Des couteaux nippons en céramique, un banal contrôle d’agents anglais et des lois antiterroristes reloues.
Objet d’un mail reçu il y a cinq jours : « Ubuesque contrôle antiterroriste des Anglais au départ de l’Eurostar« . On le connaît, cet expéditeur. Ghislain Quétel, ancien radioprotectionniste ayant piloté la surveillance des piscines de l’usine nucléaire de la Hague. En 2011, il nous avait offert un café dans sa véranda du Cotentin pour nous exposer son combat : construire une « cathédrale de béton » anti aérienne au dessus des bassins abritant une centaine de « cœurs de réacteurs dormants« .
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Aujourd’hui, il nous contacte pour la confiscation – a priori définitive – de ses couteaux japonais par des contrôleurs anglais. Tout comme les transparentes poubelles publiques et l’étiquetage obligatoire des bagages SNCF, sa mésaventure rappelle, depuis 2001, la pesante banalité de l’antiterrorisme.
« Système le plus répressif des démocraties occidentales »
8 janvier, gare internationale d’Ebbsfleet au sud de la Tamise londonienne. Lors de l’examen au scanner de ses valises, Ghislain Quétel n’est pas passé loin de la garde à vue. L’objet de l’étalage méthodique du contenu de ses affaires : une gaine en plastique rigide que des amis lui ont offert. A l’intérieur, deux petites lames de cuisine en céramique. Des couteaux japonais dits « Kyocera ».
Lorsqu’il voit sa trousse de toilette vidée par des mains gantées sur le tapis roulant, Ghislain se sent « traité comme un vulgaire terroriste susceptible de commettre une prise d’otage avec deux petits couteaux de cuisine et un coupe cheveux avec des lames de rasoir« . Les deux surins sont confisqués par les policiers anglais, son coupe cheveux lui est restitué.
Rien d’exceptionnel, rien d’illégal dans l’Angleterre post 11 Septembre. Dans un rapport indépendant publié en mars 2012, l’avocat David Anderson qualifiait la législation anglaise antiterroriste de « système le plus répressif des démocraties occidentales« . Pendant dix ans, des ordonnances appelées « Control Orders » ont jonglé avec les libertés individuelles.
De la confiscation de couteaux à un exil forcé
Ces ordonnances visaient à protéger les sujets de la Couronne en imposant des mesures restrictives aux personnes suspectées d’activités liées au terrorisme. Mesures qui peuvent déboucher aussi bien sur la confiscation de couteaux en céramique que sur une mise à l’écart forcée, en marge d’une procédure judiciaire.
Depuis 2005, 52 hommes, tous suspectés de « terrorisme islamique », se sont vus envoyer en « exil intérieur » dixit The Guardian. Concrètement, peuvent être imposés un relogement forcé, un couvre feu allant jusqu’à 16 heures par jour, un balisage, ainsi que des restriction d’association et de communication. L’un des suspects a expliqué qu’il avait l’étrange impression de se battre contre un fantôme. Au début, il ne s’agissait que de ressortissants étrangers, à la fin en 2011, ils étaient tous anglais.
Depuis un an, les « Control Orders » ont été adoucis et renommés TPIMs (Mesures de prévention et d’investigation du terrorisme). Du côté de l’hexagone, le plan vigipirate demeure, depuis 2005, comme une grenouille refusant de descendre de son échelle : au niveau rouge. Avantage, en cas de guerre comme celle récemment lancée au Mali, il suffit simplement d’activer le niveau « rouge renforcé ».
Avant de s’embarquer un peu plus léger dans son wagon pour la France, un policier français conseille à Ghislain Quétel de réclamer un justificatif pour « formaliser la saisie et éviter le partage de [ses] couteaux après [son] départ« . Raté. Ne sachant lire correctement la langue de Margaret Thatcher, Quétel ne découvre le sens du document qu’à son retour dans le Cotentin :
« Je renonce à tous mes droits de propriété sur les articles désignés au dessous (« Kitchen knife »). Je ne fais pas, ni ne ferai, de réclamation pour ces articles et je suis d’accord pour qu’Eurostar (UK) Ltd ou ses agents en prennent possession et en fassent ce que bon leur semble. »
Les Clash l’ont toujours dit, la loi l’emporte.
Geoffrey Le Guilcher
Ajouté à 15h00: Exactement deux minutes après publication de cet article, à 12H58, le Service Aux Voyageurs (SAV) d’Eurostar a répondu, par mail, à Ghislain Quétel. Le SAV s’engage à enquêter sur son « voyage difficile ».
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