultime, le révélateur qui permet de faire le lien entre le virtuel et le réel. « J’essaie aussi d’en savoir un peu plus sur ses ex, continue Zoe, c’est un peu maso mais je crois que ça vient d’une certaine forme de rivalité féminine (sic). Est-ce qu’elles sont plus belles ou très différentes de moi ? Est-ce que je peux m’identifier à elles ? C’est toujours une manière de faire une petite reconnaissance utile sans se faire griller. »
Parallèlement à ces pratiques actives, le stalk peut aussi être le fruit bénit d’une procrastination intense. L’internaute lambda passe en moyenne sept heures par mois sur les réseaux sociaux, soit 420 longues minutes durant lesquelles il s’expose à tomber sur… une publication de ce mec sur le mur d’un pote qui a une copine jolie qui a un blog qui renvoie à une page fan Facebook qui renvoie à des vidéos de chats qui renvoie au profil d’un retraité dans la Creuse qui fait des montages fous sur des compétitions de lancers de noyaux de pruneaux.
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