Yannick Haenel avait-il le droit de parler à la place de Jan Karski ? Retour sur une polémique qui interroge la liberté du romancier. (photo : Jan Karski )
Inglourious Basterds, film où Tarantino fait mourir Hitler et tous les dirigeants nazis dans des conditions radicalement différentes de l’histoire, n’avait suscité aucune polémique.
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Il n’en va pas de même dès qu’il s’agit d’un livre.
Yannick Haenel, qui prend beaucoup moins de liberté dans son roman que Tarantino dans son film, a récemment reçu les foudres de Claude Lanzmann dans un texte publié dans Marianne.
Ce que reproche principalement l’auteur de Shoah (où intervenait le vrai Jan Karski) à Haenel, c’est la troisième partie de son roman, quand il donne la parole – qu’il invente – à Karski.
Lanzmann s’agace : “(…) on y faisait dire à un Karski imaginaire des choses qu’il n’avait jamais pensées ni exprimées, qu’il ne pouvait pas avoir pensées, au prix d’un trucage de l’homme et d’une falsification de l’histoire”.
Dans un texte intitulé “Faux témoignage”, publié dans le n° 349 de la revue L’Histoire, l’historienne Annette Wieviorka porte le même regard sur cette partie du roman d’Haenel : “Yannick Haenel témoigne pour le témoin que fut le résistant polonais Jan Karski. Le romancier a-t-il tous les droits ?”
C’est cette question, récurrente depuis un peu plus de dix ans, pure symptôme de notre littérature contemporaine qui met de plus en plus en scène des personnes réelles, que pose cette polémique.
La réponse, simple, érigée en principe, est affirmative. Au fond, un seul enjeu demeure : celui de la qualité du texte.
Si un romancier veut utiliser une personne ayant existé et la faire parler au sein de son roman, c’est pour dire quoi ?
C’est là où, dans le cas de Haenel, le bât blesse : faiblesse de l’écriture et simplisme du propos, on est finalement en deçà du vrai Jan Karski dans Shoah (son livre, Mon témoignage devant le monde, introuvable, sera réédité à la fin du mois).
Il y a une telle volonté de bien faire, d’être du bon côté chez Yannick Haenel que son Jan Karski ne fait que ressasser le même message en boucle et devient, comme l’écrit Lanzmann, un “pleurnichard” et un “véhément procureur, qui met le monde entier en accusation pour ne pas avoir sauvé les Juifs (…)”.
Pourquoi faire dire à Karski des phrases aussi simplistes, pourquoi le rendre aussi plat ? Et pourquoi faire de Roosevelt un crétin grossier qui ne pense qu’à reluquer les jambes de sa secrétaire (inventée) ?
Lanzmann délire quand il accuse Haenel de plagiat, de même qu’il n’a pas à interdire à un autre le droit de travailler autour de ce témoin majeur.
N’empêche que son texte est peut-être la plus pertinente critique littéraire publiée sur le roman d’Haenel.
Le jeune auteur s’est peut-être un peu trop pris pour Karski lui-même – mais le vrai problème, c’est que nous, critiques, en ayons été dupes.
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